La décision elle-même est une violation de la Constitution, car le retrait de la Turquie d’une convention internationale, qui avait été acceptée à l’unanimité par le Parlement, ne peut être légalement décidé par une seule personne. Cette décision scandaleuse, prise par le président d’un pays où la violence contre les femmes et les LGBTI ne cesse d’augmenter, n’est pas isolée.
« Protéger les valeurs familiales turques et musulmanes »
Le pouvoir islamiste-nationaliste mène des attaques incessantes contre tout cadre juridique national et international garantissant une protection aux millions de femmes en Turquie sous prétexte de « protéger les valeurs familiales turques et musulmanes ». Bien entendu, les femmes sont conscientes du fait que l’égalité entre les sexes ne peut être réalisée seulement en adoptant certaines lois et en signant certaines conventions ; le vrai changement ne peut se réaliser sans viser toutes sortes d’inégalités dans toutes les sphères de la vie. Le mouvement féministe et la lutte pour l’égalité des sexes en Turquie n’ont pas commencé avec la Convention d’Istanbul et ne s’arrêteront pas avec ce retrait inacceptable pour des millions de femmes, qui se rassemblent et défilent dans toute la Turquie malgré la brutalité policière.
Il ne fait aucun doute que le pouvoir ne s’arrêtera pas avec la Convention d’Istanbul. Il y avait de nombreux signes avant… La transformation du ministère des Affaires féminines en ministère de la Famille et des Politiques sociales en 2012 et l’attaque contre le droit des femmes à l’avortement (ils n’ont pas réussi à abolir la loi, mais de sérieuses limitations ont été apportées aux possibilités d’accès à l’avortement) la même année ont été deux étapes très importantes. Un autre exemple a été la création de la Commission d’enquête sur les divorces à l’Assemblée nationale en 2015 ; ce qu’ils voulaient dire par enquêter sur les divorces signifiait prendre des mesures pour réduire les taux de divorce, au lieu de construire des mécanismes efficaces pour protéger les femmes de la violence. Cela montre clairement la mentalité de l’AKP où les femmes et les enfants peuvent être systématiquement soumis à la violence tant que l’institution familiale sacrée n’est pas brisée.
Le combat continue
L’une des principales questions inscrites à l’ordre du jour des femmes l’année dernière était une proposition de motion visant à adopter une amnistie pour les auteurs d’abus sexuels sur mineurEs. Cette motion scandaleuse, qui avait été soumise au Parlement turc en 2016, a été retirée après des émeutes de femmes dans toute la Turquie. Cependant, la même motion a été proposée à nouveau en 2020 et la question n’est pas encore réglée ; sauf que les femmes sont plus fortes et plus organisées qu’auparavant. La plate-forme établie contre cette motion rassemble désormais 340 organisations féminines et LGBTI sous le nom de « Plate-forme des femmes pour l’égalité ».
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Les objectifs du pouvoir et de ceux qui gravitent autour de lui sont clairs : les hommes devraient obtenir la garde des enfants, non au partage égal des biens en cas de divorce, non à la pension alimentaire, la loi sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes devrait être éliminée, retrait de la Convention d’Istanbul, etc. Ils ont eu tout le pouvoir médiatique et les ressources financières pour exprimer leur haine contre la Convention d’Istanbul dont ils n’ont aucune idée et tout ce qu’ils peuvent dire, c’est que « la Convention promeut l’homosexualité » !
Bien sûr, le débat autour de la Convention d’Istanbul est en ce moment l’agenda principal en Turquie en termes de droits des femmes. Mais la Convention n’est que le sommet de l’iceberg. Cependant, les femmes en Turquie sont plus organisées que jamais, malgré le défi de lutter contre une mentalité qui détient la majorité absolue du Parlement et domine chaque sphère de la vie. Les femmes continuent d’œuvrer pour parvenir à l’égalité non seulement dans le domaine juridique, mais dans tous les domaines de la vie ; et elles n’abandonneront pas le combat pour vivre dans l’égalité et à l’abri de la violence et de la discrimination.
Sanem Öztürk