Les annonces en grande pompe des ministres Barbara Pompili et Eric Dupond-Moretti, en novembre 2020, sur la création d’un délit « d’écocide » [1] ont suscité un certain espoir de voir enfin concrétisées les demandes des associations environnementales pour une meilleure effectivité du droit pénal de l’environnement.
Souffrant d’une « dépénalisation de fait », selon les termes de François Molins, procureur général près la Cour de cassation, le droit pénal de l’environnement doit être étoffé de délits généraux afin de réprimer les atteintes environnementales les plus fréquentes et dommageables, sans dépendre des mises en demeure de l’administration. A cet égard, il serait légitime de s’attendre à ce que de tels délits soient, en pratique, applicables.
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Mais, au lieu de mettre en œuvre ses obligations, l’Etat – condamné le 3 février pour faute par le Tribunal administratif de Paris pour son inaction climatique [2] – opte encore une fois pour une logorrhée législative, en proposant d’instaurer des délits inopérants dans le titre « Renforcer la protection judiciaire de l’environnement » du projet de loi portant sur la lutte contre le dérèglement climatique.
Propositions d’améliorations concrètes
Une attitude d’autant plus révoltante que les demandes et recommandations d’experts, notamment de France Nature Environnement, existent de longue date. Nos expertises ont été mises au service de l’exécutif et du pouvoir législatif à de nombreuses reprises, avec à chaque fois des propositions d’améliorations concrètes. Des rapports officiels ont été produits : en 2015, Laurent Neyret, professeur de droit et l’un des pères de l’écocide, remettait à la garde des sceaux, Christiane Taubira, un rapport préconisant l’adoption de nouveaux délits généraux ; le 30 janvier 2020 était publié un nouveau rapport d’évaluation de la justice environnementale, commandé par les ministres de la justice et de la transition écologique, qui reprenait ces propositions concrètes. Lors de la présentation du rapport à l’Assemblée nationale, l’un des auteurs a rappelé : « C’est le troisième rapport du même type qui dit la même chose… » L’expression d’une lassitude partagée face à la surdité des gouvernants.
« L’atteinte environnementale est définie avec des conditions si drastiques que les délits proposés ne trouveront aucune application pratique »
Face à l’urgence de l’effectivité, la voie de la criminalisation n’est pas adaptée à l’échelle nationale et n’a d’ailleurs jamais été la demande des associations spécialisées. Pour autant, la proposition d’écocide par la Convention citoyenne [3] témoigne d’une volonté de mieux réprimer face à l’impunité des pollueurs. Les débats suscités auraient donc pu ouvrir la porte à une autre voie, attendue et formulée depuis des années.
Mais le titre de la loi est trompeur, ainsi que l’a relevé le Conseil d’Etat dans son avis en dénonçant l’absence de clarté et l’incohérence des propositions par rapport aux objectifs [4]. Des annonces à la traduction légistique, force est de constater que le compte n’y est pas, la politique pénale actuelle ne semblant poursuivre en réalité qu’un objectif médiatique.
Le gouvernement fait le choix d’une pseudo-répression qui manque (à dessein ?) sa cible. Ainsi, il choisit de définir l’atteinte environnementale avec des conditions si drastiques que les délits proposés ne trouveront aucune application pratique. L’atteinte doit être « grave et durable », la durabilité impliquant la démonstration que la pollution durera au moins dix ans. Des conditions ubuesques, dont la preuve est impossible en pratique, et qui reprennent mot pour mot les demandes du Medef. Un lobby dont le PDG de Saint-Gobain [Pierre-André de Chalendar] s’est fait le porte-voix en répondant, interrogé sur le délit de pollution [par BFM Business, le 12 janvier [5]], qu’il trouvait que ce n’était « pas une très bonne idée » (sic).
Sur la mise en danger de l’environnement, délit pourtant crucial, le Conseil d’Etat lui-même a relevé sa probable inutilité compte tenu de son champ d’application limité. Il sera notamment tributaire du contrôle préfectoral exercé sur les entreprises situées dans son périmètre géographique. Or le rayonnement économique local de l’entreprise entraîne un certain immobilisme de l’administration dont les agents manquent cruellement de moyens pour exercer leurs contrôles.
Augmenter les moyens de la justice
A rebours de l’affichage – qui se veut tendance mais s’avère inopérant – d’un « délit d’écocide », comment l’action du gouvernement pourrait-elle être efficace ? D’abord, en ne négligeant pas l’expertise produite à sa propre demande. Cela devrait naturellement l’amener à proposer des délits opérants et conformes aux principes fondamentaux qui gouvernent le droit pénal. Surtout, en augmentant les moyens de la justice, secteur pauvre en France, comme l’a récemment rappelé la Commission européenne pour l’efficacité de la justice par rapport à nos voisins européens [6], et sur lequel repose pourtant une grande responsabilité. En soutenant également la création d’autorités administratives indépendantes chargées du contrôle des activités industrielles polluantes, pour libérer les enquêteurs et les sanctions de la tutelle du préfet.
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Pour tout cela, nous invitons le gouvernement à fouiller dans ses archives et à écouter les acteurs de la société civile plutôt que de remettre en cause leur légitimité en les contraignant à la signature d’un contrat d’engagements républicains. Et nous comptons sur les parlementaires pour en faire autant lors des débats qui s’ouvrent sur le projet de loi Climat et résilience.
Clara Gonzales (Juriste) et Laura Monnier (Juriste)