« Vous voyez, ils veulent s’emparer de nos terres. Il s’agit de Gautami Adani et Mukesh Ambani [deux des plus importantes fortunes d’Inde], avec leurs puissants groupes… », dit un jeune manifestant. Bien qu’en fauteuil roulant, il est venu du Pendjab pour participer à la manifestation de Delhi (le 26 janvier). Un kisan plus âgé, écossant des pois pour la cuisine collective des manifestants, déclare :
« Les Britanniques, ils ont capturé notre terre. Nous les avons chassés. Nous devons faire la même chose maintenant. Nous n’aurons pas de repos tant que nous ne les aurons pas chassés. »
Pourtant, les autorités sont unanimes à déclarer : les kisans se trompent et sont trompés : il n’y a aucune menace pour leurs terres.
- Le Premier ministre [Narandra Modi] a affirmé le 15 décembre 2021 : « Une conspiration massive est en cours pour tromper les agriculteurs de Delhi et des régions voisines. Ils sont intimidés par le fait que d’autres personnes occuperont les terres des agriculteurs après les nouvelles réformes agricoles. Frères et sœurs, je veux savoir si un propriétaire de laiterie qui passe un contrat avec vous pour du lait vous retire votre bétail. Si la terre de ceux qui font le commerce des fruits et légumes leur est retirée ? »
- « Aucune entreprise ne peut s’approprier les terres d’un agriculteur tant que Narendra Modi est Premier ministre du pays », a déclaré le ministre de l’Intérieur Amit Shah, le 25 décembre.
- Le 12 janvier 2021, le président de la Cour suprême de l’Inde a lui aussi rassuré les kisans : « Nous allons adopter un arrêté provisoire stipulant qu’aucune terre d’agriculteur ne peut être vendue pour l’agriculture contractuelle ». L’avocat principal Harish Salve, qui comparaissait au nom du gouvernement, a informé la Cour : « Le procureur général et le solliciteur général peuvent assurer que ces inquiétudes sont infondées… aucune terre ne sera vendue. »
- Le principal organe de décision du gouvernement, le Niti Aayog [groupe de réflexion politique du gouvernement indien], a publié un document en novembre 2020, dans lequel il déclare que « les craintes telles que des firmes usurperont les terres des agriculteurs, ou s’empareront par la force de leurs biens en manipulant l’accord sont totalement déplacées ».
- En effet, les présumés voleurs de terres eux-mêmes, Reliance Industries Limited [contrôlé par Mukesh Ambani et qui s’est récemment étendue dans la distribution et la logistique], ont publié un communiqué de presse le 4 janvier 2021, affirmant :« Ni Reliance ni aucune de nos filiales n’ont acheté de terres agricoles, directement ou indirectement, dans le Punjab et l’Haryana ou ailleurs en Inde, dans le but de pratiquer une agriculture “d’entreprise” ou “contractuelle”. Nous n’avons absolument pas l’intention de le faire. »
Déclarations antérieures, plus franches, des gouvernants
Cependant, en approfondissant un peu, il devient clair que les kisans ont raison. Ce qui est en jeu, en fin de compte, c’est leur terre. Les trois lois font partie intégrante d’une politique plus ample, dont le résultat sera de séparer les paysans de leurs terres.
En effet, il y a quelques mois à peine, les dirigeants eux-mêmes ont tenu à annoncer ce fait aux actionnaires des entreprises. Dans son discours du 12 mai, annonçant le « paquet Corona », Narendra Modi a déclaré : « Afin de prouver la détermination d’une Inde autonome, ce paquet met l’accent sur la terre, le travail, les liquidités et les lois. » De quelle « terre » parlait-il ?
Deux jours plus tard, le conseiller économique en chef, Krishnamurthy Subramanian, a expliqué ce que le Premier ministre voulait dire :
« La terre et le travail sont en réalité des facteurs de réforme du marché [dans les manuels d’économie, la terre, le travail et le capital sont les trois « facteurs de production » – RUPE] parce que ce sont des facteurs qui affectent réellement le coût des affaires et vous avez vu beaucoup de changements à ce sujet récemment au niveau de l’État. L’Uttar Pradesh, le Madhya Pradesh et le Gujarat ont annoncé des réformes fondamentales en matière de travail et d’autres États sont également en passe de suivre… Le Karnataka vient d’aller de l’avant et de modifier la réglementation sur l’acquisition de terres pour les entreprises. Les terres peuvent désormais être achetées directement aux agriculteurs de l’État et d’autres États vont également s’inspirer de ce modèle. »
L’ancienne loi sur la réforme agraire du Karnataka empêchait l’acquisition directe de terres par des entreprises privées, afin de protéger les paysans contre la force et la fraude. La suppression de cette protection [1] en décembre 2020 a été immédiatement saluée par les grandes firmes.
Dans cette optique, au plus fort de la crise provoquée par le « paquet Corona », le gouvernement Modi a pris deux mesures : une cartographie par drone de toutes les zones résidentielles des zones rurales et une législation modèle permettant aux États de mettre en place un système de titres fonciers « définitifs ». Avant d’aborder ces mesures, exposons brièvement le thème développé dans cet . article.
Résumé. Abstract
(1°) Au cours des deux dernières décennies, les agences internationales et le gouvernement indien ont explicitement préparé le terrain pour le transfert des terres des paysans pauvres. Ils appellent cela la création de « marchés de vente de terres dynamiques » pour les agriculteurs qui « trouvent leurs terres trop petites pour être une source de revenus viable ».
(2°) Dans la poursuite de cet objectif, le gouvernement indien tente d’établir un système de « titres de propriété définitifs » pour toutes les terres du pays, par lequel l’État garantirait en permanence le titre de propriété du détenteur contre tout autre demandeur. Le Niti Aayog fait donc pression sur les gouvernements des États pour qu’ils adoptent un projet de loi sur les « titres de propriété définitifs ».
(3°) Dans notre pays, la terre continue d’être la principale source de subsistance et d’existence, et dès lors elle fait souvent l’objet de multiples revendications, ce qui est historiquement établi. Ces revendications doivent être déterminées et satisfaites par un processus social, et non par un simple processus administratif. La marche forcée rapide actuelle, qui consiste à établir des titres de propriété définitifs et à numériser les registres fonciers, menace d’évincer un grand nombre de paysans pauvres des principaux moyens de production ruraux.
(4°) En fait, ce processus est guidé non pas par les besoins des paysans pauvres, mais par les besoins des firmes internationales et nationales qui veulent, depuis des régions éloignées, être en mesure de prendre des décisions d’investissement concernant la terre de l’Inde.
(5°) Les changements en cours et les incertitudes croissantes dans l’économie mondiale, ainsi que celles prévues dans le climat et l’environnement à l’échelle mondiale, ont alimenté une volonté de la part des firmes agroalimentaires et des investisseurs financiers internationaux de prendre le contrôle des terres, y compris des terres agricoles, dans le Tiers-Monde. Dans le même temps, à l’ère néolibérale, les économies du Tiers-Monde se sont ouvertes de plus en plus aux investissements étrangers et (dans la foulée) ont progressivement supprimé les restrictions légales existantes concernant la propriété des terres agricoles par les firmes et les étrangers.
L’une de ces tendances mondiales est la croissance d’un commerce de détail organisé [type Amazon et ou grands réseaux de distribution], généralement lié aux investissements étrangers. Cela conduit à « la prise de contrôle par les firmes des systèmes alimentaires nationaux des pays en développement dans leur ensemble » [2]. Ce processus réoriente l’agriculture des pays du Tiers-Monde, qui passe des cultures de base destinées à la consommation intérieure aux fruits et légumes frais et autres produits demandés dans le monde développé et par les classes supérieures nationales des pays du Tiers-Monde. Les systèmes nationaux de sécurité alimentaire sont démantelés et les pays du Tiers-Monde deviennent dépendants des importations de céréales alimentaires en provenance des pays développés (qui disposent d’importants excédents de ces céréales). La pénétration du secteur agricole d’un pays du Tiers-Monde par des investisseurs étrangers et nationaux stimule la « concentration et l’internationalisation » [3] des terres.
(6°) Trois décennies de restructuration néolibérale de l’agriculture indienne ont conduit à une crise aiguë, qui s’est manifestée de la manière la plus brutale par le suicide de plus de 300’000 paysans depuis la fin des années 1990. Les données officielles révèlent que la paysannerie pauvre est présurée, ses revenus agricoles ne couvrant même pas ses besoins de consommation [4]. En même temps, elle ne veut pas se séparer de ses terres. Leur résistance obstinée est due au fait qu’ils savent que d’autres moyens de subsistance sûrs n’apparaissent pas (voire disparaissent), et que la terre et l’accès à des ressources de la propriété commune peuvent encore assurer une certaine subsistance à la famille paysanne.
Cependant, le rachat du système alimentaire indien par les firmes va exercer, de multiples façons, une pression sur les différentes sections de la paysannerie indienne. L’arrêt des achats officiels [marchés publics et prix soutenus] réduira les prix des céréales alimentaires payés aux producteurs et obligera les producteurs des régions d’approvisionnement à se tourner vers les cultures demandées par les firmes [« agriculture contractuelle »], dans une tentative désespérée de couvrir leurs dépenses de consommation.
Mais les spécifications et les investissements exigés par le commerce de détail organisé et par les exportateurs sont inabordables pour ces petits producteurs. En attendant, la réduction progressive du système de distribution publique augmentera les coûts de consommation des paysans dans d’autres régions, y compris dans les zones tribales. Toutes ces tendances vont intensifier la crise de la dette des différentes sections de la paysannerie et les conduire à se séparer de leurs terres.
Les kisans ne sont pas trompés. Leur résistance à ce processus est dans leur intérêt à long terme. C’est aussi dans l’intérêt national, en défendant la sécurité alimentaire et la terre du pays. Elle est donc l’héritière directe de l’héritage des luttes de la paysannerie indienne sous la domination britannique.
Nous allons maintenant développer les points exposés précédemment.
L’objectif : créer des « marchés fonciers dynamiques »
L’un des éléments clés du processus des « réformes » [de contre-réformes] néolibérales a été le transfert du contrôle des terres. Comme on le sait, le gouvernement Modi, lors de son premier mandat [2014-2019], a tenté de diluer ou de supprimer virtuellement diverses dispositions de la Loi datant de 2013, passée par son prédécesseur [Manmohan Singh, membre du Congrès national indien, mandat de 2004 à 2014] et portant sur l’acquisition, la réhabilitation et la réinstallation des terres [5] ; cette tentative se faisait contre les intérêts des paysans et en faveur de l’acquisition de terres obtenue sous la contrainte.
Cet essai de modification a dû être abandonné par les dirigeants face à l’opposition des organisations paysannes et des partis parlementaires, mais les dirigeants prévoient de la rétablir. Selon un ancien membre du Conseil consultatif économique du Premier ministre (PMEAC) :
« Le parti au pouvoir devant être confortablement installé à partir de novembre 2020, on espère pouvoir présenter à nouveau le projet de loi foncière. » [6]
Cependant, le processus consistant à séparer des paysans de leurs terres ne se limite pas à l’acquisition de terres pour des projets industriels, d’infrastructure, miniers ou immobiliers. Il s’inscrit également dans le cadre de la restructuration de l’agriculture indienne dans l’intérêt du capital monopolistique. Dans le cadre de ce processus, les néolibéraux souhaitent d’abord fixer la propriété de la terre à une personne, que celle-ci en ait ou non l’exclusivité, afin que la propriété puisse ensuite être transférée à d’autres. À cette fin, ils réduisent la question des droits fonciers à une question purement managériale d’amélioration de l’efficacité de l’administration foncière, ce qui est le contraire de la vérité. Ils ont toujours été très clairs dans l’énoncé de l’objectif de cet exercice : faciliter le transfert de la terre. (Dans le même but, ils ont également fait pression en faveur d’une nouvelle loi pour la location de terres, visant à promouvoir la location de terres de petits paysans à de grands propriétaires.)
En 2001, un rapport de la principale société internationale de conseil, McKinsey, affirmait (sans citer aucune référence) que « la plupart des titres fonciers en Inde, même 90% selon une estimation, ne sont pas “clairs” ». [7]. Une des raisons de ce manque de clarté, affirmait-il, est la force des droits de location en Inde : « les occupants, qu’ils soient légaux ou illégaux, acquièrent de facto des droits sur la propriété qu’ils occupent, ce qui augmente le temps et la paperasserie nécessaires avant que le propriétaire réel ne puisse exercer pleinement son droit de vendre sa propriété » [8]. Selon McKinsey, tous les locataires sont implicitement des usurpateurs, sans droits légitimes ; seuls les « propriétaires réels » ont des droits légitimes.
En fait, les droits de location tels qu’ils existent dans les livres de droit indiens sont l’héritage de luttes acharnées menées par la paysannerie indienne depuis des décennies. Ces luttes, dans une mesure ou une autre, ont établi la revendication sociale selon laquelle ceux qui travaillent réellement la terre ont un droit primordial sur ses fruits, et non ceux qui extraient des loyers d’un type ou d’un autre sur la base de titres sur papier. Il est clair que ce que McKinsey appelle un manque de « clarté » est en fait une question sociale, une lutte entre les classes pour la possession et les fruits de la terre.
Dans un document de 2007, la Banque mondiale a affirmé que la réforme agraire traditionnelle en Inde (suppression des intermédiaires, de la législation sur les baux et des plafonds de propriété foncière), n’était plus bénéfique. En fait, elle devenait même nuisible [9]. En d’autres termes, pour stimuler la « croissance », il était nécessaire de supprimer les lois sur la réforme agraire. À leur place, la Banque mondiale a établi une nouvelle charte : « Développer l’informatisation, l’intégration et l’utilisation des documents écrits pour assurer un enregistrement complet [des terres]. Fournir ainsi une base pour une couverture spatiale à l’échelle de l’État. Permettre la participation du secteur privé à l’arpentage, en concentrant le gouvernement sur un rôle de régulateur ». Enfin, la BM affirme : « Éliminer les restrictions sur les marchés fonciers », en légalisant la location de terres ; en supprimant les plafonds de loyer ; en supprimant les restrictions sur le transfert de terres, y compris aux non-agriculteurs ; et en permettant l’acquisition directe de terres agricoles par les investisseurs (c’est-à-dire sans la médiation du gouvernement).
Allant plus loin, l’économiste de l’université de Columbia, Arvind Panagariya, dans son livre à succès India : The Emerging Giant (Oxford University Press, 2010), a appelé à la création de « titres fonciers garantis par l’État » comme condition préalable à un « marché foncier hautement efficace en Inde » :
« Actuellement, un effort est en cours pour numériser les registres fonciers existants. Si cet exercice est utile pour garantir que les documents existants sont correctement documentés et préservés, il ne résoudra pas le problème fondamental de l’absence de titres garantis par l’État. Ce dernier nécessite une action législative. Bien que politiquement complexe, cette réforme est très rentable. Non seulement elle permettra à des millions d’agriculteurs d’avoir l’esprit tranquille et d’éviter des millions de poursuites judiciaires à l’avenir, mais elle donnera également naissance à un marché foncier rural très efficace en Inde. » (p. 322)
En effet, c’est le gouvernement de l’United Progressive Alliance, dirigé par le Parti du Congrès, qui a lancé en août 2008 le « Programme national de modernisation des registres fonciers » [National Land Records Modernisation Programme” NLRMP], dans le but explicite de passer à un système de titres de propriété foncière définitifs et garantis par l’État [10]. Il semble que les gouvernements des États ont donné leur accord et envoyé leurs plans de mise en œuvre de ce programme. Les progrès ont toutefois été plus lents que les dirigeants ne le souhaitaient, et l’Economic Survey 2011-2012, préparée sous la direction de Raghuram Rajan [qui sera gouverneur de la Banque centrale de 2013 à 2016], ont appelé à accélérer le NLRMP « pour cartographier les terres avec soin et attribuer des titres de propriété définitifs », et ainsi apporter « davantage de liquidités pour les terres ».
En 2014, le nouveau gouvernement de Narendra Modi a fait d’Arvind Panagariya le chef de son organe central de conseil politique, le Niti Aayog. Et il a entrepris de créer le marché foncier de ses rêves. Un document de 2015 du Niti Aayog déclare
« …Les droits de propriété en Inde sont également mal définis. Tout droit de propriété est présumé et peut être contesté devant les tribunaux. Cette caractéristique a miné le développement d’un marché foncier dynamique, le propriétaire n’étant pas en mesure d’obtenir la valeur réelle de son lopin de terre. Cela décourage également la vente de terres lorsque l’agriculteur trouve son lopin de terre trop petit pour être une source de revenus lui permettant de vivre. » [11]
Ainsi, ni les agences internationales ni les gouvernements successifs, de l’UPA dirigée par le Congrès à l’actuel gouvernement Modi, n’ont jamais hésité à déclarer leur intention de séparer l’agriculteur « sans revenu suffisant » de sa parcelle de terre par le biais de « marchés fonciers dynamiques ».
Utiliser la crise du Covid-19
En avril 2020, alors que l’Inde subissait le confinement le plus dur au monde – la crise humanitaire la plus terrible depuis la partition de 1947 – des commentateurs de la presse économique ont demandé au gouvernement de profiter de l’occasion pour imposer des mesures politiquement difficiles : « Si la nécessité de libérer le contrôle sur la terre n’a jamais été mise en doute, la crise du coronavirus nous offre l’occasion de le faire maintenant ». Arvind Panagariya a appelé le gouvernement à ne pas « laisser la crise se perdre », soulignant que « la crise… donne au gouvernement l’opportunité d’introduire des réformes dans les domaines de la terre et du marché du travail qui sont plus difficiles à mener en temps de paix ».
En avril 2020, au plus fort de la crise, le Premier ministre a lancé un nouveau projet – le SVAMITVA (Survey of Villages and Mapping with Improvised Technology in Village Areas) – pour des relevés par drone afin de cartographier toutes les maisons résidentielles dans les zones rurales. Une fois cela fait, les gouvernements des États délivreront des cartes de propriété pour ces maisons aux ménages des villages. (Notez que cela ne fait que formaliser la propriété des maisons existantes ; ceux qui n’ont pas d’emplacement lié à une maison ne bénéficieront pas de ce dispositif). Outre la délimitation de la propriété rurale individuelle, d’autres gram panchayats [structures pour la gestion villageoise] et biens communautaires comme les routes de village, les étangs, les canaux, les espaces ouverts, les écoles, les anganwadis [centres pour enfants], les sous-centres de santé, etc. seraient également étudiés et des cartes seraient créées.
Pourquoi le gouvernement a-t-il accordé une telle urgence à ce projet ? Le gouvernement affirme que cela « augmenterait la liquidité [disponibilité de vente et achat] des parcelles de terrain sur le marché » (c’est-à-dire faciliterait les ventes de propriétés). De plus, il est probable que, ayant mis en place une infrastructure physique importante et un personnel formé pour la cartographie par drones dans les zones rurales, le gouvernement puisse utiliser ces éléments ultérieurement pour cartographier les terres agricoles également.
Projet de loi sur l’enregistrement des terres du Niti Aayog
En 2008, le gouvernement de l’UPA a entrepris le Programme national de modernisation des registres fonciers (NLRMP), dans le but d’établir un « titre de propriété définitif » des terres en Inde. Ce programme a été remanié en 2014 par le gouvernement Modi sous le nom de « Digital India Land Records Modernisation Programme » (DILRMP).
En novembre 2020, le Niti Aayog a publié un modèle de loi sur les titres fonciers, qu’il presse les gouvernements des États d’adopter (la terre étant un sujet d’État et non central). Étant donné que tous les gouvernements des États ont adhéré au NLRMP, ils pourraient bien accepter, dès maintenant, d’adopter de telles législations dans leurs États respectifs.
Un peu de contexte est nécessaire pour comprendre la signification de cette étape. La terre représente 73% des actifs des ménages ruraux (les bâtiments, situés sur ces terres, représentent 21% supplémentaires) [12]. Qui est propriétaire, qui dispose, qui a droit aux fruits de la terre cultivée, qui a des droits d’utilisation spécifiques sur la terre, et qui peut transférer une parcelle de terre, tout cela ne relève pas des questions simples en Inde. Ce ne sont pas non plus de simples questions techniques ou administratives, mais des questions sociales, qui doivent être déterminées par un processus social. Il existe plusieurs niveaux de droits fonciers, qui appartiennent souvent à des personnes différentes. Et il peut s’agir de questions de vie ou de mort pour les personnes concernées.
Actuellement, l’Inde a un système de titres fonciers « présomptifs », dans lequel l’État ne garantit pas les titres fonciers ; la preuve de la propriété est fournie par les actes de vente, les recettes fiscales, etc. La charge de la vérification de la propriété incombe à l’acheteur d’une propriété, pour laquelle l’acheteur potentiel effectue fréquemment une « recherche de titres » dans les documents existants.
Dans le cadre d’un système de titres de propriété « définitifs », les titres de propriété sont enregistrés et garantis par l’État. Pour mettre en place un tel système, il est nécessaire de déterminer de manière irréfutable la propriété de tous les terrains, y compris les créances des créanciers, et les droits des autres parties telles que les locataires. Une fois cette détermination effectuée, l’État garantira les droits du propriétaire contre toutes les autres personnes. Un tel système est connu au niveau international sous le nom de « système Torrens » [du nom de l’administrateur australien qui imposa, au XIXe siècle, ce système pour l’identification des droits acquis par l’occupation, l’octroi ou l’acquisition des biens formels. L’état crée et tient un registre des propriétés foncières, qui sert de preuve concluante du titre de la personne inscrite sur le registre en tant que propriétaire, et de tous les autres intérêts enregistrés sur le registre]. Tous les pays développés ne l’ont pas. En effet, il n’est pas répandu, même dans la plupart des États des États-Unis.
Le juriste Jonathan Zasloff souligne que, puisque les documents d’enregistrement foncier doivent être acceptés ou rejetés par les bureaucrates, la volonté actuelle de mettre en place un système Torrens offre un énorme potentiel de corruption bureaucratique [13].
L’histoire de l’Inde en fournit de nombreuses preuves
(1°) Les réformes agraires redistributives, visant à briser le monopole des propriétaires fonciers, ont totalement échoué en Inde. Le rapport historique de la Task Force officielle sur les relations agraires (1973) a franchement admis que de telles réformes n’avaient aucune chance : « Etant donné le caractère de la structure du pouvoir en place dans le pays, il était naturel que la volonté politique nécessaire ne se manifeste pas » [14]. Plus récemment encore, le Comité officiel sur les relations agraires de l’État et la tâche inachevée des réformes foncières (2009) a souligné « une collusion profonde entre les grands propriétaires terriens [et] la structure politique et bureaucratique ».
(2°) On estime à 200 millions le nombre de personnes (tribus répertoriées et autres habitants des forêts) qui auraient dû être couvertes par la loi sur les droits forestiers de 2006. À ce jour, seuls 4,1 millions de titres individuels ont été distribués, ce qui représente environ 20 millions de personnes, soit 10% de la couverture prévue. La situation est encore pire en ce qui concerne les droits forestiers communautaires (CFR) : seuls 3% de la zone potentielle de CFR ont été établis à ce jour.
Même l’objectif beaucoup plus modeste d’enregistrer et de sécuriser les locataires (fermier, métayer), et d’améliorer leur part de la production, n’a jamais été tenté dans la plus grande partie du pays. Il ne fait aucun doute que le Bengale occidental a mené un programme important (« Opération Barga ») en 1978-1982, au cours duquel les fonctionnaires ont campé sur 8000 sites, et les organisations paysannes du Front de gauche au pouvoir ont mobilisé les métayers pour qu’ils se fassent enregistrer. Pourtant, même cette opération ne couvrait que la moitié des métayers et la moitié des terres métayées, et s’est plus ou moins arrêtée au milieu des années 1980 [15].
Le dernier enterrement de la réforme agraire
En outre, comme le note Jonathan Zasloff, si les « propriétaires fonciers » doivent être protégés, « la question de savoir qui doit être propriétaire de la terre ne peut être évitée » :
« Torrens protège entre autres les propriétaires absents contre la perte de leurs terres au profit de squatters en possession adverse : les squatters n’auront évidemment pas de certificat d’enregistrement des titres, et donc pas de titre de propriété. Un système juste de distribution des terres en Inde pourrait cependant favoriser les squatters, dont les millions sont les pauvres victimes d’une histoire souvent sauvagement oppressive, et qui sont de toute façon ceux qui font un usage productif de la terre, souvent pendant plusieurs années. »
Ainsi, le système Torrens représente l’enterrement final et formel de la réforme agraire ; car une fois que l’Etat lui-même est le garant du titre de propriété, quelle est la question de savoir si ce même Etat redistribue la terre aux sans-terre ? Et ce malgré le fait qu’il y a beaucoup de terres à redistribuer, et (pour citer le Comité des relations agraires de l’État de 2009) « Le pays ne pourra jamais parvenir à mettre un terme structurel à la pauvreté rurale sans réformes foncières, y compris des mesures de redistribution et la sécurité de la propriété et de la tenure, la prévention de l’aliénation usuraire des segments vulnérables de la population et la propriété des sites de maisons ».
À l’heure actuelle, le mot « réforme » n’est pas utilisé dans son sens historique de changement progressif, mais pour désigner toutes sortes de politiques néolibérales totalement régressives et même le pillage pur et simple. L’expression « réforme agraire » est également appropriée : Elle fait désormais référence non pas à la tâche historiquement progressiste consistant à briser le monopole de la terre et à abolir tous les types d’extractions féodales, mais à des politiques visant à s’emparer des moyens de production des paysans pauvres.
En effet, comme le souligne Jonathan Zasloff, la recherche d’un titre de propriété peut devenir un moteur de dépossession :
« La formalisation peut poser un problème aux pauvres pour plusieurs raisons. Elle les oblige à défendre leurs droits et ils peuvent manquer de ressources pour le faire. Elle peut saper les formes coutumières ou collectives de tenure [jouissance de la terre, de manière précaire] qui fonctionnent sur le terrain mais sont difficiles à formaliser. L’augmentation même de la valeur des propriétés que la formalisation permet d’obtenir peut permettre à un gouvernement de prélever une taxe foncière, et si les pauvres ne sont pas en mesure de la payer, ils seront chassés de leur foyer. Plus sombre encore, l’augmentation de la valeur des terres pourrait inciter les personnes peu intéressées par les subtilités d’une procédure régulière à faire aux pauvres des offres qu’ils ne peuvent pas refuser. »
Mais les implications de ce processus ne se limitent pas à la dépossession d’une partie des paysans dans le cadre de l’établissement de titres de propriété définitifs. La fixation de titres définitifs vise à préparer le terrain pour une dépossession plus large. (Article publié sur le site de Research Unit for Political Economy ; traduction par la rédaction A l’Encontre)
Inde. Les Kisans ont raison : leurs terres sont en jeu
Dans la partie précédente de cet article, nous avons vu que les dirigeants indiens préparent activement le terrain juridique pour séparer les paysans de leurs terres. Dans cette partie, nous envisageons ce thème dans un contexte international.
Au sein de l’économie mondialisée on assiste à une intensification de la volonté des investisseurs internationaux de prendre le contrôle des terres, y compris des terres agricoles, dans le Tiers-Monde. Pourquoi en est-il ainsi ?
Les économies impérialistes ont été frappées par une tendance à long terme de ralentissement de la croissance, pour des raisons inhérentes au capitalisme dans sa phase actuelle. Au fil des décennies, le capitalisme a cherché à contrer cette tendance à la stagnation en employant divers moyens. Il a notamment cherché à le faire en développant l’activité du secteur financier – c’est-à-dire l’activité, non pas de générer un surplus lors de la production, mais d’acquérir et d’échanger des créances sur ce surplus [sur la masse de la plus-value].
Malgré cette croissance extraordinaire de la finance, les capitaines du capitalisme mondial restent pessimistes quant aux perspectives de croissance. En effet, même les plus grands économistes « classiques » prédisent maintenant que les pays avancés vont connaître une « stagnation séculaire » (c’est-à-dire à long terme et chronique) dans un avenir prévisible. (Toutefois, ils évitent de lier cette tendance à la nature du capitalisme monopolistique, qui en est, en effet, à l’origine.)
Ainsi, le capital mondialisé, incertain d’accumuler des richesses par l’expansion, cherche de plus en plus à accumuler des richesses par des moyens prédateurs : en s’emparant des actifs existants et des richesses naturelles. Alors que les caractéristiques prédatrices étaient inhérentes à l’impérialisme dès ses débuts, la prédation impérialiste a acquis une acuité particulière dans la période actuelle. Même au risque de provoquer des troubles sociaux et des oppositions, le capital mondialisé a fait pression pour que soient levées les diverses restrictions à la capture de divers types de richesses jusqu’alors protégées (ou non marchandisées), telles que les ressources génétiques, les forêts, la terre et l’eau. Il a fait pression pour que ces types de richesses soient accessibles sous une forme qui puisse être facilement convertie en instruments financiers. De cette manière, la finance est capable de s’emparer des actifs à distance, et souvent de manière furtive, discrète.
Aujourd’hui, de nouveaux éléments sont venus s’ajouter à ces tendances déjà anciennes. L’un de ces éléments est le stress environnemental croissant. Ce stress environnemental est le résultat du processus d’accumulation capitaliste lui-même. Diverses ressources naturelles semblent atteindre leurs limites dans le cadre d’une utilisation gaspilleuse et de la spoliation aveugle. Le climat mondial lui-même change en raison du refus de longue date des grandes puissances capitalistes de réduire leurs émissions, et à l’avenir, il pourrait changer radicalement d’une manière qu’il est difficile de prévoir aujourd’hui complètement.
Les chefs d’entreprise du monde entier sont eux-mêmes très conscients de ce phénomène. Le Global Risks Report 2020 du Forum économique mondial (la principale plateforme de l’élite des entreprises transnationales) a conclu, pour la première fois, que « l’échec de l’atténuation du changement climatique et de l’adaptation à celui-ci est le risque numéro un en termes d’impact et numéro deux en termes de probabilité au cours des dix prochaines années ». Le Global Risks Report 2021, qui vient d’être publié, déclare de même qu’« à l’horizon de 5 à 10 ans, dominent les risques environnementaux tels que la perte de biodiversité, les crises des ressources naturelles et l’échec de l’action climatique » [16].
Une nouvelle classe d’actifs pour les investisseurs mondiaux
Même lorsque le capitalisme ne peut pas éliminer une source de risque, il trouve des moyens de gérer, et même d’exploiter, l’impact de ce risque sur ses bénéfices. Par exemple, lorsque le monde voit une menace à la fois pour les revenus agricoles et la sécurité alimentaire en raison du stress environnemental, la finance mondiale voit une opportunité de faire des acquisitions rentables de ressources naturelles. Comme le souligne une étude d’Oxfam, « l’agriculture a toujours été considérée comme une entreprise risquée qui générait de faibles rendements. Cela a changé ces dernières années, et le système alimentaire en est venu à être considéré comme un secteur qui garantira la croissance à long terme » [17]. (Il est révélateur que les investisseurs milliardaires des États-Unis se soient tournés vers l’achat de terres agricoles : le plus grand propriétaire individuel de terres agricoles aux États-Unis est maintenant Bill Gates, et Jeff Bezos, propriétaire d’Amazon, n’est pas loin sur la liste. Il sera pratiquement impossible de retracer les investissements que ces milliardaires auront pu faire dans d’autres régions plus pauvres, car ils auront été réalisés par l’intermédiaire de diverses sociétés écrans.)
Dans le droit fil de ce changement d’intérêt des investisseurs mondiaux pour les terres agricoles du Tiers-Monde, la Banque mondiale a consacré son Rapport annuel sur le développement mondial 2008 (ci-après WDR 2008-World Development Report) à l’agriculture. Après plus de deux décennies d’interruption, les auteurs du WDR ont décidé « qu’il est temps de placer à nouveau l’agriculture au centre de l’agenda du développement, en tenant compte du contexte très différent des opportunités et des défis qui se sont fait jour… » [18].
Quels étaient ces « opportunités » et ces « défis » ? Le WDR 2008 a paru au milieu d’une crise alimentaire qui s’exprima en deux phases : d’abord, les prix internationaux des denrées alimentaires ont grimpé en flèche en 2007, mettant la nourriture hors de portée d’un grand nombre de personnes ; ensuite, avec la crise financière mondiale de 2008, les prix des récoltes payés à la production se sont effondrés, mais les prix des denrées alimentaires à la consommation n’ont pas baissé dans une même mesure. Avec le krach financier, l’emploi et les revenus ont chuté et, par conséquent, un grand nombre de travailleurs et travailleuses n’étaient toujours pas en mesure d’acheter de la nourriture.
Cet épisode qui s’est étalé sur deux ans a déclenché une panique générale : « La crise alimentaire, la crise financière et les preuves de plus en plus nombreuses de la manière dont le changement climatique perturbe déjà les systèmes alimentaires ont toutes sapé la confiance dans le commerce mondial en tant que mécanisme fiable pour assurer la sécurité alimentaire. » [19] Les pays qui dépendaient des importations alimentaires ont commencé à essayer de s’assurer la propriété ou le contrôle de vastes étendues de terres agricoles dans d’autres pays moins développés, en particulier en Afrique.
Cet « accaparement mondial des terres » a suscité de nombreuses critiques. Mais de tels accaparements de terres n’ont pas été tentés uniquement par des pays dépendant des importations alimentaires, comme l’Arabie saoudite ou la Corée du Sud, qui étaient en situation d’insécurité alimentaire. Aujourd’hui, les transnationales de l’agroalimentaire et les investisseurs financiers géants des pays les plus riches du monde sont eux aussi à la recherche de terres. En effet, la croissance même de l’insécurité alimentaire leur a fait comprendre que les investissements couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur des denrées alimentaires, de la « ferme à l’assiette », pouvaient leur rapporter de riches dividendes dans un avenir par ailleurs incertain.
Les transnationales du commerce des céréales et la finance internationale
Parmi ces investisseurs figuraient les sociétés dites ABCD, c’est-à-dire les quatre géants du commerce des céréales (Archer-Daniels-Midland, Bunge, Cargill et Louis Dreyfus) qui dominent le commerce mondial des céréales alimentaires et des oléagineux. Comme l’écrit une étude canadienne :
« Au cours de cette période plus récente, les entreprises ont abandonné leur tendance à se tenir à distance des producteurs et des terres agricoles pour se rapprocher plus que jamais des processus de production… Plutôt que de se contenter de commercialiser des produits agricoles que les agriculteurs ont décidé de produire de manière indépendante, ces firmes sont désormais devenues des gestionnaires attentifs d’entières chaînes de valeur agricoles. Les sociétés de négoce de céréales se considèrent comme les « créateurs » de l’approvisionnement en céréales et sont devenues un point central de gestion tout au long de la chaîne des produits de base, de la propriété foncière à l’approvisionnement en intrants, en passant par le conseil et l’assurance, les contrats de culture, l’achat, le stockage, la transformation et la vente au détail, ainsi que la construction et l’entretien des infrastructures de stockage et de transport et le financement tout au long de la chaîne. » [20]
Ces firmes ont de forts intérêts dans la finance, avec des divisions d’investissement sophistiquées qui spéculent activement sur les marchés financiers mondiaux. Elles reçoivent également d’importants investissements de fonds d’investissement des pays développés consacrés à l’agriculture (par exemple, en 2012, la Deutsche Bank a investi 200 millions de dollars dans la seule société Archer-Daniels-Midland [21]).
Elles sont rejointes sur ce terrain par des sociétés purement financières : « Les marges de profit élevées de certaines cultures, en particulier les cultures flex [cultures à usages multiples, qui peuvent être utilisées pour l’alimentation humaine et animale ou comme combustible, comme la canne à sucre, le soja et le palmier africain], ont persuadé certains fonds d’investissement d’investir dans l’achat de terres dans la région de l’Amérique latine et des Caraïbes. Parmi les acheteurs de grandes superficies de terres figurent les fonds d’investissement, qu’il s’agisse de fonds d’épargne privés ou institutionnels… » [22] En Amérique du Sud, des mégafermes, s’étendant parfois sur des millions d’hectares, sont créées par de grandes institutions financières du monde « développé », comme les fonds spéculatifs européens et les sociétés de capital-investissement [23].
Entrée en action des géants du commerce de détail
Un deuxième moteur de cette tendance est l’expansion des géants du commerce de détail des pays avancés. Ces entreprises sont entrées dans le Tiers-Monde à la recherche à la fois de produits exotiques à exporter et de marchés des pays pauvres dans lesquels existe une couche de consommateurs à revenu élevé. « Une nouvelle vague d’investissements a favorisé les “exportations non traditionnelles” – en particulier les fruits de mer, les fruits et les légumes de contre-saison ou exotiques – des pays en développement vers les marchés des métropoles. » [24] Selon le WDR 2008, la croissance agricole du Tiers-Monde repose sur cette nouvelle source de demande : « L’augmentation rapide de la demande locale et internationale de produits agricoles à haute valeur ajoutée ouvre d’importantes nouvelles possibilités de croissance pour le secteur agricole des pays en développement… La nouvelle agriculture émergente est dirigée par des firmes privées contrôlant des chaînes de valeur étendues qui relient les producteurs aux consommateurs. »
Selon le WDR 2008, les fruits et légumes frais et transformés, le poisson et ses produits dérivés, la viande, les noix, les épices et la floriculture représentent environ 47% des exportations agricoles des pays en développement, qui s’élevaient à 138 milliards de dollars en 2004. « La croissance continue de ces exportations à forte valeur ajoutée nécessitera des chaînes de valeur efficaces, en particulier le transport intérieur, la manutention et l’emballage, qui représentent une grande partie des coûts finaux » ; c’est pourquoi, selon la Banque mondiale, il est nécessaire de s’ouvrir aux investissements étrangers.
La Banque mondiale refuse de reconnaître les dangers de la dépendance à l’égard des importations alimentaires
Comme mentionné précédemment, le WDR 2008 a été publié dans un contexte de crise alimentaire mondiale, les prix des denrées alimentaires sur les marchés internationaux ayant fortement augmenté entre le début de 2007 et le début de 2008. Un grand nombre de pays pauvres étaient dépendants des importations, les importations de denrées alimentaires représentant souvent plus de 20% des devises étrangères disponibles. La hausse des prix a exercé une pression insupportable sur leurs économies, entraînant des manifestations et des émeutes en de nombreux endroits. Cela a souligné le danger de dépendre du marché international pour les besoins alimentaires de base.
Pourtant, le WDR 2008 a souligné le contraire : « Aujourd’hui, la capacité de l’agriculture à générer des revenus pour les pauvres, en particulier les femmes, est plus importante pour la sécurité alimentaire que sa capacité à accroître les approvisionnements alimentaires locaux » (souligné dans l’original) [25].
De même, l’OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économiques, essentiellement un club des pays riches du monde) a critiqué l’Inde pour avoir cherché à « assurer la sécurité alimentaire par des politiques visant à permettre à un pays de devenir autosuffisant dans certaines cultures de base ». Elle affirme que « des travaux récents de l’OCDE ont montré que les politiques d’autosuffisance ne sont pas les plus efficaces pour traiter les questions de sécurité alimentaire. En effet, …de telles politiques peuvent être contre-productives pour la sécurité alimentaire. » Elle affirme que « l’ouverture des marchés nationaux des produits de base… aux approvisionnements internationaux et régionaux peut améliorer considérablement la sécurité alimentaire ». La prescription est donc d’importer des aliments de base et d’exporter des cultures à plus forte valeur ajoutée : « la participation aux marchés internationaux et aux chaînes de valeur mondiales (CVM) agroalimentaires peut offrir des possibilités de croissance des revenus » [26].
En examinant les nouvelles lois agricoles sous cet angle, la séquence suivante apparaît :
(1°) Avec la fermeture des mandis [marchés publics] du Comité du marché des produits agricoles (Agricultural Produce Market Committee) et la diminution des achats officiels de céréales alimentaires, les paysans des régions à excédent de céréales alimentaires ne pourront plus vendre leurs récoltes au prix de soutien minimum. Beaucoup d’entre eux cesseront ou réduiront leur production de céréales alimentaires en conséquence.
(2°) Le marché indien des céréales alimentaires sera ouvert aux importations des pays développés, par l’intermédiaire des grands négociants de l’ABCD. Dans la perspective de cette ouverture, la loi sur les produits de base essentiels a été modifiée pour supprimer les restrictions sur le stockage.
(3°) Une partie des anciens agriculteurs céréaliers sera contrainte de se tourner vers d’autres cultures (les « produits agricoles de haute valeur » auxquels se réfère le WDR 2008) ; c’est l’objectif de la nouvelle loi concernant l’agriculture contractuelle.
Le commerce de détail organisé déplace les petits agriculteurs
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Une fois que le commerce de détail organisé devient l’agence d’approvisionnement, les petits agriculteurs sont mis sous pression. Les détaillants préfèrent les gros fournisseurs parce que :
(1°) le fait de traiter avec de gros fournisseurs réduit les coûts de transaction, c’est-à-dire tous les coûts liés à l’achat ;
(2°) il devient plus facile de standardiser le produit en fonction des exigences de la grande distribution ;
(3°) il est plus facile et moins coûteux de retracer le cheminement de chaque produit jusqu’au producteur, ainsi que de le certifier ;
(4°) les grands producteurs peuvent se permettre d’acheter divers équipements pour répondre à différentes normes.
Comme l’admet le WDR 2008 lui-même : « Les responsables d’achat des supermarchés préfèrent s’approvisionner auprès des grands et moyens agriculteurs s’ils le peuvent (par exemple, pour les tomates au Mexique et les pommes de terre en Indonésie) ; si les grands et moyens agriculteurs disposent de quantités suffisantes, les petits exploitants ne sont pas inclus. » Selon ce rapport, la taille de l’exploitation n’est pas toujours le facteur déterminant ; il peut aussi être « l’accès aux biens physiques, humains et sociaux : à l’éducation, à l’irrigation, aux transports, aux routes et à d’autres biens physiques tels que les puits, les chaînes de froid, les serres, l’eau d’irrigation de bonne qualité (exempte de contaminants), les véhicules et les hangars d’emballage… La plupart des agriculteurs qui ne disposent pas de ces actifs sont exclus. » [27] Mais ce sont presque toujours les grands agriculteurs qui possèdent ces actifs, et donc, dans la pratique, la taille de l’exploitation détermine si la récolte trouve ou non un acheteur.
Des études sur le commerce de détail organisé en Inde montrent que les centres de collecte des supermarchés s’approvisionnent de manière disproportionnée auprès des moyens et grands agriculteurs. « Étant donné les exigences des supermarchés en termes de qualité, de régularité et de volume, cela peut éventuellement poser un problème aux agriculteurs pauvres en actifs… Des processus de remembrement des terres et de développement du marché des terres en location semblent être en cours dans ces zones et conduisent à un secteur agricole différencié. » [28]
En outre, une série de normes spéciales, qui sont ajoutées de temps en temps, sont imposées par les acheteurs. Le WDR 2008 observe que les « alertes alimentaires » périodiques dans les pays industrialisés, ainsi que les nouvelles connaissances scientifiques et les préoccupations accrues du public concernant divers risques liés à l’alimentation, ont conduit à un renforcement des normes sanitaires et phytosanitaires (SPS) (liées à la sécurité alimentaire et aux risques sanitaires agricoles).
Alors que les marchés d’exportation se multiplient et renforcent les mesures de sécurité alimentaire et de santé, c’est une « préoccupation pour les pays en développement » : « Les normes pourraient marginaliser davantage les acteurs économiques les plus faibles, notamment les petits pays, entreprises et agriculteurs. » [29] Même si les grandes exploitations agricoles ne sont pas plus productives ou moins coûteuses que les petites, elles peuvent mieux se permettre les coûts liés à la traçabilité des produits agricoles, à leur certification et à leur contrôle.
Étant donné qu’une grande chaîne de vente au détail est souvent un monopsone – c’est-à-dire l’acheteur unique – pour des produits spécifiques, alors qu’il existe un certain nombre de fournisseurs pour n’importe quel produit, l’acheteur peut simplement reporter les coûts de mise en conformité aux normes sur les fournisseurs. L’une de ses façons de procéder consiste à appliquer les normes mondiales les plus strictes à tous les produits qu’elle achète, qu’elles soient ou non applicables dans le pays exportateur :
« Les chaînes régionales et mondiales veulent réduire les coûts en uniformisant les pays et les fournisseurs au fur et à mesure, ce qui induit une convergence avec les normes de l’ensemble des marchés les plus stricts, y compris avec les normes européennes ou américaines. On le voit dans le cas de Wal-Mart entre le Mexique et les États-Unis, dans la certification d’assurance qualité utilisée par Carrefour pour ses opérations mondiales qui incluent les pays en développement, et dans les chaînes régionales comme CARHCO [le principal distributeur d’Amérique centrale avec plus de 300 supermarchés]. Dans certains cas, cela signifie que les chaînes mondiales appliquent, en fait, les normes publiques de leurs marchés (des pays développés) comme des normes privées s’appliquant aux fournisseurs de leurs marchés locaux dans les pays en développement, par exemple l’utilisation des normes de la Food and Drug Administration (FDA) par les chaînes des Etats-Unis pour certains produits. » [30]
En d’autres termes, à mesure que l’agriculture indienne passe de l’approvisionnement des bouches indiennes à celui des bouches américaines, européennes ou japonaises, les normes des pays importateurs sont imposées à la production agricole indienne.
Nous pouvons nous faire une idée des changements imminents en observant les pays sous-développés dans lesquels le commerce de détail étranger est entré ces dernières années. Le commerce de détail organisé représentait 10 à 20% du commerce de détail alimentaire en Amérique latine en 1990 ; en 2000, il était passé à 50 à 60%, approchant presque la proportion de 70 à 80% des États-Unis ou de la France. Une étude note : « L’Amérique latine a donc connu en une seule décennie le même développement de supermarchés que les États-Unis l’ont connu en cinq décennies. » [31]
La concentration du commerce de détail organisé conduit à la concentration des fournisseurs
Le même schéma se répète en Asie de l’Est/Sud-Est et en Europe centrale, en Afrique australe et orientale, et maintenant en Asie du Sud et en Afrique de l’Ouest. Dans ces régions, le commerce de détail du secteur organisé est « de plus en plus et dans une très large mesure, transnational (propriété étrangère) et consolidé », c’est-à-dire que la majeure partie de la part de marché est concentrée entre quatre ou cinq firmes. Les fournisseurs doivent modifier leurs processus de production et réaliser des investissements importants pour se conformer aux exigences de ces géants du commerce de détail, ce qui entraîne l’élimination des petits fournisseurs :
« Certains de ces investissements sont assez coûteux et sont tout simplement inabordables pour de nombreuses petites entreprises et exploitations agricoles. Il n’est donc pas surprenant que les preuves s’accumulent que les changements de normes, et les investissements qui en découlent, ont conduit de nombreuses petites entreprises et exploitations agricoles à la faillite dans les pays en développement, au cours des 5 à 10 dernières années. Ils ont accéléré la concentration de l’industrie. Les chaînes de supermarchés… cherchent constamment à réduire les coûts et les risques liés aux produits et aux transactions – et tout cela tend à sélectionner uniquement les agriculteurs les plus compétents. Dans de nombreux pays en développement, cela signifie principalement les moyens et grands agriculteurs. En outre, comme les supermarchés sont en concurrence entre eux et avec le secteur informel, ils ne permettront pas que les prix à la consommation augmentent afin de « payer » les investissements nécessaires pour l’exploitation agricole. Qui paiera pour des puits avec de l’eau salubre ? Des latrines et des installations pour se laver les mains dans les champs ? Des systèmes de tenue de registres ? Des locaux d’emballage propres et appropriées avec des sols en ciment ? Le fournisseur assume et assumera la charge financière. Comme les petits agriculteurs n’ont pas accès au crédit et que les coûts fixes importants sont une charge pour une petite exploitation, ce sera un énorme défi pour les petits exploitants. Il est donc inévitable que les normes exigées par les consommateurs soient de plus en plus un moteur important de la concentration du secteur agricole dans les régions en développement. La concentration du commerce de détail se transformera, tôt ou tard, en une concentration des fournisseurs. » [32]
Et en effet, une étude révèle que la concentration des terres en Amérique latine est beaucoup plus élevée que par le passé. L’ampleur de la concentration « est beaucoup plus importante aujourd’hui qu’elle ne l’était au début du XXe siècle, lorsqu’il a été jugé nécessaire d’entreprendre des réformes agraires ». L’étude demande à juste titre que l’on étudie l’impact de ces tendances sur les petits agriculteurs, la disponibilité alimentaire, l’environnement et l’emploi [33].
Inde : le chemin de l’endettement à la perte de terres
Tout cela va se passer en Inde, un pays où la paysannerie est déjà en crise profonde, une crise engendrée par la politique économique de l’Inde elle-même, accentuée dans la dernière phase par celle du néolibéralisme.
L’Enquête nationale par sondage (National Sample Survey-NSS) a réalisé une enquête spéciale auprès des ménages paysans en 2012-2013. Elle a révélé que le revenu moyen des ménages d’agriculteurs, toutes sources confondues, était de 6400 roupies par mois (environ 90 euros en 2015). Pour près de 70% des ménages d’agriculteurs, le revenu total provenant de toutes les sources (culture, élevage d’animaux, activités non agricoles et salaires) était inférieur aux dépenses de consommation. Autrement dit, ces ménages étaient déficitaires.
De toute évidence, ce que l’on appelle, en termes marxistes, la « reproduction simple », la simple reconstitution des conditions initiales de production, est elle-même menacée pour la majorité des paysans. C’est ce qui explique les plus de 300’000 suicides de paysans depuis la fin des années 1990, un phénomène terrible qui s’étend maintenant à l’ensemble du pays – du Tamil Nadu et du Telangana au Maharashtra, au Pendjab et au Bengale occidental.
Selon les données du NSS, le pourcentage de ménages d’agriculteurs endettés est passé de 49% en 2002-2003 à 52% en 2012-2013. Deux États sur trois ont connu une augmentation de la prévalence de l’endettement des agriculteurs. L’endettement des ménages d’agriculteurs, en pourcentage de leur revenu annuel, est passé de 50% en 2002-2003 à 61% en 2012-2013. De même, l’enquête NABARD All India Rural Financial Inclusion Survey 2016-17 [National Bank for Agriculture and Rural Development-NABARD] a révélé que 53% des ménages d’agriculteurs étaient endettés, avec un encours moyen de 1,04 lakh [un lakh = 100’000 roupies] par ménage endetté. D’autre part, le revenu annuel moyen d’un ménage agricole était de 1,07 lakh roupies.
Et ce n’est pas le tableau complet : un certain nombre d’études indiquent que l’endettement des agriculteurs est largement sous-estimé dans les enquêtes officielles. En outre, l’endettement des paysans envers le secteur non institutionnel (principalement les prêteurs et les commerçants) est au moins deux fois supérieur à celui du secteur institutionnel (banques, coopératives, gouvernement). Les taux d’intérêt sur la dette informelle sont très élevés [34]. Des taux similaires sont également pratiqués par les institutions de microfinance.
En conséquence, le National Sample Survey (2012-13) a constaté que l’investissement net dans les actifs productifs par ménage d’agriculteurs était d’un maigre 6200 roupies par an [70 euros au taux de change actuel], soit 8% du revenu. De plus, même ce faible montant est impossible à financer par les revenus des agriculteurs pauvres, puisque l’épargne annuelle par ménage d’agriculteurs n’est que de 2400 roupies [27,20 euros]. Les investissements devraient être financés par des dettes. Cependant, des études révèlent que la part des prêts bancaires consacrée aux prêts agricoles à long terme est en forte baisse.
Dans cette situation, lorsque la politique de l’État induit une détresse agraire généralisée, comme pendant la période 1997-2003, ou encore ces dernières années, les paysans sont contraints d’utiliser des prêts en espèces [auprès de prêteurs] pour financer même leur consommation de base, et donc de s’endetter davantage. Le Comité de haut niveau sur l’estimation de l’épargne et de l’investissement [High Level Committee on Estimation of Savings and Investment] a souligné qu’en 2002-2003, loin d’épargner et d’investir, les ménages de cultivateurs n’ont pas pu couvrir leurs dépenses de consommation avec leurs revenus. Ils ont donc été désépargnés à hauteur de 2,8% du PIB. Les prêts en espèces accordés à ces ménages représentaient 3,3% du PIB cette année-là, « indiquant ainsi que l’écart entre les revenus et les dépenses de consommation est financé par des emprunts » [35].
Dans ce contexte, si l’on met fin aux marchés publics (mandis), les paysans pauvres des régions à excédent de céréales alimentaires auront du mal à garder la tête hors de l’eau. S’ils concluent des contrats agricoles [agriculture contractuelle] avec de puissantes firmes, comme nous l’avons vu dans l’expérience internationale, les paysans pauvres ne pourront pas en supporter les coûts. Et en tout cas, les grandes firmes de vente au détail comme les exportateurs préféreront traiter avec des agriculteurs plus importants. En outre, les marchés nationaux et internationaux pour les « produits agricoles de grande valeur » sont limités, et toutes les terres et tous les lieux ne sont pas adaptés à de telles cultures. Par conséquent, de nombreux autres paysans n’auront aucune possibilité de faire partie de ces chaînes de valeur mondialisées. Ils continueront à cultiver des cultures de base d’un type ou d’un autre. La seule différence est qu’ils gagneront moins qu’avant. Enfin, l’endettement et les prix non rémunérateurs forceront nombre de ces paysans à se séparer de leurs terres.
Dans le même temps, les paysans des régions déficitaires en céréales alimentaires, c’est-à-dire la plupart de l’Inde, qui ont dépendu dans une large mesure du système de distribution publique pour leur alimentation de base, verront leurs coûts de subsistance augmenter. Ils pourraient eux aussi s’endetter davantage et se séparer de leurs terres.
La prolifération des intermédiaires
Les développements au niveau international et national sont filtrés de différentes manières jusqu’au niveau des villages, et la chasse des prédateurs pour l’obtention des parcelles de terre se poursuit depuis un certain temps. Des rapports factuels provenant de différentes régions de l’Inde rurale font état de toutes sortes d’intermédiaires qui se renseignent sur les terres des villages depuis une quinzaine ou une vingtaine d’années, en essayant de persuader ou de faire pression sur les paysans pour qu’ils transfèrent leurs terres pour une somme dérisoire.
Dans l’attente de recevoir des pots-de-vin au moment du transfert, de nombreux responsables de village ont cessé d’enregistrer les droits fonciers en faveur des paysans pauvres, et ont laissé les registres fonciers ambigus. En cas de conflit familial ou lorsqu’une famille de paysans a un besoin urgent d’argent (par exemple pour un traitement médical), les courtiers fonciers interviennent pour offrir de l’argent et, soudain, les responsables du village s’emploient à faciliter le transfert.
Les empiétements privés sur les terres communes se sont également multipliés. En d’autres termes, sous des formes « souterraines », le marché foncier rural a été plus actif que par le passé. Bien que les données de l’Enquête nationale par sondage et du Recensement ne concordent pas sur le nombre de cultivateurs et de travailleurs précaires dans l’agriculture indienne, elles concordent sur le fait que le nombre de cultivateurs a diminué et que le nombre de travailleurs occasionnels a augmenté dans les années 2000. Cela indique une augmentation du nombre de sans-terre.
La tendance actuelle à la « titularisation définitive », combinée à la restructuration de l’agriculture reflétée dans les trois lois récentes du gouvernement de Narendra Modi, va accélérer ces processus. (Seconde partie de l’étude publiée par la Research Unit for Political Economy (R.U.P.E), en date du 3 février 2021, sur son site ; traduction rédaction A l’Encontre)
(La Research Unit for Political Economy (R.U.P.E.), située à Mumbai (Bombay), en Inde, est constituée sous l’égide du People’s Research Trust. Le R.U.P.E. fonctionne grâce à un travail bénévole et à des fonds limités provenant de contributions personnelles. Il n’est affilié à aucun autre organisme.) Réd.
Research Unit for Political Economy (R.U.P.E) India
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