Alors même que le gouvernement central et ses acolytes dans les médias font des heures supplémentaires pour vanter les avantages des trois nouvelles lois agricoles auprès du public indien, les paysans qui manifestent aux portes de Delhi ont clairement fait savoir qu’ils ne reculeront pas tant que ces lois ne seront pas abrogées. Pris entre le feu croisé de la désinformation et des faits, l’Indien urbain moyen est quelque peu désorienté quant aux mérites et démérites de la protestation des paysans – qui a maintenant franchi le cap des 50 jours [plus de 100 jours, à l’heure où nous publions cette traduction].
S’il y a une chose qui est devenue de plus en plus évidente au cours des sept dernières semaines, c’est que les habitants des grandes villes indiennes vivent dans un univers très différent de celui de leurs homologues ruraux, et qu’ils ont du mal à comprendre pourquoi les fermiers qui campent aux portes de Delhi sont aussi déterminés qu’eux à obtenir ce qu’ils veulent. L’une des principales raisons de cette situation est qu’ils ne connaissent pas les « dessous » des manifestations.
Afin de dissiper une partie de cette confusion et de faire la lumière sur le contexte plus large de ce mouvement, j’ai parlé au journaliste, auteur et expert en politique alimentaire et commerciale, Devinder Sharma, qui a passé les deux dernières décennies à faire campagne pour l’égalité des revenus des paysans indiens, et je lui ai posé les cinq questions qui reviennent invariablement le plus souvent lorsque le sujet des protestations des agriculteurs est abordé.
Rohit Kumar : Pourquoi les agriculteurs sont-ils si mécontents du gouvernement central ?
Devinder Sharma : Beaucoup pensent que ce sont seulement les trois nouvelles lois agricoles qui ont agité la communauté paysanne et c’est pourquoi ils sont aux portes de New Delhi. Mais pour moi, c’est une colère qui s’est aggravée au fil des décennies et qui trouve enfin un exutoire. Trois études montrent comment l’agriculture a été confrontée à d’énormes injustices et inégalités et a été privée de ses droits au cours des 30 ou 40 dernières années.
Une étude de la CNUCED montre que pendant 20 ans, entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 2000, le prix à la production ou le prix à la ferme est resté statique dans le monde entier. En d’autres termes, le revenu des paysans dans les années 2000 (après correction de l’inflation) est resté le même que dans les années 1980. Les pays riches ont bien sûr abordé ce problème en fournissant une aide directe au revenu et tout un tas d’autres privilèges aux communautés rurales, mais les pays en développement n’en avaient pas les moyens et les paysans de ces pays en subissent silencieusement les conséquences depuis lors.
En 2008, une étude de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et d’un groupe de réflexion de New Delhi a estimé qu’entre 2010 et 2016-17, les agriculteurs indiens avaient perdu 45 milliards de roupies de revenus agricoles ! Ce qui était encore plus extraordinaire que cette crise, c’est l’absence de discussion autour d’elle. Et cela ne concernait qu’une poignée de cultures, donc l’ampleur totale de la perte que les agriculteurs ont subie doit être nettement plus élevée. Cela signifie une perte d’environ 2,64 milliards de roupies par an parce que les agriculteurs ont été privés de leurs revenus légitimes.
Pourtant, un autre rapport de l’Economic Survey de 2016 nous apprend que le revenu moyen d’une famille d’agriculteurs dans 17 États de l’Inde, soit environ la moitié du pays, n’est que de 20 000 roupies par an, soit moins de 1 700 roupies par mois. Je ne peux même pas élever une vache avec cette somme ! Je frémis à l’idée de savoir comment la communauté agricole a pu survivre dans la moitié de l’Inde.
Tout cela pour dire que l’agriculture a traversé une crise terrible pendant toutes ces décennies, et le fait que les paysans se soient rassemblés aux frontières de New Delhi en plein hiver montre qu’ils en ont assez. Le monde universitaire, l’élite et les économistes n’ont pas réussi à aider les agriculteurs à obtenir leur dû, et ils ont donc pris sur eux de lutter pour leur survie.
Avec ces nouvelles lois agricoles, ils craignent que tout ce qui leur reste ne leur soit arraché. C’est ce qui les a poussés à organiser ce type de manifestation, qui est emblématique, telle que je n’ai jamais vu ailleurs dans le monde.
Rohit Kumar : Mais ne s’agit-il pas avant tout d’une protestation des riches fermiers du Pendjab ?
Devinder Sharma : Si les fermiers du Pendjab étaient si riches, alors ils auraient dû être un modèle à suivre pour le reste du pays. Mais une étude réalisée conjointement par l’Université agricole du Pendjab, Ludhiana, l’Université du Pendjabi, Patiala et l’Université Guru Nanak Dev à Amritsar – toutes des universités du secteur public – a montré qu’entre 2000 et 2015, 16 600 paysans et ouvriers agricoles se sont suicidés. Par ailleurs, la dette totale des ménages agricoles du Pendjab s’élève à 1 million de roupies !
Si les fermiers étaient riches, pourquoi se sont-ils suicidés en si grand nombre ? Prenez un journal du Pendjab, et il y a de fortes chances que vous trouviez un ou deux suicides signalés presque quotidiennement. En outre, il se trouve qu’un paysan sur trois au Pendjab est en dessous du seuil de pauvreté.
N’oublions pas que, dans ce pays, seuls 4 % des paysans possèdent des terres de plus de 10 hectares. Alors, de quel genre de fermiers riches parlons-nous, quand seulement 4 % des fermiers ont plus de 10 hectares de terre ? 86 % des paysans indiens possèdent des terres de moins de cinq hectares. Les autres sont ce qu’on appelle des fermiers médians ou moyens qui possèdent des terres de 6 à 8 acres.
Il est ridicule de dire que cette agitation est menée par les fermiers qui sont riches simplement parce qu’ils reçoivent le prix de soutien minimum. Au Pendjab, environ 70 % des petits paysans bénéficient du prix minimum de soutien. Les petits paysans sont ceux qui possèdent moins de cinq acres. Ce sont eux qui bénéficient le plus du prix minimum de soutien.
Et à ceux qui disent qu’il s’agit d’une manifestation fomentée par les partis d’opposition, allez donc passer une nuit en plein hiver à l’extérieur de votre maison pour voir ce que c’est. Je ne pense pas que quiconque le fera, même s’il est payé pour le faire. Passez une nuit dans un trolley ou une tente sur une route à l’extérieur de Delhi, et dites-moi si vous feriez cela pendant plus d’un mois, même si vous étiez payé pour. Je pense qu’il est temps d’arrêter d’être aussi méprisant envers la communauté paysanne. Honorons et respectons les paysans qui protestent, et essayons de voir ce dont ils ont besoin et ce que nous pouvons faire pour les aider.
Rohit Kumar : Mais la plupart des syndicats d’agriculteurs ne sont-ils pas en faveur de ces lois ?
Devinder Sharma : Si la majorité des paysans étaient en faveur de ces lois, le nombre de manifestants serait-il aussi important ? En fait, il est remarquable que tant de syndicats agricoles se soient réunis sur une même plate-forme. Ayant travaillé avec des paysans pendant plus de vingt ans, je sais combien il est difficile d’amener différents syndicats agricoles à s’entendre. Et pourtant, vous avez ici 32 dirigeants syndicaux du Pendjab, et beaucoup d’autres de l’Haryana, du Rajasthan, de l’UP occidental et d’autres parties du pays. Cela montre simplement que la situation est désormais suffisamment grave pour qu’ils mettent leurs différences de côté et s’unissent pour leur survie.
En ce qui concerne les « groupes » qui disent que ces lois sont bonnes, il n’est pas très difficile de brandir une carte de visite disant que vous représentez tel groupe de paysans. Nous avons vu cela se produire par le passé et nous voyons cela se produire maintenant. Ce qu’il faut retenir, cependant, c’est qu’une si grande partie des paysans se sont unis pour protester énergiquement.
Même si une partie de la population rurale est mécontente, n’est-il pas important d’essayer de comprendre pourquoi elle est mécontente et ensuite d’essayer de l’aider, au lieu d’essayer de minimiser sa détresse et son nombre ?
Rohit Kumar : Qu’y a-t-il de mal à ce que les entreprises se lancent dans l’agriculture ?
Devinder Sharma : L’autre jour, j’étais interviewé sur une chaîne de télévision commerciale, et l’animateur m’a demandé :
« À l’heure où les marchés sont si enthousiastes à propos de ces lois agricoles, pourquoi les paysans sont-ils mécontents ? »
J’ai répondu :
« Vous avez répondu à votre propre question. Les lois sont en faveur du marché, alors bien sûr ils sont enthousiastes. Et les paysans sentent que les lois ne sont pas en leur faveur, et donc ils sont dans la rue. »
Le monde se dirige vers l’agriculture industrielle, mais contrairement à ce que les entreprises voudraient vous faire croire, leur implication dans l’agriculture n’a pas dopé les revenus des paysans. Prenez les États-Unis, par exemple, à qui nous avons emprunté ces lois. En Amérique, les marchés ouverts et le libre-échange dans l’agriculture existent depuis plus de six à sept décennies, et pourtant les revenus agricoles y sont en baisse. En fait, en 2020, les fermiers américains étaient accablés par une faillite de plus de 425 milliards de dollars.
Si les réformes étaient si bonnes, pourquoi les fermiers seraient-ils confrontés à une telle faillite ? La plupart des Indiens ne savent pas que l’Amérique traverse également une terrible crise agraire. En fait, le taux de suicide en Amérique rurale est environ 45 % plus élevé qu’en Amérique urbaine.
Au fil des ans, les petites exploitations agricoles américaines ont disparu et seulement 1,5 % de la population américaine est aujourd’hui engagée dans l’agriculture. Et pourtant, les États-Unis continuent d’être le plus grand producteur agricole du monde. (Bien sûr, lorsque nous parlons d’agriculture en Amérique, nous parlons de grandes machines, d’agriculture indutrielle, de grandes entreprises et de grandes affaires. Mais quand nous parlons d’agriculture en Inde, nous parlons de millions de petits paysans).
En Amérique, il n’y a pas de Prix de soutien minimum [minimum support price, MSP], ni de Comité du marché des produits agricoles [Agricultural Produce Market Committee, APMC ; office de commercialisation établi par les gouvernements des États de l’Inde afin de protéger les agriculteurs contre l’exploitation par les grands détaillants et de veiller à ce que l’écart entre le prix à la ferme et le prix au détail n’atteigne pas des niveaux trop élevés]. Là-bas, les grands détaillants comme Walmart n’ont pas de limites de stock. Ils pratiquent également l’agriculture contractuelle et le commerce des matières premières, et pourtant, malgré tout cela, les fermiers américains reçoivent une subvention de 62 000 dollars, chaque année. Ce qui soulève la question suivante : si les marchés ouverts sont vraiment si efficaces, pourquoi le gouvernement injecte-t-il autant d’argent dans le secteur agricole ?
Les pays de l’OCDE, le bloc commercial le plus riche du monde, injectent chaque année des milliards de dollars dans l’agriculture sous forme d’aides directes au revenu ou de subventions. L’Europe accorde aujourd’hui environ 100 milliards de dollars de subventions agricoles par an, dont près de la moitié sous forme d’aides directes aux revenus des agriculteurs. Ainsi, ce que nous considérons comme « l’efficacité du marché » dans l’agriculture ou l’exportation agricole, est en fait un soutien fédéral que les gouvernements ont fourni au secteur agricole.
Nous devons être très clairs : si l’agriculture est durable et viable dans les pays riches et développés, ce n’est pas parce que les marchés sont efficaces, mais parce que le gouvernement fournit des subventions année après année.
La Chine, d’ailleurs, est devenue le plus grand fournisseur de subventions agricoles au monde, devançant même l’Amérique et l’Union européenne. Le gouvernement chinois a fourni 212 milliards de dollars de soutien sous forme de subventions à son secteur agricole en 2016. 38 % des revenus des producteurs de blé proviennent en fait de subventions, tout comme environ 32 % des revenus des producteurs de riz. Ce n’est pas le rendement élevé qu’ils ont, mais les subventions qui donnent aux agriculteurs des revenus élevés.
Ensuite, il y a la question de la technologie. Vous avez déjà entendu tout cela : « Quand la technologie arrive, la productivité augmente et les revenus augmentent », etc. Eh bien, depuis les années 1970, les États-Unis comptent un certain nombre de petites exploitations laitières. Ces exploitations laitières étaient technologiquement bien équipées et le bétail qu’elles possédaient était à haut rendement. En fait, les fermes laitières américaines étaient présentées comme un modèle à suivre. Mais il y a une dizaine d’années, j’ai lu dans le New York Times un article choquant sur le suicide d’un agriculteur. Ce fermier était tellement bouleversé par l’effondrement des prix du lait qu’il a d’abord tué chacune de ses 51 vaches, puis il s’est suicidé.
Ce que je veux dire, c’est que la détresse a prévalu en Amérique au fil des décennies et que nous n’en sommes même pas conscients. Si vous regardez de près ce qui s’est passé aux États-Unis, 93 % des exploitations laitières ont fermé depuis les années 1970, mais la production de lait a augmenté. Cela s’explique par le fait que les grandes entreprises se sont lancées dans l’agriculture et ont créé des méga-laiteries, ce qui a entraîné l’effondrement des prix du lait et la fermeture de 93 % des exploitations laitières.
Si la technologie et la productivité étaient effectivement les critères de réussite de l’agriculture, je ne vois pas pourquoi ces exploitations laitières auraient fermé. Elles ont fermé à cause des prix du marché qu’elles obtenaient, qui n’ont cessé de baisser. Ils en sont arrivés au point où ils ne pouvaient même plus couvrir leurs coûts de production, et ont donc tout simplement abandonné leur activité.
C’est un avertissement pour nous, et ce n’est qu’un des nombreux exemples qui montrent comment les choses qui sont censées augmenter le revenu des agriculteurs ne le font pas. Ce dont les paysans ont besoin, c’est d’une aide directe au revenu. En Europe, 50% des subventions sont allouées à l’aide directe au revenu. Aux États-Unis, chaque agriculteur reçoit en moyenne 62 000 dollars de subventions par an.
Je pense que cela nous montre que ce ne sont pas les marchés qui soutiennent l’agriculture, mais principalement les subventions.
Rohit Kumar : Alors, quelle est, selon vous, la voie à suivre ? Comment sauver et relancer l’agriculture ?
Devinder Sharma : Nous sommes à un moment critique de notre histoire et ce mouvement des paysans devrait nous inciter à nous asseoir et à réfléchir aux changements nécessaires qui doivent être apportés.
Tout d’abord, comme vous et moi avons besoin d’une sorte de revenu garanti, chaque paysan a également besoin d’un prix garanti pour sa production. Il doit être sûr qu’après la récolte, lorsqu’il se rend au mandi [marchés alimentaires supervisés par les APMC], il obtiendra au moins ce prix minimum. S’il peut y avoir un salaire minimum pour les travailleurs, je ne comprends pas pourquoi il ne peut pas y avoir un prix minimum pour les agriculteurs.
Le seul moyen que je connaisse pour garantir cela est le prix de soutien minimum. En fait, c’est une force de l’Inde, car nos décideurs politiques ont fait une chose remarquable au moment de la révolution verte – ils ont introduit un prix de soutien minimum. C’est quelque chose qui a résisté à l’épreuve du temps. Je suis également d’accord pour dire qu’il y a des problèmes dans les mandis, mais nous devons réformer leur structure, et non les fermer. Jeter les mandis, c’est jeter le bébé avec l’eau du bain.
Je suggère que le gouvernement rende obligatoire l’achat de soutien pour 23 cultures pour lesquelles il annonce le prix de soutien minimum chaque année. Chaque année, le gouvernement annonce le prix minimum de soutien pour 23 cultures, mais il n’achète effectivement que le blé et le paddy (dans une certaine mesure, le coton et les légumineuses aussi, selon les besoins, mais surtout le blé et le paddy). Cette mesure doit être étendue à toutes les cultures.
Une analyse parue dans The Wire [journal indien qui publie cette interview] a montré qu’en octobre et novembre 2020, en deux mois seulement, sur la base du portail du gouvernement où ils vous donnent des détails sur combien de cultures différentes ont été vendues au cours de ces deux mois et à quel prix, etc. – Si les agriculteurs avaient obtenu le MSP pour toutes les cultures et pas seulement pour le blé et le paddy, ils auraient gagné 1 900 crores [Le crore est une unité traditionnelle de numération utilisée largement en Inde, 1 crore ou koti équivaut à 10 millions] en seulement deux mois ! Je suis sûr que vous conviendrez que ce n’est pas une petite somme, et si l’on considère que dans la moitié du pays, le revenu moyen n’est que de 20 000 roupies par an, imaginez le bénéfice économique que les agriculteurs auraient reçu…
En Inde, 80 % de la superficie brute des cultures est couverte par ces 23 cultures. Cela signifie qu’une grande partie de la population rurale est concernée par un régime de prix de soutien minimum s’il est mis en œuvre efficacement ou rendu légal. Ce serait un véritable azadi [terme signifiant à la fois “liberté ”et “indépendance”] pour les agriculteurs. Il saurait que, qu’il vende au Pendjab ou au Bihar, il obtiendra le même prix, le prix de soutien minimum. C’est le genre de liberté que les agriculteurs attendent.
Les entreprises disent qu’elles pourront maintenant donner aux agriculteurs un prix plus élevé pour leurs produits ! Mais un prix plus élevé que quoi ? La seule référence que nous avons est le MSP. Donc si les entreprises, les décideurs politiques et les économistes sont déjà prêts à payer un « prix plus élevé », alors quel est le problème de fixer le MSP comme revenu minimum assuré pour l’agriculteur ? Le secteur des entreprises devrait être aux côtés de l’agriculteur et lui dire : « Oui, faisons du MSP un droit légal, parce que nous allons de toute façon leur donner un prix plus élevé ».
Mais ce n’est pas le cas, ce qui signifie que les entreprises ne sont pas honnêtes. Elles savent qu’elles ne seront pas en mesure de donner un prix plus élevé.
De nombreux « promoteurs d’entreprise » qui apparaissent à la télévision ont dit que si le Centre introduisait une quatrième loi, qui rendrait légal le prix de soutien minimum dans tout le pays, alors les réformes s’effondreraient et s’écraseraient ! – Cela signifie que vous admettez vous-même que vous n’allez pas donner aux agriculteurs un prix plus élevé !
Deuxièmement, la fourniture d’un prix de soutien minimum pose son propre ensemble de défis. Dans ce pays, nous avons environ 7 000 mandis régulés par l’APMC. Ce dont nous avons besoin, c’est de 42 000 mandis dans un rayon de cinq kilomètres. C’est l’infrastructure que nous devons créer pour que les agriculteurs puissent vendre leurs produits facilement. Si vous disposez d’un bon réseau de mandis, alors le mécanisme de distribution des MSP devient facile.
En Amérique, après toutes ces décennies de marché libre, le ministère américain de l’agriculture nous dit que la part d’un agriculteur dans chaque dollar alimentaire n’est que de 8 cents. Cela signifie que si le consommateur dépense un dollar pour acheter de la nourriture, la part de l’agriculteur n’est que de 8 %. Cela devrait nous indiquer très clairement pourquoi l’agriculteur américain est en crise aujourd’hui.
Comparez maintenant cela avec la coopérative laitière Amul en Inde. Son directeur général a déclaré que lorsque vous achetez du lait Amul pour 100 roupies, 70 roupies vont aux agriculteurs. La part de l’agriculteur est de 70 % ! Alors pourquoi ne pas tirer une leçon d’Amul et reproduire ce modèle pour les légumes, les légumineuses, les fruits, etc. afin de garantir que les agriculteurs obtiennent une plus grande part des bénéfices ?
Pourquoi avons-nous honte de nos modèles locaux ? Apprenons de nos propres forces et construisons sur elles. Au lieu d’ouvrir l’agriculture aux entreprises pour qu’elles l’exploitent, développons le réseau de coopératives dans ce pays. Expérimentons et apprenons comment le faire fonctionner pour les légumes et les fruits.
Une dernière chose – notre conception de l’économie a traité l’agriculture comme un fardeau pour la société. L’argument est que si nous ne déplaçons pas les gens de l’agriculture vers les zones urbaines, nous n’aurons pas de croissance économique. Il faut que cela change. En seulement deux jours de confinement [du à l’épidémie de Covid-19], nous avons vu 80 millions de personnes migrer en sens inverse, à la fois entre les États et à l’intérieur des États [en fait, le premier ministre Arendra Modi a utilisé l’épidémie de Covid-19 pour privatiser de nombreux secteurs. Il a obligé 50 à 80 millions de travailleurs licenciés considérés comme « migrants » – pas originaires de l’État ou la ville où ils travaillent – à retourner dans leurs villages d’origine, semant un chaos total dans tout le pays]. Cela nous montre que le modèle consistant à pousser les gens hors des zones urbaines était un modèle économique défectueux. Et je pense que nous devons inverser ce modèle. La possibilité de faire de l’agriculture un moteur de la croissance économique est ce dont nous avons besoin aujourd’hui.
Devinder Sharma, expert en politique alimentaire et commerciale, répond à des questions de fond sur les raisons pour lesquelles les paysans manifestent aux frontières de Delhi depuis 50 jours [plus de 100 jours, à l’heure où nous publions cette traduction].
Rohit Kumar est un éducateur ayant une formation en psychologie positive et en psychométrie. Il travaille avec des lycéens sur l’intelligence émotionnelle et les problèmes des adolescents pour aider à faire des écoles des zones sans harcèlement ni brimades.
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