Il y a peu de temps encore, la majorité de la population birmane, ou du moins de la population bamar (c’est-à-dire de la population d’ethnie birmane, majoritaire en Birmanie), estimait que la "communauté internationale ’’ ne comprenait rien à ses affaires.
Le monde extérieur était ainsi prié de s’occuper de ce qui le regarde. Au cœur de cet agacement partagé, un dossier : celui des Rohingya.
Les Rohingya : une minorité musulmane persécutée de longue date, qui venait de subir les pires atrocités.
Il semblait alors que la popularité de l’armée birmane, loin de diminuer, augmente à la faveur de cet événement. C’était cette armée, pourtant, qui portait la première responsabilité des massacres, auxquels des civils avaient également mis la main. Autrement dit, la majorité bamar, loin de toute compassion pour les victimes, se rangeait derrière une armée d’assassins.
On entendait alors dire que les Rohingya étaient les agresseurs et qu’il n’était pas vrai que les militaires birmans aient commis tant d’exactions.
Le monde extérieur, mal informé, ferait mieux d’écouter les Birmans qui, eux, savaient, expliquait-on à l’étranger supposément ignorant. Enfin, les Rohingya n’étaient pas des citoyens birmans.
Différentes manifestations avaient lieu, qui mêlaient soutien à la cheffe du gouvernement, Aung San Suu Kyi (blâmée par le monde extérieur pour n’avoir pas pris la défense des Rohingya), et affirmation nette d’un rejet de la minorité massacrée. On trouvera facilement, sur le Net, des images de ces rassemblements montrant des manifestants tout sourire, portant banderoles ou panneaux où il était écrit : nous ne voulons pas des Rohingya, ce ne sont pas nos compatriotes.
A ces manifestants nationalistes et xénophobes échappait à l’évidence une chose : il n’était pas certain qu’Aung San Suu Kyi, qu’ils s’étaient déplacés pour soutenir, partage leurs vues sur la question ; on peut penser qu’elle identifiait leur xénophobie comme une limite à sa marge d’action sur le dossier rohingya.
C’est une autre mobilisation qui réunit aujourd’hui cette même population bamar : une mobilisation contre le coup d’Etat en quelque sorte légal (puisque prévu par la problématique constitution de 2008) perpétré par le chef de l’armée birmane contre le gouvernement d’Aung San Suu Kyi.
Cet homme a un nom : Min Aung Hlaing. Et Min Aung Hlaing est précisément le premier responsable du massacre des Rohingya.
Situation ironique. Mais qui peut-être est porteuse d’espoirs, au-delà de toutes les craintes évidemment générées par la situation actuelle.
Découvrant que leur ennemi fut celui des Rohingya, les Birmans-Bamar qui se mobilisent aujourd’hui ne changeront-ils pas d’attitude vis-à-vis de cette minorité ?
Je vois quelques signes, encore ténus, de cette possibilité. Il faut l’espérer : le pays, ceux qui le connaissent le savent, souffre de la désunion des différentes populations qui le constituent. Le nationalisme et la xénophobie y sont un mal profond. Le réflexe de blâmer le monde extérieur, plus que de se remettre en question, est profondément ancré chez les Bamar (un réflexe partagé avec les militaires et cultivé par ceux-ci depuis des décennies mais voilà que les Bamar, refusant le coup d’Etat, espèrent la solidarité internationale).
Tout cela a suscité chez des gens comme moi, soutiens actifs de la cause de la démocratie en Birmanie, un sentiment parfois profond de découragement.
Pourtant, cela vaut la peine de manifester aujourd’hui sa solidarité envers ceux qui en Birmanie se mobilisent de façon courageuse et habile, par une opération de désobéissance civile sans doute moins propice à la répression sanglante que les habituelles manifestations de rue (cependant, au moment où j’écris ces lignes, des protestataires se font entendre devant l’université de médecine de Mandalay).
Par reconnaissance de leur combat d’abord, hautement légitime comme tout refus d’un putsch, mais aussi dans l’espoir incertain d’une évolution des mentalités.
Frédéric Debomy