Elles marchent, brandissant comme un étendard leurs htameins. Sur certaines photos, on les voit en train d’étendre en travers de la rue un fil à linge couvert de ces pièces de tissu, aussi appelées “sarong”, que l’on noue autour des hanches. Face à la brutalité de la répression qui, depuis le coup d’État militaire du 1er février, “grandit pas à pas”, selon le site The Kite Tales, les jeunes Birmanes répondent par l’inventivité.
À ce jour, la répression des manifestations a fait plus de 60 morts. Mais, malgré les tirs à balles réelles contre les manifestants, les arrestations et la terreur nocturne imposée par les forces de sécurité, les femmes birmanes sont descendues dans la rue ces derniers jours avec, comme mot d’ordre : “Mettons fin à la dictature misogyne. Prenez garde aux femmes.”
Une question de “virilité”
Depuis plusieurs jours, à l’approche de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, des appels à la mobilisation incitant à brandir son htamein comme un drapeau circulaient sur les réseaux sociaux.
Comme ici :
⚠️ Gender Equality Groups ⚧♀️ in Asia,
We r united aganist masculine #MyanmarCoup & we r calling you to join us on #IWD2021 #8thMarch
1. March for gender equality holding women underwears/longyis as Flags.
2. Smash Patriarchal Dictatorships#WhatsHappeningInMyanmar pic.twitter.com/KUeizr1shx— Thinzar Shunlei Yi #WhatshappeninginMyanmar (@thinzashunleiyi) March 6, 2021
Et ici :
Ce geste est une manière de défier un peu plus la brutale prise de pouvoir des militaires. Car, comme l’explique sur son fil Twitter le site Myanmar Now, selon une croyance locale, passer sous ces vêtements féminins pendus à un fil à linge porte atteinte à la virilité.
1/3 Women lead anti-coup demonstrations on Monday—International Women’s Day—in the Sanchaung area of Yangon, using htameins (women’s sarongs) as flags. They say they are fighting for equality and justice as part of the ongoing general strike against the military. pic.twitter.com/a8XYgCAt6W
— Myanmar Now (@Myanmar_Now_Eng) March 8, 2021
D’ailleurs, certaines photos partagées sur les réseaux sociaux montrent des policiers montant sur leur camion pour ôter le fil à linge sur lequel ont été pendus ces htameins.
Au nom des générations futures
La présence féminine dans la mobilisation contre le coup d’État militaire du 1er février a été soulignée par le New York Times. Par centaines de milliers, les Birmanes sont présentes dans les marches quotidiennes, à l’appel des syndicats de professeurs, d’employés du textile et du personnel de santé, autant de secteurs dans lesquels les emplois féminins dominent. Les plus jeunes sont souvent en première ligne, où les forces de sécurité semblent les avoir particulièrement visées. Ainsi, note le quotidien américain, “dans la seule journée du 3 mars, trois jeunes femmes ont perdu la vie. Des balles les ont atteintes au cœur et à la tête.”
Pour Yin Yin Hnoung, une jeune médecin de 28 ans qui a fait face aux balles :
“Peu importe notre vie. Ce qui compte, c’est la vie des générations futures.”
Sur les réseaux sociaux, des dessins saluent la bravoure de Kyal Sin, âgée de 18 ans, tuée par balle le 3 mars à Mandalay, et devenue ainsi une martyre de la lutte pour la démocratie.
Elle avait été prise en photo quelques minutes avant son décès portant un tee-shirt noir sur lequel on pouvait lire “Everything will be OK” (“Tout ira bien”). Son sort a suscité une telle indignation que la junte militaire a fait exhumer de force son cadavre pour tenter de prouver que sa mort n’était pas liée aux tirs des forces de sécurité, selon The Irrawaddy..
Une armée misogyne
Même si l’armée est connue pour exercer la même brutalité envers les quelque 55 millions de Birmans, “ce sont sans doute les femmes qui ont le plus à perdre de la reprise complète du pouvoir par les généraux après cinq années de cohabitation avec le gouvernement civil dirigé par Aung San Suu Kyi”, écrit le New York Times.
“La Tatmadaw [l’armée] est profondément conservatrice, comme on peut le voir dans les communications officielles où elle évoque l’importance des tenues pudiques pour les femmes de bonne réputation. Aucune femme n’est présente dans les rangs supérieurs de l’armée. Et, selon des rapports des Nations unies, les soldats ont commis des viols collectifs systématiques contre des femmes des minorités ethniques.”
Enfin, parmi les motivations de la mobilisation des femmes contre le coup d’État, le journal cite la portée symbolique du geste des généraux renversant une femme chef d’État et “réimposant ainsi un ordre patriarcal”.
“Combien de cadavres faudra-t-il avant de vaincre ce coup d’État ?”
Dans cette nation majoritairement bouddhiste, la hiérarchie religieuse place également les femmes dans une position d’infériorité vis-à-vis des hommes. Mais, comme le souligne le New York Times, ces préjugés ne se retrouvent pas nécessairement dans la société.
Les femmes sont éduquées et prennent une large part dans le fonctionnement de l’économie. Environ 20 % des candidats de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi, lors des élections de novembre dernier, étaient des femmes..
Dans son journal de résistance, publié sur le site Kites Tale, Linn, âgée de 27 ans, estime que “les femmes birmanes ne pourront vaincre les inégalités sans avoir au préalable protesté contre ce coup d’État illégitime”.
“Les manifestants sont dans la rue et mettent leur vie en jeu pour le retour de la démocratie. Combien de cadavres faudra-t-il pour mettre un terme à ce coup d’État ? 100 ? 10 000 ?”
Courrier International
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