Crédit Photo. Wikimedia commons Fabrizio Dogliotti
Il s’agit du gouvernement Draghi, ex-président de la BCE, l’un des plus brillants et des plus crapuleux (les deux termes ne se contredisent pas nécessairement) protagonistes du capitalisme européen de ces dernières années.
Consensus politique inédit
L’Italie, où est née la « Commedia dell’arte », reste fidèle à elle-même et fait, une fois encore, preuve d’une grande créativité politique et théâtrale. Ces dernières semaines, Draghi a été présenté par quasiment tous les médias comme un grand homme, le sauveur de la patrie, le héros du moment. Ils lui ont même refait un CV, dans le style 1984. Et ce n’est pas tout. Les applaudissements sont venus de droite et de gauche, en premier lieu du secrétaire de la CGIL [2] lui-même.
Ce gouvernement, rapidement constitué, offre l’image d’une unité nationale et d’un consensus politique inédits. De la Ligue de Salvini à la gauche du Parti démocrate (LeU [3], qui conserve, en temps de pandémie, le ministère de la Santé), tous ces partis ont eu des fauteuils ministériels et tous se disent plus ou moins satisfaits. Les seuls qui ont exprimé une position très critique, au point d’être immédiatement exclus, sont 40 députés et sénateurs du Mouvement 5 Étoiles, parti qui, selon un avis largement partagé, est de toute façon en train de disparaître de la scène politique. Les néofascistes de Fratelli d’Italia, eux aussi, sont critiques et hors de l’équipe gouvernementale, mais cela semble une position surtout dictée par un certain opportunisme : alors qu’ils espèrent capter et capitaliser l’éventuel et probable malaise de la société italienne par rapport à ce gouvernement de banquiers et de grands industriels, ils annoncent en même temps une opposition light.
Les faibles forces de la gauche elles aussi, évidemment, sont critiques, mais, depuis des années, elles ont été exclues des institutions et elles ont de réelles difficultés non seulement à capter le malaise social mais aussi à se mettre d’accord. L’opposition au gouvernement Draghi pourrait être une opportunité pour redynamiser leur engagement, leur présence et leur unité ; dommage que le virus empêche de pratiquer les formes « normales » de la politique…
Rôle fonctionnel de l’extrême droite
La présence de l’extrême droite au gouvernement paraît particulièrement significative — et éclairante. Trois ministres pour la Ligue (Développement économique, Tourisme et Handicap) et neuf sous-secrétaires d’État, tous dans des ministères d’une certaine importance. Vu que le chef d’orchestre est un banquier, les choses n’ont pas été faites au hasard : tout est calculé au millimètre près et plusieurs raisons expliquent l’importante participation de la Ligue. D’abord, elle représente le poids que cette formation a pris au sein de la bourgeoisie du nord. Ensuite, elle peut servir de contrepoids par rapport aux velléités progressistes — si jamais il y en avait — de quelques naïfs. Dans tous les cas, la Ligue jouera un rôle actif dans ce gouvernement et conditionnera les politiques sociales (ce n’est pas par hasard qu’on lui a confié le ministère du Handicap, par exemple). Le fait que certains de ses sous-secrétaires d’État soient des ignares ou aient en toute innocence proposé, dans le passé, l’usage des fours crématoires pour les immigrés, non seulement n’est pas un obstacle au projet de Draghi mais, d’une certaine façon, il représente l’un de ses côtés authentiques.
Pour gérer l’argent européen et surtout les grandes restructurations économiques et sociales qui viendront (ou tout au moins celles que ces messieurs ont en tête) il faudra mentir beaucoup et faire beaucoup de propagande, et distribuer en plus, avec parcimonie, quelque menue monnaie. Mais, à l’occasion, on aura aussi besoin d’un personnel politique particulièrement peu scrupuleux et disposé à faire le sale boulot. Que ceux-là sachent qui était Dante n’est pas important.
Fabrizio Dogliotti