Dans les jours à venir, nous serons confrontés à l’appel anticipé aux élections en Catalogne. Elles se tiendront finalement le 14 février, au milieu du pic de contagion du Covid-19 et de la saturation des centres de santé suite à la troisième vague de la pandémie. Ce n’est un secret pour personne que les intérêts politiciens et de faction du régime ont pris le pas sur la santé publique en forçant l’organisation d’élections qui pourraient violer les droits démocratiques et mettre en danger la santé publique. Encore une fois, cette décision s’est imposée par la judiciarisation de la politique. Le gouvernement catalan, pour sa part, en plus de s’appuyer sur un décret juridiquement faible [1], a passé l’année dernière à retarder les élections et à calculer leur tenue à partir d’une vision totalement partisane.
À ce stade, il est nécessaire de noter qu’une législature marquée par l’échec, fermée par la répression de l’État, touche à sa fin. Nous considérons qu’il s’agit d’une législature qui a échoué parce qu’elle n’a pas permis de réorganiser un horizon de lutte pour la souveraineté [catalane] qui, d’une part, intègre les leçons d’octobre 2017 [ouvert par le référendum du 1er octobre] et, d’autre part, au cours de laquelle une politique de répression à l’égard des indépendantistes a été pratiquée par la Generalitat elle-même. De plus, il s’agit d’une nouvelle législature perdue du point de vue social parce que les persistantes politiques néolibérales ont été maintenues, sans inverser donc les privatisations et les coupes budgétaires remontant à dix ans qui ont laissé le secteur public extrêmement affaibli. La permanence des politiques néolibérales mises en œuvre par le gouvernement de Junts per Catalunya et de l’ERC (Gauche républicaine de Catalogne) a conduit le système public catalan à une situation de vulnérabilité encore plus grave suite à l’explosion de la crise sanitaire.
Face à cette convocation électorale, il est nécessaire de dénoncer une fois de plus qu’il y a près d’un million de Catalans privés des droits civils et politiques les plus fondamentaux suite à un racisme institutionnel. Ils n’auront donc pas le droit de vote. Il ne peut y avoir d’élections authentiquement démocratiques avec une loi sur les étrangers qui exclut de la citoyenneté et une Constitution espagnole qui refuse le droit de vote à ceux et celles qui n’ont pas la nationalité.
Un chemin qui échoue dans un espace conquis par le « gouvernementalisme » et l’institutionnalisation
Nous, les Anticapitalistas avons mis fin à notre engagement dans le cadre de Catalunya en Comú y Podem lorsque s’est affirmée la politique d’alliances subalternes au Parti des socialistes de Catalogne (PSC) et au PSOE dans cet espace politique et d’Unidas Podemos au niveau de l’État espagnol. Le virage pro-gouvernemental, adopté à partir de 2016 par la direction de Podemos et assumé par le reste des forces, a dénaturé ce qui était un projet alternatif au bipartisme [PSOE et Parti populaire] et au régime. Cette pratique ressemble maintenant trop à la gauche institutionnelle qu’elle avait été amenée à défier en premier lieu. En Comú Podem n’a jamais maintenu un profil distinct du projet d’État, mais a fait sienne la politique de subordination au PSOE et au PSC. En Catalogne, cette orientation se traduit par une participation à une démarche tripartite avec le PSC et l’ERC ainsi que par l’incorporation dans des candidats de figures qui représentent un engagement évident en faveur de l’institutionnalisation.
L’entrée de Podemos au gouvernement de l’État en tant que partenaire minoritaire du PSOE a signifié un saut qualitatif dans l’engagement à s’intégrer dans la gestion et à abandonner toute impulsion constituante. Une fois intégré à l’exécutif, l’incapacité à répondre à des problèmes tels que le chômage et la précarité, la hausse du prix de l’électricité ou les expulsions des logements alimente le « No se puede » [on ne peut pas], la démoralisation des classes populaires et le discrédit des alternatives au néolibéralisme. Ce climat créé dans l’opinion publique a un impact dévastateur pour l’ensemble de la gauche sociale, politique et syndicale, y compris pour les secteurs auxquels, dès le début, nous nous sommes opposés, à propos de l’idée de rejoindre un gouvernement voué au sociolibéralisme.
La Candidature d’unité populaire (CUP) : une candidature de rupture, mais sans ouverture à de nouveaux secteurs
La candidature de la CUP-Un Nou Cicle per Guanyar [CUP-Un Nouveau Cycle pour Gagner] garantit l’existence d’une candidature anticapitaliste et de rupture dans ces élections, un fait que nous apprécions positivement. Son existence contribue à faire des propositions visibles de rupture avec le cadre institutionnel actuel et les politiques néolibérales. De même, elle tente de placer au centre des idées telles que la nécessité d’un plan d’urgence pour faire face à la crise du Covid-19, d’évoluer vers un modèle d’économie planifiée et d’assumer le contrôle des secteurs stratégiques.
En même temps, nous considérons qu’il s’agit d’une proposition trop continuiste avec la CUP-CC et les candidatures précédentes qui ne permet pas un saut qualitatif vers une reconstruction plus ouverte de la gauche alternative, en cassant les limites du cycle politique précédent et en dépassant l’espace traditionnel de l’Esquerra Independentista (Gauche indépendantiste). Il aurait été positif d’avoir un accord électoral plus large qui aurait accueilli d’autres courants avec lesquels nous partageons un programme anticapitaliste, comme une première étape pour avancer dans la construction d’un nouvel instrument de confluence capable d’engager une conquête de la majorité sociale.
Les principales limites que nous voyons dans la proposition du CUP-UNCpG sont, tout d’abord, qu’elle ne s’adresse qu’au mouvement indépendantiste et n’a pas une politique envers la base sociale de la gauche non-indépendantiste, mais toutefois favorables « au droit de décider ». Son projet ne s’adresse pas de manière spécifique aux adhérents des Comuns (Catalunya en Comú) qui critiquent la dérive gouvernementaliste de leur courant. Elle ne s’adresse pas non plus spécifiquement aux secteurs des nouvelles générations de militant·e·s féministes et écologistes qui ne sont pas clairement favorables à l’indépendance.
Cette question est liée à une autre différence d’ordre stratégique. La proposition politique de la CUP de construire une république catalane est peu liée à la nécessité pour y parvenir de faire tomber le régime de 78 [la transition de 1978 pour assurer le « passage » sans remous de la dictature franquiste à l’Etat espagnol monarchique]. Comme cela a été démontré en octobre 2017, le succès de la lutte pour l’autodétermination de la Catalogne est lié à l’affaiblissement de l’État espagnol et à la construction de mouvements solidaires les plus larges possible. En ce sens, depuis son espace, des pas en avant ont été faits ces derniers temps pour tisser des alliances plus fortes avec les secteurs rupturistes du reste de l’État espagnol, mais l’orientation de la CUP n’intègre toujours pas comme sa propre tâche d’impulser un mouvement politique capable de faire tomber le régime et de permettre des processus constituants.
Enfin, à ce jour, sa stratégie d’alliances post-électorales n’est toujours pas claire, pas plus que sa position sur la participation à un gouvernement avec ERC et JuntsxCat (Junts per Catalunya). Nous pensons que la politique unitaire à l’égard du reste des forces indépendantistes devrait être conduite en affirmant clairement l’autonomie de leurs projets institutionnels et de leur action gouvernementale. Une alternative anticapitaliste, pour être crédible, ne peut pas se trouver les mains liées avec des forces qui appliquent des politiques néolibérales. De même, nous sommes préoccupés par certains accords municipaux depuis les élections de 2019. Ils supposent de raccourcis trompeurs dans un contexte politique extrêmement complexe et difficile. Or, l’une des forces de la CUP jusqu’à présent a été sa capacité à résister à la pression de l’institutionnalisation.
Au-delà du 14F : un nouvel espace partagé pour la gauche rupturiste et souverainiste
Notre pari politique est d’impulser la reconstruction d’une gauche rupturiste et souverainiste qui offrira une alternative dans le domaine de la crise socio-économique et de la volonté d’autodétermination. Ce réarmement doit se faire dans une optique populaire, sociale et de rupture, en dépassant les structures préexistantes et en ne laissant pas se refermer la brèche ouverte dans la légitimité du régime de 78.
Les tâches urgentes qui sont devant nous sont très nombreuses au moment où nous faisons une telle proposition de mise en commun. Nous ne pouvons pas toutes les développer dans ce communiqué.
L’enjeu principal est de contribuer à promouvoir un bloc historique des classes populaires avec un programme aussi radical que les défis qui nous attendent : de la crise écologique au « réaménagement » du capitalisme néolibéral après le coronavirus.
Dans cette reconstruction, il est nécessaire de tirer les leçons des erreurs commises par la gauche suite une évolution institutionnaliste et à des logiques de soutien aux gouvernements qui endossent les politiques sociales libérales, abandonnant tout projet de rupture et d’élan constituant. Il est essentiel d’avoir une stratégie qui ne soit pas enfermée dans des institutions qui ne sont pas les nôtres et qui construise une nouvelle « institutionnalité » avec des objectifs de transformation anticapitalistes.
Nous avons besoin d’outils construits à partir de l’enracinement social, avec des critères de démocratie, de pluralité politique et d’ouverture sur le tissu social et le mouvement propres à ses territoires. S’affirme le besoin de candidatures féministes, qui parient sur la transformation sociale et disposant d’un programme de rupture à la hauteur de la crise civilisationnelle que nous traversons.
Il faut également critiquer les approches stratégiques qui ne sont pas aptes à s’adresser à l’ensemble de la base sociale de la gauche, qu’elle soit indépendantiste ou non. Nous avons toujours considéré qu’une transformation sociale en Catalogne doit réunir les deux volontés exprimées massivement depuis 2011 : le 15M [le mouvement des Indignés du 15 mai 2011] et son héritage, ainsi que le processus indépendantiste, clé pour initier un processus constituant pour une république catalane. Il est essentiel de lier la défense de la souveraineté de la Catalogne à la lutte contre l’austérité et la précarité, seule manière d’élargir les majorités et d’avancer dans une véritable transformation sociale. En ce sens, nous avons un exemple récent dans la défense des lois catalanes promues par le mouvement de défense du logement et contre les expulsions (décret 17/2019 et la loi de régulation) face à l’attaque du Parti Populaire (PP) et du Tribunal Constitutionnel.
Une proposition politique est nécessaire pour tisser des alliances, d’une part, avec les secteurs et les mouvements sociaux qui ont vu une partie de leurs espoirs et de leurs efforts devenir orphelins suite à la défaite du cycle ouvert par 15M. Et, d’autre part, avec des secteurs souverainistes et indépendantistes, certains critiques de certaines positions face au référendum du 1er octobre 2017 et d’autres épuisés par les jeux d’équilibre entre l’indépendantisme et l’autonomisme. Une proposition politique qui permette aussi d’incorporer toute une génération militante qui n’a pas été liée à des projets politiques antérieurs et qui a ressenti, dans l’épanouissement de mouvements comme le féminisme ou le mouvement des jeunes contre le changement climatique, le besoin de s’organiser.
Le 14F : votons contre l’extrême droite et le néolibéralisme
La proposition politique que nous pensons nécessaire n’a pas encore été construite et, par conséquent, les Anticapitalistas ont décidé de ne pas participer à une quelconque candidature à ces élections. Nous sommes conscients qu’il existe un malaise légitime parmi de nombreuses personnes dû au discrédit de la politique et au désenchantement vis-à-vis des différentes forces politiques. Cette donnée souligne encore de manière plus évidente la nécessité de construire un nouvel instrument politique. Malgré tout, nous pensons qu’il est nécessaire de lutter contre l’apathie et que les gens doivent voter parce que les enjeux de ces élections sont importants.
• Premièrement, les sondages indiquent une poussée de Vox. Bien que le Parti Populaire et Ciudadanos partagent des mesures réactionnaires et des discours de haine, le fait qu’un parti d’extrême droite obtienne une représentation au Parlement est une nouvelle terrible pour les classes populaires et une avancée du racisme, du sexisme, de la haine contre les LGTBI et de l’autoritarisme le plus explicite.
• Deuxièmement, les politiques promues par la Generalitat, dans un moment clé pour tracer les voies d’une sortie de la crise, ont un impact réel sur nos conditions de vie. Si les politiques néolibérales continuent d’être imposées et qu’un plan d’urgence social est ignoré, les travailleurs et travailleuses de Catalogne continueront à souffrir de la peur, de l’incertitude et de la précarité.
• Enfin, les résultats de ces élections détermineront également le rôle que les différents projets politiques joueront dans la reconstruction de la gauche, c’est-à-dire les forces qui sont en train de s’intégrer au régime et les forces en faveur de la rupture. Pour ces raisons, nous appelons à voter pour la candidature de CUP-Un Nou Cicle per Guanyar, qui représente une option anticapitaliste et anti-austérité orientée vers une confrontation avec l’État.
En même temps, nous voulons profiter de ces élections pour défendre la nécessité de l’orientation expliciter dans « Changeons de cap : exproprions-les ! »,
en impulsant une campagne de défense de la démocratisation de l’économie, de la répartition du travail et des richesses, du renforcement des services publics et de l’introduction d’une planification garantissant les besoins de la majorité sociale.
Anticapitalistas