Il est de plus en plus évident que le remarquable travail du GIEC est utilisé politiquement par le néolibéralisme. Sous couvert de lutte contre le réchauffement, les gouvernements sont en train de s’accorder sur une stratégie en trois volets : 1°) faire payer le gâchis climatique au monde du travail, aux paysans et aux pauvres en général ; 2°) accroître la domination sur les pays en développement ; 3°) offrir aux multinationales un gigantesque marché dans les « technologies à bas carbone » (le nouveau mot de passe pour inclure le nucléaire dans les « technologies propres » !) . Il est trop tôt pour dire si cette stratégie a des chances d’aboutir. Les obstacles sont nombreux. Mais une chose est certaine : l’offensive est lancée, et elle risque de faire mal.
Le terrain a été balisé par le fameux rapport Stern. La lutte contre les changements climatiques, selon Stern, passerait par l’établissement d’un prix mondial du carbone intégrant les coûts de tous les dégâts futurs du réchauffement. Globalement, l’équipe de Stern a évalué ces coûts à 20% de la richesse mondiale d’ici la fin du 21e siècle, soit autant que les effets cumulés des deux guerres mondiales et de la dépression de 1929. La place nous manque pour expliquer en quoi ce calcul est fondamentalement contestable (il exprime en termes monétaires des choses qui n’ont pas de prix, ce qui aboutit à des monstruosités sur le plan éthique). Contentons-nous de pointer ceci : vu que le changement climatique est attribuable à 75% au développement capitaliste dans les pays développés depuis 1780 (et pas à « l’activité humaine » en général, comme tout le monde le répète sans esprit critique !), imposer un tel prix mondial du carbone revient tout simplement à faire payer à tous les dégâts causés par quelques-uns. Autrement dit, alors qu’elle paraît à première vue « écologiquement correcte », cette idée de « prix mondial vérité » du carbone constitue en réalité un traquenard. Accessoirement, ceci permet de comprendre pourquoi un ancien dirigeant de la Banque Mondiale, comme Stern, plaide paradoxalement pour que le carbone ait un prix identique dans tous les pays et pour que ce prix traduise les coûts maxima du changement climatique, alors qu’il jette les bras au ciel dès qu’un syndicaliste évoque l’harmonisation mondiale vers le haut des salaires directs et indirects…
Il faut bien voir l’effet qu’un tel mécanisme de prix du carbone aurait sur les pays du Sud. L’intensité en énergie et l’intensité en carbone de leurs économies sont plus grandes que celles des pays développés (c’est-à-dire qu’il faut plus d’énergie et de carbone pour produire une unité de PIB). Ces pays seront donc conduits à payer une part relativement encore plus lourde de la facture climatique dont ils ne sont déjà que marginalement responsables. Ou alors - et c’est évidemment ce qui fait saliver les multinationales - ils devront admettre, pour se développer, de s’ouvrir encore plus aux investissements « propres »… et offrir du même coup encore plus de droits d’émission aux pays et entreprises du Nord. Ce mécanisme, dit « de développement propre » (MDP) existe déjà en petit dans le cadre du protocole de Kyoto. Son marché, aujourd’hui, est soumis à une série de limitations : les investissements dans le nucléaire ne sont pas éligibles, et les plantations d’arbres pour fixer le carbone ne peuvent pas excéder une certaine partie des investissements, entre autres. Or, supprimer ces entraves multiplierait les opportunités pour les multinationales par quarante environ. Ce n’est pas pour rien que Stern préconise une batterie de mesures néolibérales telles que l’abolition des barrières douanières pour les produits et services « bas carbone »…
Le moins qu’on puisse dire est que les adversaires de la domination néolibérale sur les pays du Sud devraient attacher plus d’attention à la politique climatique néolibérale. Son masque vert dissimule une réalité nettement moins sympathique. Nous verrons la semaine prochaine que les syndicats, eux aussi, devraient se préoccuper de la chose, et proposerons quelques conclusions