Face à la contestation populaire qui s’intensifie, l’armée birmane a encore durci le ton lundi. Alors que plusieurs centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue à Rangoun, la capitale économique, les responsables militaires qui ont pris le pouvoir, ont pour la première fois menacé les manifestants de représailles.
La loi martiale a notamment été décrétée dans plusieurs quartiers de Rangoun et de Mandalay (centre), deuxième ville du pays. Les manifestations et les rassemblements de plus de cinq personnes sont désormais interdits et un couvre-feu a été instauré, rapporte CNN.
Le commandant en chef de l’armée, Min Aung Hlaing, s’est par ailleurs exprimé pour la première fois dans la soirée, invoquant de nouveau “des fraudes électorales” lors des législatives de novembre pour justifier son putsch. Il s’est engagé à la tenue d’élections “libres et justes” à la fin de l’état d’urgence d’un an et a promis un régime militaire “différent” des précédents. Pour le quotidien de Singapour The Straits Times, Min Aung Hlaing cherche ainsi à “projeter l’image d’un homme d’État plutôt que celle d’un dictateur”, dans le but de rassurer “les investisseurs et les partenaires étrangers”.
Mais “la mise en place de la loi martiale rend plus probable le déploiement de soldats dans les rues”, a expliqué le Dr Min Zaw Oo, directeur exécutif de l’Institut birman pour la paix et la sécurité, au quotidien. “Bien que le régime veuille réduire les risques d’effusion de sang, cela pourrait se révéler difficile car les troupes ne sont pas entraînées à contrôler les foules”, a-t-il remarqué.
Selon le correspondant de la radio publique américaine NPR Michael Sullivan, le ton des manifestations était jusqu’ici “défiant” face au pouvoir, et parfois même “presque festif”, “même si les manifestants plus âgés qui se souviennent des violentes répressions de 1988 et 2007 se sont montrés eux plus réservés”.
“L’armée est-elle prête à tirer sur la foule pour imposer sa volonté ?”
Pour Jonathan Head, correspondant de la BBC en Asie du Sud-Est, les signes envoyés lundi par les militaires putschistes sont inquiétants. “Lors de la dernière flambée de manifestations anti-militaires en 2007, l’avertissement officiel a été donné deux jours seulement avant l’arrivée des soldats qui ont alors ouvert le feu à balles réelles, tuant des dizaines de personnes”, rappelle-t-il. C’était certes “une époque différente, sans médias sociaux, sans téléphones portables et sans Internet”, remarque le journaliste.
Mais “les généraux qui ont pris le pouvoir semblent croire qu’ils ont agi correctement en évinçant Aung San Suu Kyi, avertissant même aujourd’hui que ce sont les manifestants qui menacent la démocratie avec leur ‘manque de discipline’, et non l’armée avec son coup d’État”. La question est maintenant de savoir si l’armée est “prête à subir une impopularité encore plus grande et à tirer sur la foule pour imposer sa volonté”.
“On ne peut qu’espérer que l’institution la plus puissante de Birmanie puisse être convaincue de faire marche arrière, plutôt que de s’engager dans la voie où elle se trouve actuellement et qui ne fera que faire reculer le pays,” estime le Bangkok Post.
Noémie Taylor-Rosner
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