« Sarkozy et Le Pen tentent un hold-up électoral »
Après Ségolène Royal et François Bayrou, Olivier Besancenot était vendredi « l’invité spécial » de Libération. Comme la socialiste et le centriste avant lui, le candidat de la LCR nous a accordé un long entretien puis a participé à la conférence de rédaction pour réagir dans chaque rubrique du journal.
Interview par Matthieu ECOIFFIER, Marie GUICHOUX, Paul QUINIO, Pascal VIROT.
Avez-vous le sentiment que cette campagne est plus dure que celle de 2002 ?
Je ne dirais pas cela. Elle est plus enthousiasmante qu’en 2002. Il y a de la contradiction, de la discussion, pas simplement en meeting mais dans les cités, dans les usines, dans les quartiers, partout. Les aspirations sociales sont beaucoup plus fortes dans les couches populaires et dans la jeunesse. En 2002, on nous questionnait sur l’insécurité. Cette fois, c’est sur l’emploi, le pouvoir d’achat, le service public, le logement, la santé, les retraites. Un terrain sur lequel on a des choses à dire.
Partagez-vous ce sentiment d’être dans une campagne zapping ?
Pour d’autres candidats, oui. Le plus caricatural, c’est Sarkozy, qui passe directement d’un « je t’aime moi non plus » avec Le Pen, à coups de formules provoc sur l’identité ou l’immigration, à Jaurès. Il a une idée générale : celle d’entraîner la campagne sur le thème de l’insécurité, de l’immigration et de l’identité. Ils cherchent à réaliser un hold-up sur le scrutin, comme en 2002. Car si on ne parle que d’insécurité du matin au soir, les gens vont flipper. Et la peur est mauvaise conseillère.
Si la campagne se déroule sur fond de question sociale, pourquoi la gauche est-elle si faible dans les intentions de vote ?
Pendant des mois, la gauche a offert un spectacle qui s’est concentré sur l’affaire de la chasse aux parrainages. Pas mal d’électeurs se sont sentis orphelins d’un débat à gauche sur le social.
Le spectacle de la gauche de la gauche n’a pas été glorieux non plus...
Oui. J’ai eu l’occasion de m’expliquer là-dessus. Mais l’heure n’est plus aux regrets pour la candidature antilibérale unitaire.
Pourquoi n’avez-vous pas voulu de cette candidature unique ?
Ça ne s’est pas fait parce qu’on revendiquait le fait d’être 100 % indépendants de la direction du PS. Cela ne veut pas dire qu’on se trompait de cible. On se présente contre la droite et l’extrême droite. Mais nous faisons la démonstration qu’un espace politique existe où s’inscrit la radicalisation dans une partie de l’électorat des couches populaires, de la jeunesse, qui ne se retrouvent pas dans le projet du PS.
Mais ne refusez-vous pas ce dialogue quand vous dites qu’il faut « une opposition de gauche » à Ségolène Royal ?
Je ne parle pas de dialogue, je parle de confrontation politique. Quand j’ai le PS en face de moi, je n’ai d’autre volonté que de discuter politique, programme, idées, propositions. Et non circonscription électorale ou strapontin ministériel. Ça fait de moi quelqu’un de libre. La grande vanne que l’on me fait, c’est le vote protestataire. Mais où est le problème ? On n’aurait pas le droit de se servir des élections pour gueuler sa protestation et dire qu’on en a ras le bol ?
Si Ségolène Royal est au second tour, quelle consigne de vote donnerez-vous ?
Mais je suis là pour dire qu’il serait bien que, au premier tour, une gauche de gauche se fasse entendre. Sinon, la LCR n’a jamais fait la politique du pire. Dans le passé, soit la LCR a appelé à voter à gauche directement en se pinçant le nez, soit elle ne le faisait pas sans pour autant appeler à l’abstention, en disant au PS : « Allez gagner nos voix au second tour, on ne vous empêche pas de le faire. » Il suffirait de pas grand-chose pour que Ségolène Royal récupère les électeurs qu’elle est en train de perdre au profit de François Bayrou, parfois sur des bases plus à gauche. C’est quand même ahurissant.
Pour vous, Royal et Bayrou, c’est blanc bonnet et bonnet blanc ?
Je fais toujours une différence entre la gauche et la droite. Mais est-ce que Ségolène Royal est toujours sûre d’en faire une ? Bayrou est un homme de droite, et il le reste.
Y a-t-il dans le programme de Royal deux ou trois points avec lesquels vous êtes en accord ?
Elle a fait quelques sorties sur le logement qui étaient intéressantes. Elle reprend même un certain nombre de nos idées, comme celle de récupérer les aides publiques données aux licencieurs. Mais, à l’arrivée, il n’y a pas photo : elle défend un programme social libéral.
Vous dites qu’il faut inventer une nouvelle formule de révolution. Qu’est-ce que ça signifie ?
Je suis militant révolutionnaire, c’est comme ça que je me définis, plus que comme un trotskiste. J’ai un drapeau rouge, mais il y a du noir dedans. Il y a aussi les expériences de toutes les révolutions latino-américaines.
Le non à la Constitution européenne continue-t-il selon vous de structurer le paysage politique, notamment à gauche ?
Le non est un élément de recomposition politique à gauche, mais ce n’est pas un élément qui structure à lui seul une position politique stable. Le non de gauche n’a pas suffi à faire la gauche du non.
Une recomposition à gauche est-elle possible ?
Je ne pense pas que la phase de recomposition politique pour rassembler sans sectarisme des forces anticapitalistes dans ce pays soit terminée. Il y a un rendez-vous électoral qui a été loupé. Mais notre projet reste, après les élections, de rassembler ces forces anticapitalistes. Le problème est de savoir sur quel programme et sur quel type de rapports avec le PS.
Etes-vous rebuté par l’idée d’exercer le pouvoir ?
Je n’ai pas la peur du pouvoir. J’estime, comme Louise Michel, que le pouvoir donne des vertiges à beaucoup, même dans la gauche radicale. Comme elle, je milite pour que le pouvoir soit partagé par tous. Quand nous avions des conseillers régionaux, cela n’a pas été inutile. Le problème n’est pas un débat abstrait mais de savoir à quel prix nous pouvons être au pouvoir.
Quelles sont les trois premières mesures que vous prenez si vous arrivez au pouvoir ?
Même si je n’arrive pas au pouvoir, les trois mesures sur lesquelles je veux peser sont l’augmentation des revenus de 300 euros net par mois, l’interdiction des licenciements avec l’idée de récupérer les aides publiques données aux licencieurs, et la création d’un service public du logement oeuvrant à la réquisition des logements vides, et l’inéligibilité pour les élus qui ne respectent pas l’obligation des 20 % de logements sociaux dans leur commune, à commencer par M. Sarkozy.
Comment analysez-vous l’appel au vote utile du PS en faveur de Ségolène Royal ?
On culpabilise les gens avec le 21 avril 2002, on utilise le rejet légitime de la politique de Sarkozy et on se fait élire sans aligner une proposition politique audacieuse. C’est un calcul politique. Mais il ne faut pas se tromper de cible. Si le PS veut être au second tour, qu’il regagne les voix qu’il perd au profit de Bayrou, qui pour l’instant remporte la mise.
Trois candidats d’extrême gauche, un altermondialiste, une communiste... Comment expliquer cette spécificité française ?
On est un pays de révolution, de bordel, de grève générale, capable de dire non, quand on lui donne la parole, à un traité constitutionnel européen qu’on lui a demandé d’avaler. C’est un pays un peu à part. Je ne veux pas d’un modèle où il n’y a qu’un seul tour, celui des Etats-Unis, où le choix entre les républicains et les démocrates, c’est celui entre Pepsi et Coca.
Vous vous représenterez en 2012 ?
Ne me posez pas des questions comme celle-là ! On n’est même pas au premier tour. Mais je ne me vis pas comme l’éternel candidat d’extrême gauche aux élections. Cela ne veut pas dire que je me retirerai de la vie politique. J’irai m’installer sur l’île de Ré...
Derrière la spontanéité, des « besancemots » très bien pesés
Les reparties et les petites phrases du candidat LCR sont en fait travaillées et adaptées aux circonstances.
Par Matthieu ECOIFFIER
Pour sa seconde présidentielle, Olivier Besancenot a peaufiné son discours En cinq ans, il a multiplié les virées dans les entreprises en lutte, les cités et les manifs. Avec ses deux pères spirituels Alain Krivine et Françoi Sabado en gardiens du temple, il répète et actualise ses interventions sur un canevas balisé. Et minuté. Derrière le parler « djeun », il y a le dialectique, qu’il délivre chaque fois sans lire son texte et à l’intonation près. Exemples de ces « besancemots », glanés en déplacement à Hem (Nord et en meeting à Lille.
« Le vote du cœur, de la tête, ou des tripes ? »
« J’entends beaucoup : « Avec le cœur je voterais pour toi, mais avec la tête je veux battre Sarkozy. » Qui n’a pas été traumatisé par le 21 avril 2002 ? » reconnaît Besancenot. Avant d’accuser le PS d’aller sur les terrains de la droite au lieu de la combattre. Tout en restant rassurant sur la consigne de l’entre deux tours : « On n’a jamais fait la politique du pire. »
« Il n’y a pas qu’une seule gauche », mais « deux gauches » totalement irréductibles. Il martèle : « Cette nouvelle génération politique qui a peur de Sarkozy et qui est pleine d’espérance, on n’a pas le droit de la flinguer avec une deuxième gauche plurielle. » Et pour obtenir « une politique 100 % à gauche », la meilleure garantie c’est lui : « Moi, on ne va pas m’acheter avec un strapontin ministériel ou une circonscription. »
« Révolutionnaire aux petits bras musclés ».
« Moi, je me sens plus que jamais révolutionnaire. Mais la révolution, je ne la ferai pas tout seul avec mes petits bras musclés. » Sa révolution ? Plutôt Mai 68 qu’octobre 1917. « 300 euros de plus par mois, c’est 30 % d’augmentation des salaires ; la dernière fois qu’on a obtenu ça, c’était en 1968. Un nouveau Mai 68, ce n’est pas forcément cramer les voitures de son voisin, mais bloquer le pays. » « Nous, les révolutionnaires, on a la rage face à l’urgence de la situation. »
« Net, pas brut ».
Parce que « la boulangère ne vous vend pas la baguette en brut », lui « n’endor[t] pas les gens et parle toujours en net ». Il veut « le Smic à 1 500 euros net tout de suite. Et pas 1 500 brut d’ici à 2012 comme le propose Ségolène Royal [soit 1 300 euros net, ndlr] ».
« Ça va pas être possible ».
Autre figure de style : Besancenot joue la partition de ses adversaires, parlant de lui à la troisième personne : « Toute la classe politique dit comme dans la chanson de Zebda : « Ça va pas être possible. » Si l’on applique un dixième de ce qu’Olivier Besancenot propose, les capitaux vont partir. Eh bien, j’ai un scoop : ils se barrent déjà. » Mais quand pour récupérer 10 points de PIB il propose d’aller taper dans les profits des entreprises du CAC 40, un étudiant critique : « Son discours est intemporel. Dans dix ans, il suffira de changer le nom des boîtes et d’exiger la même chose... »
« Les citrons et les Kleenex ».
« Travailler plus longtemps pour gagner plus d’argent, c’est du bluff. Il y a 5 millions de chômeurs en France ! Faire de nous des citrons ou des Kleenex, voilà ce que Sarkozy propose. » Besancenot en appelle « au bon sens » avec des formules toutes faites : « Travailler moins pour travailler tous. » Soit la semaine de 32 heures. « Comment il peut descendre à 32 heures tout en augmentant les salaires de 300 euros ? C’est pas possible ! » s’énerve Guillaume, un étudiant lillois.
A la fin du meeting, la salle n’est pas totalement conquise : « Il est drôle et bon orateur, mais voter pour lui, quand même pas », précise Guillaume, qui « préfère Sarkozy sur l’économie et Besancenot sur le social ». « Il y a du vrai et il y a de l’abus, il va trop loin », ajoute son pote Luc. C’est pas gagné, mais bien joué.
Le casse-tête du 22 avril au soir
La question du second tour pèse déjà sur les épaules du candidat de la LCR.
Par Paul QUINIO
Rendez-vous le 22 avril. Avec, forcément, le 21 avril en tête. Olivier Besancenot se débrouille plutôt bien pour botter en touche quand on l’interroge sur la consigne qu’il donnera à l’issue du premier tour en cas de qualification de Ségolène Royal. C’est de bonne guerre. Le candidat de la Ligue communiste révolutionnaire espère bien arriver en tête des candidat de la gauche de la gauche, et il est suffisamment averti pour ne pas démobiliser son électorat potentiel en disant ce qu’il fera dans huit jours. De bonne guerre aussi le fait de renvoyer la balle dans le camp de la socialiste en la mettant au double défi de récupérer les électeurs tentés par le vote Bayrou et ceux séduits par la radicalité. Car le faible niveau du total de la gauche dans les intentions de vote est d’abord un problème pour la candidate PS.
« Cambouis ». Un problème de ligne politique, dit Olivier Besancenot, qui l’invite à convaincre toute seule, comme une grande, l’électorat de gauche désorienté par sa candidature, par ses prises de position et par sa campagne. Un problème incontestable de dynamique de second tour pour Royal. Car, même si une autre élection commencera le 22 au soir (toujours dans l’hypothèse où la candidate du PS en serait), l’ampleur des « réserves » de voix à gauche sera évidemment déterminante. Et si la socialiste est sûre de pouvoir compter sur les désistements de la verte Dominique Voynet, de la communiste Marie-George Buffet et de l’altermondialiste José Bové, ils pèseront sans doute moins lourd que les trois candidats trotskistes réunis. Pas évident pour un parti, le PS, dont la stratégie depuis le 21 avril 2002 a consisté à renvoyer l’extrême gauche à son irresponsabilité politique, au sens où la question de l’exercice du pouvoir pour elle ne se pose pas. Pas la peine donc de discuter avec des formations qui ne veulent ni discuter ni « mettre les mains dans le cambouis » de l’exercice du pouvoir, répète François Hollande depuis cinq ans. L’illustration de cette stratégie étant, pendant la période de précampagne, le veto imposé à ses élus par le PS pour les empêcher de parrainer d’autres candidats que Ségolène Royal.
Mais dans huit jours la problématique s’inversera. Et la pression sera d’autant plus forte sur le candidat de la LCR qu’il arrivera sans doute en tête des candidats de la gauche de la gauche. Surtout quand le rapport de force droite-gauche penchera en faveur de la droite... Olivier Besancenot sera alors devant un dilemme : faire un geste en direction de la gauche « sociale-libérale », comme il dit, ou faciliter la tâche du candidat de droite le précédent de 2002 ne laissant pas de doute sur son attitude en cas de nouvelle mauvaise surprise Le Pen face à Royal.
Pari. Le chemin est d’autant plus étroit que l’ambition du candidat de la LCR ne s’arrête pas au soir du 22 avril, puisqu’il espère être en position de fédérer, après l’élection, la « vraie » opposition de gauche, quel(le) que soit le (la) président(e) élu(e). Autrement dit de réussir autour de lui, sur les décombres du PCF, l’unité antilibérale impossible à réaliser avant le scrutin. Un pari qu’il ne peut réussir qu’en gardant ses distances avec la gauche de gouvernement. Facile dans la semaine qui vient. Sans doute moins dès 20 heures le 22 au soir.
Dans les locaux de « Rouge », au QG du candidat
Staff réduit et petites mains : la campagne LCR repose sur les militants.
Par Tonino SERAFINI
Dans la rue Richard-Lenoir, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), aucun de signes extérieurs du QG de candidat à l’élection présidentielle. Pas d voitures de police, alors qu’on en compte plus d’une dizaine devant le siège de campagne de Nicolas Sarkozy, rue d’Enghien (Paris Xe). Pas de va-et-vient Ni de banderole. Non, le QG du candidat Olivier Besancenot est un petit immeuble des années 60 à la façade vieillie. Habituellement, il abrite la direction nationale de la LCR, l’hebdo Rouge et son imprimerie. Aucune indication sur la porte d’entrée. C’est seulement après avoir pénétré dans un couloir qu’apparaissent les premiers contours d’un QG de campagne : d’abord une affiche avec portrait et slogan « Nos vies valent mieux que leurs profits » , puis une autre, « LCR 100 % gauche ».
Au premier étage, François Sabado, membre de la direction nationale du parti. D’ordinaire il travaille à l’ANPE, mais il s’est mis en disponibilité pour trois mois. Il s’occupe de l’ « orientation politique de la campagne ». En tout, une dizaine de personnes ont pris un congé sans solde, total ou partiel, dont le candidat Besancenot. La direction de campagne, qui se réunit tous les lundis, comporte plusieurs départements : organisations de meetings, relations presse, argumentaire... Mais avec un personnel réduit au strict minimum.
Le site Internet (1) est animé par Fred Speelman, un webmestre indépendant qui s’est lui aussi rendu disponible pendant ces trois mois : « Deux autres personnes m’aident occasionnellement. » Un boulot monstre lorsque l’on sait que des dizaines de petites mains s’affairent au quotidien pour animer « Désirs d’avenir » chez Ségolène Royal.
Et les militants ? « Ils font du travail de terrain : distribution de tracts, collage d’affiches, préparation de salles pour les meetings, rencontres », répond Michel Bidaux, prof à la retraite et responsable des relations avec la presse. Les militants ont été particulièrement mis à contribution lors de la recherche des parrainages. « On a vu 17 000 maires, dont certains plusieurs fois », souligne Martin Olivier, qui a eu la lourde responsabilité de recueillir les 551 signatures d’élus permettant à « 0livier » d’être candidat.
(1) www.lcr-rouge.org