Officiellement, c’est une guerre éclair qu’a menée le gouvernement éthiopien dans la région dissidente du Tigré, dans le nord du pays. Le 28 novembre, trois semaines après le début des hostilités, le Premier ministre et Prix Nobel de la paix Abiy Ahmed déclarait la victoire de ses troupes après la chute de Mekele, la capitale de la région.
Un mois et demi plus tard pourtant, la situation semble loin d’être apaisée. Les informations émanant du Tigré restent parcellaires,, alors que les journalistes n’ont toujours pas accès à la zone. Le 9 janvier néanmoins, Bloomberg publiait des images satellite montrant des destructions récentes dans deux camps de réfugiés.
Dans le camp de Shimelba, les images montrent ainsi des terres roussies, qui suggèrent des attaques au mois de janvier, note Bloomberg. D’après l’analyse du réseau DX Open Network, une organisation non gouvernementale britannique, un entrepôt du Programme alimentaire mondial ainsi qu’une école ont été incendiés. À trente kilomètres de là, dans le camp de Hitsats, le réseau a identifié près d’une quinzaine d’infrastructures en feu début janvier.
“Les images satellite récentes montrent que dans les deux camps des infrastructures sont volontairement ciblées, a assuré à Bloomberg l’analyste du DX Open Network, Isaac Baker. Les incendies systématiques et généralisés sont compatibles avec l’hypothèse d’une campagne délibérée visant à empêcher l’utilisation du camp.”
Des responsables tigréens tués ou arrêtés
Alors que certains humanitaires ont pu accéder au Tigré après des semaines de blocage, début janvier, un rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, relayé par le journal éthiopien The Reporter, indiquait lui aussi que la situation restait volatile dans les zones rurales et que des affrontements persistaient dans certaines zones toujours inaccessibles.
Dès l’annonce de la victoire des troupes fédérales, le Front populaire de libération du Tigré (FPLT),, à la tête de la région jusque-là, contestait les déclarations du Premier ministre et assurait que les combats se poursuivaient. Pourchassés, plusieurs responsables tigréens de premier plan ont été tués ou arrêtés ces derniers jours. L’armée a ainsi annoncé la mort de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Seyoum Mesfin, le 14 janvier, moins d’une semaine après l’arrestation de Sebhat Nega, membre fondateur du FPLT.
Loin du “retour à la normale” souhaité par le Premier ministre éthiopien, le 15 janvier, le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, disait recevoir “des informations concordantes faisant état de violences à visée ethnique, d’assassinats, de pillages massifs, de viols, de retours forcés de réfugiés et d’éventuels crimes de guerre”. Il évoque plus de deux millions de déplacés dans le sillage du conflit.
Plus inquiétant encore, la situation se détériore à travers tout le pays, s’inquiète The Reporter, accentuant les craintes d’une dislocation de l’Éthiopie. Plus d’une centaine de heurts ont été recensés depuis l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed, soit toutes les semaines. Selon le New York Times, au moins 80 personnes ont ainsi été tuées dans la région de Benishangul-Gumuz le 12 janvier. La veille de Noël, 200 personnes avaient déjà trouvé la mort dans un raid mené par des hommes armés.
Le conflit menace également de s’internationaliser alors que les tensions sont au plus haut entre le Soudan et l’Éthiopie à propos d’une région de terres fertiles où la frontière n’a jamais eu de démarcation précise. Comme l’explique The Reporter dans un long exposé sur l’histoire de cette frontière, en décembre 2020, l’armée soudanaise, réagissant à des attaques imputées à des “gangs éthiopiens”, a déployé ses forces à la frontière avant de reprendre le contrôle du triangle d’Al-Fashaga.
Le 5 janvier, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères éthiopien, Dina Mufti, accusait le Soudan de “profiter des efforts de maintien de l’ordre dans le nord du pays pour prendre le contrôle du territoire éthiopien”. Plus récemment, le 14 janvier, il a mis en garde :
“La paix et le respect des normes internationales sont toujours la priorité de l’Éthiopie. Néanmoins, l’Éthiopie a ses limites.”
David Scott Mathieson
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