La campagne vaccinale thaïlandaise devrait commencer officiellement le 14 février, alors que le pays enregistre une seconde vague et deux nouveaux décès dus au Covid-19. Ce sont 61 millions de doses du vaccin AstraZeneca, approuvé selon une procédure d’urgence par l’administration la semaine dernière, qui ont été commandées, indique notamment le quotidien Khaosod.
Mais, depuis quelques jours, les critiques se font de plus en plus vives face à une stratégie vaccinale qui semble influencée par les intérêts industriels, dénoncent certains.
Ainsi, le site Thai Enquirer s’insurge contre la décision du gouvernement de rejeter l’offre de l’Inde d’envoyer immédiatement 2 millions de doses du vaccin AstraZeneca. “Elles coûtaient 3 dollars chacune, moins que les 5 dollars de celles qui seront produites localement par Siam BioScience.”
Les autorités n’ont fourni aucune explication pour justifier ce rejet, signe, estime le site, de la “mauvaise gestion des affaires du pays dans les mains d’un gouvernement dirigé par le Premier ministre Prayuth Chan-ocha,, qui a mené le coup d’État de 2014”.
Au bénéfice des milliardaires
Par ailleurs, le choix du gouvernement de se procurer le vaccin du chinois Sinovac “peut soulever des questions mais ne devrait pas surprendre au vu du pouvoir croissant” du conglomérat géant thaïlandais CP. Ce dernier détient 15 % de l’entreprise chinoise Sinovac Life Sciences, située à Pékin, au travers de sa branche pharmaceutique, Sino Biopharmaceutical.
Le site souligne combien les grandes entreprises et les oligarques du pays ont bénéficié depuis le coup d’État de 2014 de l’autoritarisme croissant du pouvoir, “aux dépens du peuple”. Ainsi :
“La manière dont le pays se procure les vaccins fait fi de la vie des citoyens ordinaires au nom de machines à faire de l’argent des membres du ‘Who’s Who’ thaïlandais.”
Rien de surprenant au vu des liens d’allégeance entre Prayuth et les milliardaires, dont certains ont contribué à financer sa campagne électorale.
Monopole du pouvoir
Mais le site insiste sur “les conséquences du Covid-19 qui blessent le pays comme jamais auparavant. Le nombre d’emplois perdus, en 2020, atteint des records, tandis que les nouveaux diplômés peinent à trouver un premier emploi, avec un avenir sombre.”
Dans un royaume agité ces derniers mois par une contestation inédite de la place de la monarchie par une nouvelle génération d’étudiants, l’annonce de l’attribution de la fabrication des 61 millions de doses d’AstraZeneca à Siam BioScience – “entreprise détenue à 100 % par le Palais” et “sans aucune expérience préalable dans la production de vaccin”, ajoute Khaosod dans un autre article – n’a pas manqué de faire polémique.
Thanathorn Juangroongruangkit, homme politique dont le parti Future forward a été dissous en février 2020 dans une décision qualifiée de biaisée par des organisations de défense de la démocratie, a remis en cause cette décision. Le monopole octroyé à Bioscience pour produire le vaccin AstraZeneca lui assure un contrat de 6 milliards de bahts [plus de 160 millions d’euros], précise Khaosod.
L’arme du crime de lèse-majesté
Les questions soulevées par Thanathorn Juangroongruangkit sur le bien-fondé d’un tel contrat lui ont valu d’être accusé d’insulter la monarchie par des représentants du gouvernement.
Onze plaintes de lèse-majesté ont été déposées en ce sens contre lui. Une accusation qui est loin d’être neutre, quelques jours après la condamnation à 43 ans de prison d’une ancienne fonctionnaire pour des faits similaires.
En réaction, rapporte Khaosod, Thanathorn Juangroongruangkit a déclaré :
“Prayuth a toujours utilisé l’institution monarchique pour cacher l’inefficacité de sa gestion disant qu’il est loyal à la monarchie et la protège. Ce n’est pas moi qui évoque la monarchie dans cette question de vaccins, c’est Prayuth. […] Est-ce correct qu’en soulevant ces questions avec le gouvernement je puisse être accusé de tels crimes ? D’autres personnes critiquant le gouvernement seront-elles accusées de la même manière ? Critiquer le gouvernement est donc assimilé à être un ennemi de la monarchie ?”
Mais le gouvernement défend sa politique vaccinale, explique Khaosod dans un troisième article,, qui évoque la lettre ouverte adressée par le ministère de la Santé à Thanathorn Juangroongruangkit. On peut notamment y lire :
“Laissez-moi vous confirmer qu’acheter 61 millions de doses d’AstraZeneca et 2 millions de Sinovac constitue la meilleure solution pour la Thaïlande et ses habitants.”
Enfin, Thai Enquirer rappelle que, depuis le 20 décembre, date de la découverte de 700 cas en une journée, le pays a enregistré 9 500 nouveaux cas de coronavirus.
Courrier International
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez chaque lundi par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais, dans la semaine écoulée.