Lorsque s’ouvre le 17e congrès du Parti socialiste italien, le 15 janvier 1921 au théâtre Goldoni, à Livourne, il est clair pour tous les participants que c’est la dernière fois qu’ils se réunissent ensemble.
Au précédent congrès de Bologne en octobre 1919, l’assemblée a voté à 65% des voix l’adhésion à l’International Communiste, fondée par les bolchéviques après la victoire de la révolution russe.
Gardes rouges devant une usine en 1920. Crédit Photo.
Et le courant dit « maximaliste » a pris la direction du PSI, en replacement du courant réformiste, dirigé par Filippo Turati.
Autour d’Amedeo Bordiga, une Fraction communiste s’est formée au sein du PSI, exigeant l’exclusion des réformistes, et la création d’un nouveau parti communiste à la place du vieux parti socialiste. Tandis que l’autre partie des maximalistes, regroupée autour de Giacinto Menoti Serrati, est opposée à cette exclusion, et veut arriver à une conciliation permettant de préserver l’unité du parti. Serrati propose par exemple de changer le nom du parti en « Parti socialiste-communiste ». Lénine, estimant que Serrati craint que la scission affaiblisse les positions du parti dans les syndicats, la gestion des coopératives et des communes, dit que celui-ci « met en danger le sort de la révolution pour ne pas nuire à l’administration communale de Milan ».
En fait, le PSI ne s’est jamais démarqué de la direction de la CGL (Confédération générale du travail) ou de son groupe parlementaire, véritable parti dans le parti, dont la politique n’avait rien de révolutionnaire. Et il a montré sa faillite au cours du « Biennio rosso » (les deux années rouges) de 1919-1920, lors de l’occupation des usines, en laissant les évènements se dérouler, sans être capable de la moindre initiative.
C’est donc dans une atmosphère particulièrement houleuse que se déroule le congrès de Livourne. Les orateurs peinent à se faire entendre aux milieux des cris, interruptions, et plusieurs fois on manque de peu d’en arriver aux mains.
Trois motions y sont présentées, qui ont été adoptées par les trois tendances lors de réunions précédant le congrès. La motion d’Imola, du nom de la ville où la Fraction communiste avait tenu sa conférence déclare « incompatible la présence dans le parti de tous ceux qui sont contre les principes et les conditions de l’Internationale Communiste ».
La motion présentée par les maximalistes obtient 98 092 voix, celle des communistes 58 183 voix et celle des réformistes 14 695.
Les communistes, devant l’impossibilité de rallier la majorité à leur cause, estiment que la gravité de la situation impose de faire des choix, et décident le 21 janvier d’abandonner le Parti socialiste, jugé inapte à la conquête du pouvoir. Quittant le congrès les délégués communistes vont se réunir au théâtre San Marco où ils proclament la constitution du « Parti communiste d’Italie, section de l’Internationale Communiste » [1]. Un comité central de 15 membres est immédiatement élu, ainsi qu’un comité exécutif de 5 membres.
La composition des organes dirigeants du PCd’I ne fait pas l’objet de tractations, elle tient simplement compte de l’importance relative entre les différents groupes fondateurs : le groupe des ex- abstentionnistes [2] constitué à Naples autour de Bordiga et du journal « Il Soviet », le groupe de Turin, autour d’Antonio Gramsci et de « l’Ordine Nuovo » et celui constitué par Bruno Fortichiari, secrétaire de la section de Milan du PSI.
Seule l’élection de Gramsci au Comité Central rencontre quelques objections, certains lui reprochant son « semi-patriotisme » lors de la déclaration de guerre.
C’est le courant de Bordiga qui est majoritaire et il peut compter sur le soutien du groupe de Milan. Contrairement à ce qu’écrivent parfois des historiens, Bordiga, dirigeant de fait, et incontesté, du nouveau parti communiste, n’en a jamais été secrétaire général (le poste fut créé pour Gramsci, lors de son troisième congrès, en 1926).
Par rapport au PSI, le Parti communiste est un parti de jeunes. L’âge moyen des membres du CE est de 32 ans. Mais surtout, il peut compter sur l’appui de la Fédération de la jeunesse socialiste (FGSI), forte de 50 000 inscrits, dont 80% se prononceront pour suivre le PCd’I.
Une scission trop à gauche ?
Si les partis socialistes se sont scindés dans différents pays, la ligne de scission et la situation qui en résulte n’est pas partout la même.
Serrati reproche aux dirigeants de l’IC de vouloir exclure Giuseppe Emanuele Modigliani, l’un des dirigeants de l’aile réformiste, présent à la conférence internationale de Zimmerwald contre la guerre, alors qu’ils ont accepté l’entrée dans la Section Française de l’Internationale Communiste de Marcel Cachin, connu pour son passé social-patriote. [3]
À Livourne, la scission a pour résultat la formation d’un parti de classe intransigeant, que rejoignent beaucoup des meilleurs militants ouvriers, mais le PSI conserve néanmoins une forte influence dans la classe ouvrière, et toute une partie des militants dévoués à la cause révolutionnaire ont fait le choix d’y rester, par fidélité avec leur parti.
C’est pourquoi, les dirigeants de l’IC, Lénine en tête, n’auront de cesse de pousser le PCd’I à essayer de les regagner. Lénine, qui combat le sectarisme des communistes italiens explique que si la scission avec Serrati était nécessaire, il est maintenant nécessaire de s’allier avec lui. [4]
On peut aussi se poser la question de savoir si cette scission n’a pas affaibli le mouvement ouvrier, en pleine montée du fascisme. Mais la suite a montré que, de toute façon, PSI et PCd’I ont eu des politiques difficilement compatibles. Le PSI signant, en août 1921, avec le parti fasciste un « pacte de pacification », afin de « rétablir la paix intérieure ». Pacte que Mussolini n’avait bien sûr aucune intention de respecter.
De Bordiga à Togliatti
Au 3e congrès, qui a lieu en janvier 1926 à Lyon, la répression fasciste ne permettant plus qu’il se déroule en Italie, un nouveau groupe dirigeant, formé autour de Gramsci avec le soutien de l’IC, prend la tête du parti. Bordiga et ses partisans, adversaires de la politique de Front unique, se retrouvent écartés de la direction.
Après l’arrestation de Gramsci, le 9 novembre 1926, Palmiro Togliatti le remplace à la direction du parti. D’abord proche de Boukharine, quand celui-ci sera écarté de la direction de l’IC, il suivra, avec zèle tous les virages imposés par la nouvelle direction stalinienne.
Au cours des années, les opposants seront exclus les uns après les autres du parti communiste, toujours victimes des pires calomnies, parfois même assassinés quand l’occasion le permet.
C’est ainsi qu’au moindre soupçon de désaccord avec la politique de Staline, près de 200 italiens, réfugiés en URSS pour échapper au fascisme, mourront dans les camps ou seront fusillés, accusés d’être des « contre-révolutionnaires trotskystes ». L’ouverture des archives a montré que nombre de ces assassinats ont eu lieu avec l’approbation de Togliatti lui- même.
La longue marche de l’opportunisme
Après un cours ultra-sectaire et aventuriste de l’Internationale Communiste (1929-1934) où la social-démocratie, qualifiée de « social-fasciste » est considérée comme l’ennemi principal (une politique criminelle qui aura des conséquences désastreuses en Italie, mais surtout en Allemagne, au moment de la montée du nazisme) vient la période des Fronts populaires.
De « tournants » en « tournants », la route suivie par le PCI sera de plus en plus opportuniste et de plus en plus éloignée du communisme. Avec la fin de la seconde guerre mondiale s’ouvre une période d’union nationale. De retour d’URSS, en mars 1944, Togliatti décrète le « tournant de Salerne », il fait pression sur les alliés du PCI dans la résistance, le PSI et le Parti d’Action pour qu’ils renoncent à faire un préalable de la suppression de la monarchie, et accepte de participer au gouvernement formé par le maréchal Badoglio, avec l’appui des alliés anglo-américains, après le lâchage de Mussolini par Badoglio. Togliatti, participera aux différents gouvernements entre 1944 et 1947, quand le PCI en fut définitivement chassé, au déclenchement de la « guerre froide ».
Si le PCI se débarrasse peu à peu des oripeaux du stalinisme, au nom d’une prétendue « voie italienne vers le socialisme », en fait une voie vers la participation gouvernementale, c’est pour mener une politique de plus en plus à droite d’ouverture vers la Démocratie chrétienne. En 1973, Berlinguer lui propose un « nouveau compromis historique », mais la bourgeoisie italienne veut encore plus de gages et même si le PCI obtient 34, 4 % des voix aux élections de juin 1976, il doit se contenter de soutenir le gouvernement, au nom de l’« urgence nationale », sans être autorisé à y participer.
Depuis longtemps, le PCI, dont on disait qu’il était le plus important parti communiste d’Europe occidentale (il a compté jusqu’à plus de 2 millions d’inscrits) n’avait plus de communiste que le nom. Un nom qu’il se décida finalement à abandonner, en 1991, 70 ans après sa fondation. Se transformant d’abord en « Parti démocrate de gauche », puis simplement « Parti démocrate », en 2007, après la fusion avec une formation démocrate-chrétienne. [5]
Thierry Flamand