L’idée que le syndicalisme étudiant, malgré la réunification des deux Unef, ne serait plus que l’ombre de lui-même, par comparaison avec la « grande Unef » (1950-1960) qui organisait près de la moitié des étudiants, est très répandue. Comment expliquer que, aujourd’hui, l’Unef ne parvienne plus à être un syndicat de masse, alors que le monde étudiant est davantage en proximité avec le salariat ?
En fait, il n’y a pas de lien mécanique entre réalité sociologique et conscience collective. C’est déjà le cas dans le monde du travail, et la présence massive des étudiants dans le salariat n’a pas d’effet automatique en termes de syndicalisation. On peut même dire que la massification rend plus hétérogène et plus difficile l’identification collective du groupe. Dans les petites unités (IUT, petites facs), par exemple, la sociabilité est plus forte.
La relation entre l’étudiant et l’institution est moins un rapport de travail qu’un rapport au travail, souvent vécue comme relation individuelle avec les enseignants. Les rapports enseignant/étudiant ne sont pas ceux du salarié avec un supérieur, contremaître ou cadre. Il est plus facile de discuter notes avec un prof, que salaire avec un contremaître. L’adhésion à l’Unef s’expliquait par la dimension identitaire (on adhère parce qu’on est étudiant) et la nécessité revendicative (budgets, locaux, etc.). Aujourd’hui, on peut être membre de plusieurs associations jouant un rôle identitaire, de sociabilité, et être, par ailleurs, membre d’une organisation à vocation syndicale. Ces mutations sociologiques se font dans un contexte historique de division et de désyndicalisation. Sans doute, dans un autre paysage politique, elles auraient produit d’autres effets...
De la « grande Unef »...
On peut tracer un parallèle entre la désyndicalisation des étudiants et celle qui touche les salariés. Dans les années 1960-1970, le syndicalisme étudiant préfigure la « crise du syndicalisme » : divisions, éclatements et recul de l’organisation. La « crise de la délégation de pouvoirs » frappe dans les secteurs où, justement, les individus ont le sentiment d’avoir les compétences nécessaires leur permettant de se passer d’intermédiaires, c’est-à-dire les secteurs à fort capital culturel et scolaire. Or, le syndicalisme, pour être attractif, ne doit pas revêtir une fonction revendicative trop étroite. Si l’adhésion a un sens, elle doit permettre la socialisation, le regroupement autour d’identités collectives valorisées. Ce sont ces identités qui sont à redéfinir, reconstructions qui sont l’objet de luttes de représentation.
L’Unef a joué un rôle important contre la guerre d’Algérie, en prenant de grands risques politiques. Certains se demandent si elle ne serait pas aujourd’hui devenue plus « docile », plus « intégrée ». Rappelons que quand elle « désobéit » après 1956, l’Unef est, en réalité, très intégrée : reçue et entendue par les ministres, les recteurs et les doyens ; gérant ou cogérant des services et des institutions (mutuelle, œuvres universitaires). Paradoxalement, cette « intégration » lui donne la force de la contestation et de la « désobéissance ». Dans les années 1980-1990, les Unef seront, dans une certaine mesure, moins « intégrées », moins puissantes, ce qui n’interdira pas une adaptation à certains gouvernements, en certaines occasions. Toutefois, on ne peut que constater qu’au moment du CPE, en appelant au boycott des élections aux Crous, l’Unef a fait le choix de la mobilisation et non celui des intérêts d’appareil à court terme, ce choix d’orientation et d’action ayant provoqué une baisse des subventions dont elle bénéficie.
La difficulté du syndicalisme étudiant - et pas seulement étudiant -, c’est qu’il agit dans un service public. Entre « intégration » et « rupture », il lui faut à la fois contester et proposer, car il s’agit de défendre les « intérêts du service public », qui ne sont pas contradictoires avec ceux des usagers et des travailleurs du secteur. C’est une tension permanente. Parfois, on s’interroge : quel dosage entre le syndicalisme revendicatif et le syndicalisme de service, qui a caractérisé l’Unef d’autrefois ? Mais la question n’est pas celle du dosage, c’est celle de la possibilité de doser. Quand il y a des équipes militantes importantes, bien implantées, il peut y avoir une pluralité d’investissements - d’un côté, gestion de cafétérias, polycopiés, etc., de l’autre, rôle de réflexion et d’action collective - et une capacité à regrouper plusieurs types de personnes aux centres d’intérêts différents mais convergents. Aujourd’hui, il y a plutôt « spécialisation » des structures, même si les syndicats étudiants manifestent leur volonté de (ré)occuper cette place. Mais de la volonté à la pratique, il y a un pas difficile à franchir, d’autant que ce type d’activités, autrefois monopole étudiant (polycopiés, photocopies), est pris en charge par l’université ou les commerces privés.
... aux coordinations
Être étudiant, c’est vivre une situation transitoire, et l’université n’est pas vécue comme un lieu légitime d’exercice de la citoyenneté. Seuls 10 à 15 % des étudiants votent aux élections universitaires, alors que 60 à 70 % d’entre eux votent aux élections municipales, législatives et présidentielle. Les enquêtes de 2001 et 2002 indiquent que 45 % des étudiants sont membres d’une association. Ce chiffre tombe à 15 % pour les groupements associatifs ayant une vocation plus « universitaire » (syndicats, associations de filières). Les autres se distribuent entre associations sportives, de quartier, antiracistes, altermondialistes, culturelles, consacrées au soutien scolaire, etc.
Ces évolutions culturelles, sociologiques, historiques expliquent aussi, en partie, la demande démocratique émanant des mobilisations de la jeunesse, mais on ne peut opposer les périodes de conflit à celles de l’ordinaire routinier. Ce n’est que lors des grandes mobilisations nationales (CIP, CPE) ou locales (suppressions de postes, restrictions budgétaires) qu’une majorité semble se mobiliser avec la conscience que, sans cette implication, la situation s’aggraverait. C’est à ces moments-là que se manifeste l’exigence démocratique, prenant la forme de l’auto-organisation, avec coordinations - qu’elles soient complémentaires, en conflit ou en harmonie avec les syndicats. Quand la mobilisation se termine, la continuité est assurée, non par le maintien de « coordinations permanentes », mais par des structures qui existent déjà, ou qui prennent la forme de nouveaux syndicats, malheureusement faibles en adhérents.