C’est une chape de plomb qui s’est abattue sur Hong Kong, entre arrestations d’opposants et départs en exil qui se succèdent, alors que les milieux d’affaires restent muets et que les journalistes eux-mêmes doivent se méfier de tous leurs interlocuteurs – et se demander qui va bien vouloir continuer à leur parler.
Le mouvement de contestation qui, des mois durant, a mis des centaines de milliers de Hongkongais dans la rue contre la répression mise en place par Pékin est aujourd’hui totalement à l’arrêt. Cette ville qui avait la révolte ardente, violente parfois même, est tombée dans un silence irréel. Pour autant, le processus de confiscation de la liberté de pensée et de la liberté d’expression des Hongkongais n’est pas encore achevé, si l’on en croit Luo Huining, le chef du Bureau de liaison du pouvoir central dans le territoire.
Pékin espère que les Hongkongais plient “de leur propre gré”
Si la draconienne loi de sécurité nationale imposée par Pékin “commence à montrer son efficacité” selon lui, il faut améliorer les mécanismes mis en œuvre afin que les individus s’y conforment “de leur propre gré”.
Il ne s’agit donc pas seulement de contraindre les actes et la parole des Hongkongais, mais aussi de débarrasser les esprits des idées contraires à celles du parti et de l’État, afin que l’obéissance, au lieu d’être un réflexe de peur, devienne instinctive. Les bibliothèques ont d’ores et déjà été expurgées des ouvrages défendant la démocratie, et les cours sur la démocratie supprimés de l’enseignement.
Début décembre, en l’espace d’une semaine, deux événements en particulier ont révélé une montée en puissance de l’intimidation. Le 3 décembre, le patron de presse et démocrate affiché Jimmy Lai, 72 ans, arrêté sur des accusations de fraude, s’est vu refuser sa mise en liberté sous caution [régulièrement accordée jusqu’alors, y compris dans le cadre d’accusations liées à des manifestations antigouvernementales] au motif qu’il risquerait de prendre la fuite. Il est le propriétaire de l’Apple Daily, un quotidien à la popularité immense et à l’indépendance farouche. Les accusations portées contre lui sont telles que force est de conclure que le gouvernement fabrique là un dossier hypertrophié, au pénal, pour des faits qui devraient normalement relever de la justice civile – puisqu’il s’agit d’une affaire de sous-location de l’immeuble où sont installés le journal et le groupe Next Digital.
La dureté de ces accusations surprend d’autant plus qu’elles viennent d’un ministère de la Justice dirigé par l’avocate Teresa Cheng. En 2018, alors que celle-ci venait de prendre ses fonctions, il a été révélé que sa maison et celle d’à côté, appartenant à un ingénieur devenu depuis son mari, totalisaient pas moins de dix extensions illégales. Elle n’avait pas été poursuivie.
Ces poursuites engagées contre Jimmy Lai et son maintien en détention provisoire pourraient d’ailleurs n’être que le début d’une longue série d’accusations contre l’homme d’affaires, qui risque une mise en examen en vertu de la loi de sécurité nationale elle-même pour ses liens avec des militants prodémocratie en Occident [c’est désormais chose faite depuis le 11 décembre].
L’incarcération du patron de presse est intervenue alors que le militant étudiant Joshua Wong venait d’écoper de treize mois de prison pour son rôle dans une manifestation en 2019, aux côtés de deux compagnons condamnés à des peines inférieures. Tous trois avaient plaidé coupables – si les rassemblements pacifiques sont théoriquement autorisés à Hong Kong, la plupart des événements prodémocratie sont désormais systématiquement interdits.
Les départs en exil se succèdent
Le jour même du placement de Jimmy Lai en détention provisoire, Ted Hui, militant prodémocratie et ancien député, a annoncé depuis le Danemark qu’il ne rentrerait pas à Hong Kong et s’installait en Grande-Bretagne. Visé par plusieurs chefs d’accusation pour ses activités aussi bien au Conseil législatif qu’en dehors, il fait partie des 19 parlementaires démocrates qui ont démissionné en bloc début novembre après la disqualification de quatre de leurs pairs [accusés de mise en danger de la sécurité nationale].
L’exil de Ted Hui s’inscrit dans un plus large contexte, alors que de nombreux militants sont tentés par l’exil vers Taïwan ou ailleurs, avec plus ou moins de réussite. En août, 12 Hongkongais ont été arrêtés par des garde-côtes chinois alors qu’ils tentaient de rejoindre l’île nationaliste. Ils sont emprisonnés depuis à Shenzhen [ville chinoise limitrophe de Hong Kong], et neuf autres personnes ont été interpellées pour les avoir aidés dans leur tentative de fuite. Des faits qui rappellent douloureusement les images des Européens de l’Est abattus ou arrêtés lorsqu’ils tentaient de franchir le rideau de fer.
Une fuite des cerveaux démocrates
Face à ces tentatives de départ, les forces pro-Pékin dans la région administrative spéciale incitent fortement les magistrats à refuser les remises en liberté sous caution. Alors que plusieurs milliers de personnes interpellées en 2019 [et remises en liberté] attendent toujours une inculpation en bonne et due forme, l’exode des bêtes noires du pouvoir est voué à s’intensifier. En septembre, un nombre record de passeports BNO (pour “Britanniques d’outre-mer”) a été délivré : ce document permet à ses détenteurs de rester en Grande-Bretagne jusqu’à cinq ans et d’entreprendre les démarches pour obtenir un titre de séjour et la nationalité [une mesure décidée par Londres en réponse à l’imposition de la loi sur la sécurité nationale par Pékin dans son ancienne colonie en juin 2020].
Si Pékin peut se réjouir de ces départs et de la disparition de la “vermine libérale”, cela représente aussi une fuite des cerveaux dans laquelle Hong Kong a beaucoup à perdre – pour elle-même, et dans ses relations avec le reste du monde.
Courrier International
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