Tout d’abord, il est nécessaire de faire un effort mental suffisamment grand pour consentir à ce qu’il y ait des armes légales. A la suite de quoi, il faut accepter l’existence des lois et coutumes qui régissent la guerre. Et même si cela est au-dessus de nos forces, ainsi sont les règles de notre monde.
Une arme est illégale de deux manières : soit un traité particulier l’interdit, soit elle viole les lois et coutumes existantes qui régissent la guerre - on aperçoit ici la menace inhérente dans l’emploi du terme « coutumes » qui désigne les us antécédents et, par conséquent, tente d’endiguer un présent toujours enclin à violer les pratiques du passé.
Dans le cas ou un traité interdit une arme, elle est illégale pour les seuls pays qui l’ont signé et ratifié. Mais si cette arme est illégale au regard d’une loi existante, elle devient illégale pour l’ensemble des pays.
Les lois et coutumes existantes de la guerre comprennent tous les traités qui régissent les interventions militaires et l’emploi des armes ainsi que le Droit international coutumier. Ils constituent ainsi l’essentiel du Droit International Humanitaire. On peut citer les Conventions de La Haye de 1899, 1907, et 1954 ; Conventions de Genève 1864, Protocole de Genève de 1925, 1926 embryon des quatre conventions de 1949, ensuite viennent celles de 1951 et 1957, puis les deux protocoles additionnels de 1977 venus reconnaître les « progrès » techniques dévolus à l’armement durant la guerre du Viêt-nam -que n’ont pas signé les USA- complétés par un troisième protocole additionnel en 2005 ; Convention sur les armes biologique de 1972, dont le renforcement de novembre 2001 a échoué ; Convention sur les armes chimiques de 1993, etc., etc..
A l’époque de la rédaction des textes sur l’interdiction d’utiliser le poison comme arme de guerre, on ne connaissait pas les mots « herbicides » et « défoliants » qui peuvent, comme l’Agent Orange, contenir le pire des poisons. Les Grecs et les Romains de l’Antiquité avaient pour coutume de s’interdire l’emploi du poison et des armes empoisonnées. En Inde, cinq cent ans av. J. C., les lois de Manu relatives au droit de la guerre interdisaient l’emploi de telles armes. Mille ans plus tard, les Sarrasins tiraient du Coran une conduite de la guerre prohibant l’empoisonnement.
En 1943 et 1944, les Etats-Unis d’Amérique avaient déjà étudié douze mille produits chimiques et en avaient sélectionné sept mille comme possibles armes de guerre… d’ailleurs, en 1945, un crime prémédité contre l’humanité est étudié en vue de détruire les rizières autour des grandes villes du Japon. Ces produits chimiques étaient les précurseurs des Agents chimiques utilisés au Viêt-nam.
L’Agent Orange contenant du poison tombe sous le coup du Protocole de Genève de 1925 que les USA n’ont pas signé. Curieusement, ils le signeront le 10 avril 1975, comme s’il s’agissait d’une culpabilité envers le forfait commis de fraîche date entre 1961 et 1971 au Viêt-nam. Certes, il ne peut y avoir d’effet rétroactif de la loi. Mais l’Agent Orange tombe aussi sous le coup de l’Article 23 de la Convention (IV) de La Haye de 1907, qui dit : « Outre les prohibitions établies par les conventions spéciales, il est interdit : a) d’employer du poison ou des armes empoisonnées » signée par les USA le 18/10/1907 et ratifié le 27/11/1909. Si les arcanes de la procédure actuelle en terre américaine aboutissaient à l’impunité, le seul recourt contre l’utilisation de l’Agent Orange au Viêt-nam pourrait bien être l’arsenal des textes et normes du Droit International Humanitaire.
Le Droit International Humanitaire dégage quatre grandes règles en ce qui concerne les armes :
1) Les armes ne peuvent être utilisées que dans le champ « légal » des combats, défini comme cibles militaires de l’ennemi en guerre. Les armes ne doivent pas provoquer un effet négatif au-delà de ce champ « légal » de bataille : c’est la règle territoriale.
2) Les armes ne peuvent être utilisées que pendant la durée du conflit. Une arme qui est utilisée ou continue d’agir après la fin de la guerre viole cette réglementation : c’est la règle temporelle.
3) Les armes ne doivent pas être excessivement inhumaines. La Convention de La Haye de 1899 et de 1907 utilise les termes « souffrances inutiles » et « blessures superflues » : c’est la règle d’humanité.
4) Les armes ne doivent pas avoir un effet négatif démesuré sur l’environnement naturel : c’est la règle environnementale.
L’Agent Orange viole ces quatre règles.
1bis) L’Agent Orange est dispersé par voie aérienne et n’atteint pas seulement le champ des cibles « légales » mais aussi largement les lieux civils alentours et même les pays voisins avec lesquels l’utilisateur n’est pas en guerre, sans oublier les infiltrations et les ruissellements qui transportent les molécules sur d’autres surfaces de terre, nappes, rivières, mers, et bouleversent les écosystèmes. Il ne peut pas être limité aux champs de bataille « légaux » et viole la règle territoriale.
2bis) L’Agent Orange reste dans les zones d’épandages et de stockages, ses molécules qui ont une vie durable et un potentiel pathogène et tératogène agissent sur les anciens combattants comme sur les civils bien après que la guerre soit terminée et même sur les enfants à naître sur plusieurs générations sans que l’on sache quand cela prendra fin. Il ne peut pas être extirpé quand la guerre est finie et continue d’agir après la fin des hostilités et viole la règle temporelle.
3bis) L’Agent Orange est inhumain à cause de la façon dont il tue –cancers, maladies multiples, malformations génétiques, absence des membres, bébés déformés et non viables, touchant des enfants qui n’ont jamais été des cibles militaires et qui sont nés après la fin de la guerre. Sa nature tératogène et l’atteinte possible du patrimoine génétique des générations futures font qu’il est possible de considérer l’utilisation de cette arme comme un génocide. Il est inhumain et viole la règle d’humanité.
4bis) L’Agent Orange cause des dommages considérables et irréversibles à l’environnement naturel comprenant la disparition des forêts de différentes natures, la contamination des sols et de l’eau, des terres agricoles dont l’exploitation sert à la subsistance des populations civiles, bien au-delà de la durée de vie de ces populations. Le nettoyage est une science inexacte, qui coûte très cher et dépasse les capacités de financement d’un pays pauvre. L’Agent Orange est une arme qui ne peut être utilisée sans causer des dommages excessifs à l’environnement naturel puisque c’est le premier de ses buts, il viole la règle environnementale.
L’Agent Orange est donc bien une arme, une arme chimique, une arme chimique illégale.
L’une des clauses les plus utiles du traité sur le Droit Humanitaire est la « clause Martens » de la Convention de La Haye de 1907 qui est reprise dans les traités suivants concernant le Droit Humanitaire. La clause Martens stipule que dans les situations où il n’existe pas de clause spécifique dans un traité (ce qui est le cas pour l’Agent Orange) la communauté internationale est néanmoins liée par « les règles de principes de la loi des nations, issues des usages établis parmi les peuples civilisés, par les lois humanitaires et ce que dicte la conscience publique. »
Selon le Droit international, il existe un certain nombre d’exigences pour remédier aux violations des Conventions de Genève et autres règles formant les lois et coutumes de la guerre. Une exigence minimum du devoir de réparer l’utilisation d’armements illégaux c’est la compensation des victimes. Cela peut comprendre les victimes civiles et militaires de guerre. Pour remédier au maximum à l’utilisation de l’Agent Orange, c’est un devoir de fournir tous les renseignements sur la fabrication de cette arme et de son épandage. En ce qui concerne les dommages environnementaux, les utilisateurs de l’Agent Orange sont obligés d’effectuer un nettoyage tangible des zones contaminées. Quand des terres et des ressources en eau ne peuvent être effectivement nettoyées, l’état qui a causé les dommages doit payer une indemnité d’un montant égal à la perte d’exploitation des terres et ressources du patrimoine national et du coût des poursuites juridiques. Le nettoyage environnemental pourrait atteindre des chiffres prodigieux.
En plus de la responsabilité pour les dommages causés aux victimes et à leur environnement, les utilisateurs de l’Agent Orange devraient être sanctionnés légalement selon les clauses des lois humanitaires existantes. Par exemple, la Convention de Genève exige des états membres signataires qu’ils aient des mécanismes légaux internes pour juger les personnes qui sont soupçonnées d’avoir commis des violations sérieuses du Droit Humanitaire. De plus, l’Article 146 stipule que tous les états signataires ont le devoir de rechercher les violateurs mis en cause et de les juger devant leurs propres tribunaux quelle que soit leur nationalité. L’Article 148 interdit à tout état de s’absoudre lui-même ou d’absoudre un autre état de la responsabilité de violations sérieuses. Les effets génocidaires sur les peuples bien après la fin des hostilités constituent une autre base pour considérer l’utilisation de l’Agent Orange comme un crime contre l’humanité.