Et ce sont les indépendantistes qui ont fait la fête le soir du 4 novembre, tandis que les anti-indépendantistes qui s’attendaient à un raz de marée contre l’indépendance font grise mine.
Les indépendantistes gagnent encore du terrain !
Et c’est à nouveau une grande victoire pour les indépendantistes dont le poids progresse de façon considérable. 43,3 % en 2018, 46,7 % en 2020 ; le oui a gagné 11 334 voix de plus ce 4 novembre 2020 ! tandis que le non à l’indépendance n’en a gagné que 2 769, il n’y plus que 9 000 voix d’écarts entre le oui et le non.
Les indépendantistes s’étaient fixé comme objectif de mobiliser les abstentionnistes dont l’un des plus forts réservoirs étaient les îles et de gagner des points sur Nouméa et sa banlieue. On peut dire que ces objectifs ont été atteints.
Ce qui donne beaucoup d’espoir pour le troisième référendum (en 2022), car trois référendums ont été négociés et sont inscrits dans les accords de Nouméa de 1998 [1] : processus de “décolonisation” qui prévoit qu’en cas d’un deuxième non à l’indépendance, un nouveau référendum pourra être organisé à la demande d’un tiers des membres du Congrès, (sachant que 26 élus sur 54 sont indépendantistes). Cette demande ne pourra toutefois intervenir qu’à partir du 4 avril 2021.
Le taux de participation est considérable
85,7 % de participation : on le doit en partie à la mobilisation de la jeunesse qui s’est fortement mobilisée, jeunesse souvent discriminée et marginalisée qui voit dans l’indépendance une perspective d’amélioration de son quotidien.
Et aussi à la participation de l’USTKE (Union syndicale des travailleurs kanak et des exploitéEs) et du PT (Parti travailliste) [2] qui ont largement appelé leurs adhérentEs et sympathisants à voter pour un oui massif, une unité quelque peu retrouvée avec les autres partis indépendantistes. En 2018, ils avaient appelé à la non-participation (en raison de nombreuses fraudes et irrégularités dans la composition du corps électoral).
Il est certain également que des personnes qui avaient voté non au premier référendum sont passées dans le camp du oui. Par exemple, le nouveau parti l’Éveil océanien (issu de la communauté wallisienne) n’avait pas donné de consigne de vote, mais il est probable qu’une partie de ses électeurs se soient portés vers le oui.
L’un des éléments nouveaux en 2020 est que, après de rudes batailles entre indépendantistes et non indépendantistes lors d’une réunion à Matignon, un accord a été dégagé autorisant les Kanak, dépendant du droit coutumier [3] (la grande majorité des Kanak) à être inscrits automatiquement sur la liste électorale pour ce référendum. Ils ont ainsi évité des tracasseries administratives inutiles pour justifier de leur légitimité à voter – ce qui est évidemment un droit minime au regard des nombreuses discriminations subies par les Kanak depuis tant d’années.
Cet accord permettait aussi l’inscription aux personnes de droit commun (non kanak) nées sur le territoire et ayant trois ans de résidence ! Ainsi, 11 222 personnes avaient pu être inscrites d’office dont 3 764 appartenant à cette deuxième catégorie.
Le corps électoral, enjeu majeur du référendum
Les Kanak considèrent que leur revendication a été noyée par les flux migratoires, qui les ont rendus minoritaires au début des années 1970. Ils constituent aujourd’hui 39 % de la population.
Les indépendantistes ont réussi à faire voter un texte qui empêche les personnes (métropolitains pour la plupart) arrivées après 1998 de prendre part à ce référendum.
Récemment, une offensive a été relancée contre le gel du corps électoral. Le 17 octobre dernier, des milliers de personnes ont manifesté, drapeaux bleu blanc rouge par milliers, chantant la Marseillaise à pleins poumons, pour réclamer la réintégration de 41 000 français (selon eux) exclus du droit de vote, pour l’essentiel métropolitains.
Mais les indépendantistes l’ont dit et répété : le gel du corps électoral est le pilier principal de la revendication d’indépendance du peuple kanak. Jamais ils ne céderont.
Ainsi pour l’Union calédonienne (composante du FLNKS), « il n’est pas question, au nom de la démocratie, de revenir sur la composition du corps électoral et de tenter à nouveau de noyer numériquement les Kanak et de les spolier de leur droit inné et actif à l’autodétermination. »
Les indépendantistes sont dans une dynamique positive
Ils ont mené une belle campagne, sur tout le territoire, en rassurant les indécis, sur les financements de l’indépendance, de la santé ou des retraites, sur la reconnaissance et la place de chacun, sur la double nationalité, sur la période de transition (avant que l’indépendance devienne effective), etc. Et ce n’était pas gagné, car dans les tribus, beaucoup de gens n’ont que le minimum vieillesse pour vivre. Ils ont peur que ça disparaisse, il fallait leur expliquer que tout cela ne vient pas de la France !
Le pays est riche, mais 25% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. Il y a trop d’écarts entre les riches et les pauvres. Les classes défavorisées espèrent que l’accession du pays à sa souveraineté amène une amélioration de leurs conditions de vie.
Une campagne tendue et frontale
Les partis de droite ont fait campagne en jouant sur les peurs, l’insécurité, les risques pour l’avenir de la santé, etc., bref sur l’idée que l’indépendance c’était le chaos – une campagne de mensonges et des arguments infantilisants.
Les résultats nous montrent que les bons résultats du oui proviennent aussi d’un vote non kanak, de personnes qui n’adhèrent plus aux arguments frauduleux de cette droite dure. De nombreux calédoniens ne croient plus en ces discours et veulent aussi en finir avec ce modèle colonial qui appartient au passé.
En réaction aux aboiements de la droite, la jeunesse kanak s’est emparé (bien plus qu’en 2018) du drapeau de Kanaky : on a vu le soir du 4 novembre des défilés avec les drapeaux, comme emblème de sa liberté.
Une nouveauté dans la campagne est la création en août 2020, du MNSK (Mouvement nationaliste pour la souveraineté de Kanaky), alliance entre le MNIS (Mouvement néo-indépendantiste et souverainiste), le PT et l’USTKE, qui se veut une force de propositions en dehors du FLNKS [4] (verrouillé depuis des années). Ce mouvement qui a su lancer une dynamique au sein de la jeunesse notamment, souhaite construire la nation de Kanaky avec toutes les communautés, tout en évitant que le peuple kanak soit considéré comme une communauté parmi d’autres, noyé dans un peuple calédonien.
Troisième référendum
Les indépendantistes ont prévenu qu’ils veulent aller à ce troisième référendum et qu’ils iront jusqu’au bout. À l’issue de sa convention à Bourail le 17 octobre dernier, le FLNKS a appelé à déclencher le processus, au plus vite, en avril 2021.
Si, à l’occasion d’un prochain référendum, la progression du « oui » à l’indépendance est équivalente à celle entre 2018 et 2020, la Nouvelle-Calédonie sortira effectivement de la République française et deviendra la Kanaky. Quand on analyse les votes, on voit que c’est désormais possible. Les réserves de voix sont en effet dans les zones plutôt favorables au oui : la Province des Îles Loyauté et les quartiers populaires du grand Nouméa.
Avec sa courte victoire, la droite est amère, elle souhaiterait éviter un troisième référendum qui laisserait, de toute façon, la moitié de la population frustrée.
L’AEC (Avenir en confiance), parti de droite, affirme que « s’engager à réitérer la même question dans deux ans, c’est continuer à plonger le pays dans l’incertitude et le paralyser. » Que le oui gagne en 2022 de peu, ou que le non l’emporte avec seulement 1 ou 2 points d’avance, la confrontation risque d’être violente, menace-t-il ! Il en appelle à l’État pour qu’il sorte de sa « neutralité » et soit plus interventionniste.
Signe de cette tension, et inquiet de la progression du oui, Macron a dépêché au lendemain du référendum son ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, qui est resté – fait rarissime – 23 jours sur le territoire pour déminer le terrain et tenter de renouer le dialogue entre la droite et les indépendantistes, qui ne se parlent plus depuis des mois. Le ministre a réuni – à huis clos et sur un îlot, bien à l’abri des regards – le FLNKS et les partis de droite (en excluant le MNSK). Il souhaite une solution qui convienne à tous.
Mais le FLNKS a prévenu « qu’il n’engagera des discussions que sur la base de son projet politique d’accession à la pleine souveraineté et à l’indépendance ». Quant au PT, il souhaite clore le contentieux colonial, affirmant sa volonté d’accéder à la souveraineté pleine et entière, et de discuter par la suite des relations d’interdépendance ou de conventions bilatérales.
L’usine du sud, un dossier brulant
La filière du nickel est la ressource principale du territoire, qui détient près du quart des ressources mondiales. Pour les indépendantistes, la maîtrise de ces ressources énergétiques, de leur exploitation et de leur exportation est un enjeu majeur.
L’usine de nickel Vale NC, située dans la province Sud, déficitaire depuis des années, menace de cesser ses activités à la fin de l’année. Ces sont près de 3 000 emplois qui seraient menacés, dont 1 350 directs.
Elle recherche activement un repreneur, étudiant les propositions de gros investisseurs étrangers (australien, suisse). Aux dernières nouvelles, un géant du trading, Trafigura, serait en bonne place pour remporter la mise.
De l’autre côté, un important collectif, l’ICAN (l’Instance coutumière autochtone de négociation), composé des partis indépendantistes, des chefferies du sud du territoire, associations et syndicalistes, a été créé et s’oppose à la reprise du site par des intérêts étrangers.
Ils proposent que l’usine du sud soit reprise par une entreprise du pays, la Sofinor, détenue majoritairement par la province nord, indépendantiste, en alliance avec la société Korea Zinc (projet rejeté récemment par Vale). Des mobilisations importantes se sont succédés ces derniers mois à l’initiative des indépendantistes.
L’USTKE, conscient des enjeux qui entourent cette opération, a lancé une grève générale le 30 octobre dernier, pour alerter sur la nécessité de maintenir les emplois tout en s’assurant que les intérêts du pays (économiques, sociaux et environnementaux) soient bien pris en compte et ne soient pas bradés au profit d’entités extérieures prêtes à faire un coup financier.
Quel avenir institutionnel
De multiples chemins ont été évoqués : de l’indépendance intégrale au fédéralisme, en passant par le maintien du statut actuel, ou bien l’État associé.
Depuis les années 1980, les autorités françaises n’envisagent l’indépendance du territoire que sous une forme qui maintienne la tutelle de la France. Le rapport Mélin-Soucramanien de 2013 présente différentes hypothèses : indépendance dite « pure et simple », c’est-à-dire indépendance avec accords de coopération sur le modèle françafricain ; souveraineté avec partenariat ; autonomie étendue. Ainsi l’État français est prêt à « lâcher un peu pour ne pas tout perdre ».
Quoi qu’il en soit, l’accès à la pleine souveraineté est inéluctable, c’est le sens de l’histoire, le peuple kanak l’a démontré par sa lutte exemplaire : jamais il ne lâchera !
Mina Kherfi