-1. Présentation du problème
Je milite au Centre des travailleurs, travailleuses immigrantEs. Une grande proportion des employées des agences de location de personnel sont des personnes issues de l’immigration récente. Il s’agit au Québec de dizaines de milliers de travailleurs, travailleuses précaires, vulnérables, au bas de l’échelle.
C’est le cas, entre autres, des travailleurs des entrepôts de Dollorama, avec lesquels le Centre a tissé des liens depuis un nombre d’années. Ces entrepôts sont un cas extrême du recours aux agences pour combler des postes qui devraient en principe être permanents. Tous les travailleurs de ces entrepôts, et même les cadres inférieurs de gestion, sont des employés d’agences.
Des enquêtes menées au Québec et à travers le monde montrent que le secteur des agences de placement de personnel est celui qui connaît la plus haute prévalence de lésions professionnelles. En plus, les lésions des travailleurs d’agence sont d’une gravité de 2 à 3 fois supérieure en comparaison avec celles du personnel permanent.
Le personnel d’agence travaille principalement dans des secteurs à risque élevé : les secteurs manufacturiers, l’entreposage, le transport. Il y en a aussi dans le secteur de la santé, secteur également à risque élevé aujourd’hui. Selon la dernière classification de la CNESST, être travailleur, travailleuse d’agence signifie s’exposer à un risque de blessure allant d’élevé à extrême.
En même temps, au Québec les travailleurs fournis par les agences sont la catégorie la moins protégée par la législation qui vise à protéger la santé-sécurité des travailleurs et des travailleuses. Le secteur dont les agences font partie, selon la classification de la CNESST - « autres services commerciaux et personnels » - n’est couvert pas aucun des mécanismes de prévention prévus dans la loi.
En plus, le cadre légal est flou à l’égard des responsabilités de prévention auprès de ces travailleurs, ce qui favorise l’externalisation des risques du travail. Le fait que ce soient les entreprises clientes qui donnent le travail aux employés placés par les agences entraîne une confusion qui est propice à la négligence et aux abus.
Ces deux choses - les risques élevés et les défaillances de la législation - sont évidemment étroitement liées entre elles.
2. Les facteurs qui contribuent à la haute prévalence des lésions professionnelles parmi les travailleurs, travailleuses des agences
Comme j’ai indiqué, dans cette relation triangulaire - agence, entreprise cliente de l’agence, travailleur, travailleuses - les responsabilités respectives d’assurer la formation en santé-sécurité et de fournir des équipements de protection individuelle ne sont bas bien définies dans la législation. Souvent les travailleurs des agences ne reçoivent ni l’un ni l’autre - ni formation, ni équipement de protection - l’agence et l’entreprise se renvoyant la balle. Cela est d’autant plus problématique puisque le personnel d’agence, comme j’ai signalé, travaille principalement dans des secteurs à risque élevé. La Presse a récemment publié un exposé des conditions des employés d’agences recrutés pour travailler dans le secteur de la santé. Il s’agit immigrants récents, de réfugiés, de personnes sans papier, dont certains sont envoyées dans des CSHLDs en zone rouge sans la formation nécessaire.
La précarité favorise des pratiques dangereuses, telles que l’intensification du travail, les tâches bâclées, l’acceptation de tâches dangereuses, le présentéisme, ou le cumul d’emplois. La situation socio-économique vulnérable de ces travailleurs et travailleuses - les bas salaires, l’insécurité d’emploi (l’agence pouvant simplement décider de ne leur donner plus de travail) — les décourage de parler de leurs préoccupations en matière de santé-sécurité, de porter plainte à la CNESST, ou de déposer une demande d’indemnisation.
Pour cette main-d’œuvre, souvent allophone et issue récemment de l’immigration, il y a, en plus, des barrières linguistiques et une connaissance limitée de leurs droits. Des études montrent qu’une majorité ne connaissent même pas leur droit de refuser un travail dangereux.
Au Québec, les lésions des employés d’agence sont attribuées aux agences, et non pas à l’entreprise cliente où les employés travaillent et qui contrôle leurs conditions. Et puisque les cotisations des employeurs à la CNESST sont basées sur le risque, et le risque est évalué sur la base des lésions indemnisées, cela devient une incitation aux entreprises à recourir aux agences de personnel afin d’externaliser les risques.
D’autre part, plusieurs études montrent que les travailleurs, travailleuses d’agence ont des difficultés à obtenir réparation en cas de lésions professionnelles. Les réclamations faites par ces travailleurs sont plus souvent contestées. En plus, la situation triangulaire rend très complexe le processus de réadaptation professionnelle et la réassignation temporaire, puisque l’entreprise cliente de l’agence n’a pas d’obligation envers le travailleur.
3. Nos revendications
Ça vaut la peine ici de répéter que de toutes les juridictions du Canada, le Québec offre la protection la plus faible aux travailleurs, travailleuses. Cela a été constaté, entre autres par le rapport récent du Vérificateur général sur la CNESST - rapport assez accablant.
En plus d’étendre l’application des quatre éléments de protection prévus à la loi à tous les six secteurs économiques, on veut que le devoir primaire de protéger la santé-sécurité des travailleurs incombe aux personnes qui gèrent l’entreprise où ces gens travaillent. En d’autres mots, les obligations de l’employeur prévues par la LSST doivent couvrir l’ensemble des personnes travaillant dans l’entreprise, y inclus les employés des agences de placement, des sous-traitants, et les travailleurs autonomes.
Il faut que le donneur d’ouvrage et l’agence de location de personnel aient une responsabilité conjointe quant à la protection des droits des travailleurs en matière de prévention et aussi en matière d’indemnisation. Cela mettrait fin à l’externalisation des risques qu’on peut observer aujourd’hui.
Mais pour que la loi protège les travailleurs d’agence dans le type de situation qui existe dans les entrepôts de Dollorama, il faut demander plus. À présent, la loi stipule que le syndicat ou, s’il n’y a pas de syndicat, les travailleurs, doivent demander l’application des mesures prévues par la loi, notamment le comité paritaire et le représentant à la prévention. Mais cette condition est irréaliste dans une situation où il n’y a pas de syndicat, comme dans les entrepôts de Dollorama.
Pour donner une voix à ces travailleurs et travailleuses d’agence, dont l’insécurité encourage le silence, il faut rendre obligatoire l’élection de représentants à un comité conjoint et d’un représentant à la prévention. On pourrait confier aux syndicats du secteur ou aux conseils régionaux le souci d’organiser ces élections et d’appuyer le travail des travailleurs membres des comités et du représentant à la prévention.
Quant aux entreprises de 20 travailleurs ou moins - et les études montrent que l’incidence de lésions est plus élevée dans les petites entreprises - il faut prévoir des représentants régionaux itinérants à la santé-sécurité. Ils ou elles seraient désignéEs par le mouvement syndical avec le droit de visiter les entreprises, de parler avec les travailleurs et les travailleuses et de transmettre leurs inquiétudes et leurs demandes à la direction et à la CNESST. De telles mesures existent en Europe.
David Mandel
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez chaque lundi par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais, dans la semaine écoulée.