L’instance, créée par l’Etat français pour être son interlocuteur sur ce qui se rapporte à l’islam, s’est mise en devoir de réagir une nouvelle fois, prenant du recul après les réactions suscitées par l’assassinat du professeur Paty à Conflans, dont certaines, agressives, ont blessé les croyances sincères des fidèles.
Dans une feuille de route adressée aux imams, on retrouve d’abord le discours assez habituel du Conseil français du culte musulman (CFCM). Il reprend ainsi le leitmotiv de la souffrance des musulmans qui est « grande face au discours des professionnels de l’amalgame et de la surenchère qui veulent laisser s’installer l’idée que notre religion puisse produire la violence et le terrorisme.
Mais nous accueillons dans l’apaisement et la sérénité les déclarations de toutes les forces vives de notre pays qui refusent l’amalgame, rejettent la division, exigent la reconnaissance mutuelle et ouvrent pour construire l’unité et la paix et favoriser la fraternité et la solidarité dans notre pays ».
La suite est plus originale et presque inattendue. Le CFCM précise en effet une position quelque peu novatrice dans ce texte devant être lu dans les mosquées. Il est à noter que le CFCM accentue du reste la sémantique concernant l’attachement à la France avec la redondance des termes « notre pays », « citoyens », « nos concitoyens », « les loi de la République »…
L’état-major du CFCM entend ainsi faire corps avec la nation française, dont de nombreux musulmans se sentent parfois en rupture, qu’ils possèdent ou pas la nationalité.
« IGNORER LES PROVOCATIONS »
Après quelques jours de réflexion et on suppose de grands discussions internes, le Conseil français du culte musulman se permet de prendre de front, pour la première fois aussi clairement, la question des caricatures du prophète de l’islam, publiées en 2005 dans le quotidien danois Jyllands-Posten puis en 2006 en Belgique, Allemagne et surtout en France. Suite à ces publications, des terroristes avaient perpétré le massacre de Charlie Hebdo en janvier 2015 et deux attaques sanguinaire à Paris en septembre et octobre 2020 :
« L’actualité tragique qu’a connue notre pays, avec l’assassinat lâche et abject du professeur d’histoire Samuel Paty, nous oblige à dire solennellement que l’évocation desdites ‘‘caricatures de Mahomet’’ pour justifier un crime ignoble, est en réalité une trahison et profanation du message du Prophète. Face auxdites caricatures, nous appelons les musulmans de France et d’ailleurs à suivre l’exemple de notre Prophète (QSSSL) et à cesser de répondre ou de réagir à ce type d’expression.
Le Prophète a toujours ignoré les provocations de cette nature conformément aux enseignements coraniques : ‘‘Nous savons bien que leurs dénigrements t’oppressent le cœur. Célèbre donc les louanges de ton Seigneur et sois du nombre de Ses adorateurs !’’(Coran 15 : 97-98). La tradition rapporte qu’au passage du prophète Muhammad (QSSSL) devant une foule, certains ont crié ‘‘Ô Mudammam’’ (mot arabe signifiant ‘‘laid’’ et ‘‘détestable’’). Le Prophète continua son chemin sans réagir. Certains de ses compagnons ont voulu attirer son attention sur ces cris, il se contenta de leur dire : ‘‘Ils s’adressent à « Moudammam », moi, je m’appelle Muhammad’’. N’est-il pas plus conforme à cet exemple prophétique que d’ignorer ces caricatures et les considérer comme sans aucun rapport avec notre Prophète ? »
« REJETER ET CONDAMNER LA VIOLENCE »
Plus explicitement encore, le texte du CFCM explique que les musulmans doivent accepter « la critique de la religion musulmane et ses fondements dans le cadre d’un débat intellectuel et philosophique libres. Le Saint Coran a lui-même relaté ce type de débats en citant fidèlement les arguments des contradicteurs et en répondant aux critiques sans jamais appeler à violenter ceux qui les émettent. La sagesse est de répondre par des arguments et en même temps, rejeter et condamner la violence. »
De façon assez inédite, la CFCM relativise aussi la manière de se comporter face aux actes antimusulmans : « Non : nous musulmans, ne sommes pas persécutés en France. Nous sommes dans notre pays des citoyens à part entière. Nous avons comme tous nos concitoyens des droits garantis et des devoirs à accomplir. Nous sommes parfois la cible d’actes anti-musulmans.
D’autres sont également victimes d’actes hostiles. Face à ces provocations, nous devons rester dignes, sereins et lucides. ‘‘Et ne laissez point la haine et l’animosité que vous opposent certaines personnes vous inciter à être injustes. Restez justes ; c’est cela qui vous préservera’’. (Coran 5 : 8) Comme dans toute société plurielle, la règle commune applicable à tous est la loi de la République. Aucun prétexte ne permet à une communauté ou à un individu de se soustraire à cette règle commune ou vouloir imposer sa vision et ses positions au reste de la société. La vie en société implique l’acceptation de certaines contraintes et renoncements de part et d’autre pour que vivre ensemble dans la paix et le respect soit possible ».
D’ailleurs, ajoute le CFCM, « la loi de la République qui autorise les caricatures n’oblige personne à les aimer. Nous pouvons même les détester. Du reste, rien, absolument rien, ne saurait justifier l’assassinat d’un homme. »
« NON, LE CRIME N’EST PAS ET NE SERA JAMAIS UN ACTE HÉROÏQUE ! »
Le CFCM traite des interdits alimentaires qui sont parfois source de tension dans les écoles notamment : « Après avoir annoncé certains interdits en islam, le Coran nous dit immédiatement : ‘‘Cependant, si on se trouve contraint d’en consommer par nécessité, et non par insoumission ni désinvolture, on ne commet aucun péché, car Dieu est Clément et Miséricordieux’’ ». (Coran 2 : 173)’’ . »
Enfin, s’adressant à ceux qui pourraient être sensibles au langage des islamistes, le texte met en garde contre la propagande désastreuse des « promoteurs de la haine et de la barbarie ». Le CFCM note que ceux-ci font miroiter à leurs adeptes, notamment parmi les jeunes, « l’illusion d’être élus pour accomplir une prétendue mission divine à laquelle l’immense majorité des musulmans aurait renoncé par faiblesse ou par traîtrise. Par ce discours pervers, ils tentent d’ériger la bassesse et la lâcheté dans leurs pires manifestations criminelles en actes de bravoure héroïque. Non ! Le crime n’est pas et ne sera jamais un acte héroïque ».
Le CFCM conclut : « Nous devons œuvrer par le témoignage de la foi que nous portons et des valeurs qui nous animent afin d’éclairer et d’apaiser les esprits et les cœurs face à la peur et à l’incompréhension qui peuvent naître dans la confusion des conflits, des guerres des ignorances. Ces valeurs qui fondent notre religion et que nous partageons avec tant d’autres, croyants et non croyants, malgré leur évidence, ont besoin d’être sans cesse rappelées et réaffirmées. »
A MARSEILLE, IMAMS ET PRÊTRES UNIS
Après l’attentat de Conflans, « inquiets du climat qui s’alourdit dans notre pays et cible les musulmans et leurs structures qui travaillent dans un cadre républicain », des imams et prêtres de Marseille réunis en un groupe amical interreligieux depuis dix ans, ont lancé un message de fraternité : « Nous ne voulons pas céder à la peur ou à la division ».
« Nous sommes convaincus que nous appartenons à la même humanité, que nous sommes des êtres de relation, et que nos origines, nos opinions, nos courants politiques et nos religions sont des lieux de découvertes et d’enrichissement mutuels. » « Plus que jamais, parlons ensemble, comme citoyens et comme croyants, du civisme, de laïcité, du fait religieux, de la place des religions, de la violence, du terrorisme, dans le débat public et dans tous les lieux d’éducation de jeunes, y compris, sur invitation, dans les établissements scolaires publics et privés. Ce n’est qu’en mettant des mots que l’on fera reculer l’ignorance et la barbarie. »
Lyon
De notre correspondant Walid Mebarek