« Qui dit mieux ? » lancions-nous la semaine dernière, à propos de la décision européenne de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20% d’ici 2020. La réponse n’a pas tardé : Tony Blair vient de dévoiler un projet de loi stipulant que la Grande-Bretagne réduira « ses » émissions de gaz carbonique de 60% d’ici 2050. Le projet de loi ne dit pas comment l’objectif sera atteint, ni qui va payer : il crée seulement un cadre légal que les gouvernements futurs seront tenus de respecter, sous peine de s’exposer à des poursuites judiciaires. Outre la réduction des émissions de CO2, le projet prévoit la création d’un comité indépendant, composé d’experts, et chargé d’aider le gouvernement à identifier les mesures nécessaires. Blair et son équipe n’ont pas repris la demande d’objectifs de réduction annuels (formulée par les Amis de la Terre et soutenue par 412 députés). Elle est remplacée par un dispositif de « budgets carbones » quinquennaux. En même temps qu’il proposerait son budget carbone quinquennal, tout gouvernement devrait indiquer par quels moyens il compte le réaliser. Les transports aériens et maritimes ne sont pas concernés, et les gaz à effet de serre autres que le CO2 n’entrent pas en ligne de compte.
Comment apprécier ce nouveau « coup climatico-médiatique » de Tony Blair ? Le gouvernement de Sa Gracieuse Majesté avait déjà adopté l’objectif de 60% de réduction en 2050. La seule nouveauté, donc, c’est la contrainte légale. Elle n’est évidemment pas négligeable. Mais il ne faut pas que l’arbre cache la forêt. En effet, l’objectif de 60% de réduction des « émissions britanniques » est très insuffisant : c’est de 75% à l’échelle mondiale que les émissions devraient baisser d’ici 2050 pour avoir une chance raisonnable de rester au-dessous de 2°C de réchauffement. En fait, Blair s’est clairement inspiré du rapport Stern, qui considère que la stabilisation des concentrations est impossible à moins de 550ppmvCO2 eq, parce que cela coûterait environ 1200 milliards de dollars par an à l’échelle mondiale. Trop cher pour le capitalisme, dit Stern, et Blair acquiesce. Rappelons que 550 ppmv de CO2eq. implique plus de 50% de risques de franchir les fameux 2°C en question, donc des risques majeurs pour des centaines de millions de gens dans les pays du Sud. Rappelons aussi que les dépenses militaires engloutissent à elles seule presque la totalité de la somme nécessaire…
Au-delà des effets d’annonce - à visées électorales évidentes - le projet de Blair est en fait taillé sur mesure pour les entreprises. De plus en plus convaincues qu’il faudra faire quelque chose contre le changement climatique, celles-ci posent leurs conditions : 1°) un cadre de réduction d’émissions clair et stable sur le long terme ; 2°) un temps d’adaptation qui préserve la compétitivité ; 3°) le retour du nucléaire ; 4°) la possibilité que les réductions d’émissions soient délocalisées dans le monde entier, sans limite, afin que la lutte contre le changement climatique signifie de nouveaux marchés, de nouveaux bénéfices, et renforce la domination du Nord sur le Sud. A cet égard, Blair et son équipe ne cachent pas leurs intentions néolibérales. Pour Blair, « le nucléaire doit être remis à l’ordre du jour ». Et pour son ministre de l’environnement, Miliband, le « climate bill » (loi climat) « permettra au Royaume-Uni de profiter économiquement de sa position dirigeante en tant qu’économie à bas carbone ». Notamment en boostant les investissements « propres » dans les pays en développement. Donc les possibilités pour la Grande-Bretagne d’acquérir des droits de polluer, y compris en plantant de gigantesques monocultures productrices d’éthanol et d’autres produits énergétiques de la biomasse. Pas étonnant que la confédération de l’industrie britannique (BCI) ait applaudi bruyamment le projet de loi : la ruée sur le business climatique a commencé et Super Blair a pris deux longueurs d’avance. A côté de ça, Di Rupo, Antoine et Lutgen font pâle figure, avec leur « plan wallon air et climat » !