“J’ai passé deux ans, six mois et huit jours dans ce qui est sans doute le plus grand centre de torture du Venezuela”, relate le député vénézuélien en exil Rosmit Mantilla dans un documentaire réalisé en 2019 par BBC Mundo sur l’Hélicoïde.
L’Hélicoïde était un grand centre commercial de Caracas, reconverti dans les années 1980 en siège des services de renseignement du pays, le Sebin, qui abrite une prison de sombre réputation au Venezuela. Une réputation due notamment à La Tumba (“la Tombe”), surnom donné à une série de cellules sans lumière à trente mètres sous terre.
“Je voyais des gens couverts de sang, d’autres attachés, certains étaient inconscients”, poursuit Rosmit Mantilla, arrêté en 2014 et libéré en 2016 grâce à l’intervention, notamment, d’Amnesty International.
Incités à tuer
Bien avant que l’Organisation des nations unies (ONU), en 2019 et le 16 septembre 2020, ne documente les atteintes aux droits humains du régime vénézuélien, de nombreux témoignages de prisonniers politiques, de journalistes ou de simples citoyens, victimes ou spectateurs effrayés, ont nourri ces dernières années la chronique des violences infligées aux “gêneurs” de toute sorte.
Il suffit de se souvenir du décès suspect, précisément dans la prison de l’Hélicoïde, en 2019, d’un militaire soupçonné d’avoir voulu assassiner Nicolás Maduro. Ce capitaine, Rafael Acosta Arévalo, arrêté le 21 juin et présenté à l’audience du tribunal militaire le 28 juin, portait, selon les rares témoins, des traces de torture et avait dû être convoyé en chaise roulante, car il était incapable de marcher. Il est mort quelques heures plus tard. Une fuite des résultats de l’autopsie a permis de constater 16 côtes fracturées et des lésions et brûlures par électrocution.
Il suffit de découvrir, comme l’a fait l’équipe de l’ONU qui a pris soin d’authentifier le document, une vidéo filmant l’entraînement des soldats des Faes, l’unité des forces spéciales de la police nationale créée en 2016, où l’on voit clairement “les recrues incitées à tuer sans états d’âme les criminels”, ajoute El Nacional, citant le rapport de l’ONU.
“Libération du peuple”
Mais les “criminels” peuvent aussi bien être des riverains de quartiers qui font mine de se soulever, dans un délit désigné comme une “résistance à l’autorité” par le régime. Dans son document, l’ONU confirme ce que nombre de Vénézuéliens dénoncent à voix basse, poursuit El Nacional : “Les membres des Faes simulent des affrontements pour couvrir des assassinats” qu’ils commettent. Et jamais aucune exaction n’a donné lieu à des poursuites en justice contre les responsables.
Le 21 août 2020, rapporte le site El Pitazo, deux hommes qui étaient dans le collimateur du régime en tant que journalistes de la chaîne de télévision Guacamaya TV, dans l’État de Zulia, ont été assassinés par les Faes, qui ont simulé un affrontement dans le quartier. Une voisine raconte au site :
“Ils sont entrés de force dans la maison, les voisins se sont sauvés. Ils étaient au moins dix soldats cagoulés et équipés de fusils d’assaut. Nous avons entendu les tirs, puis ils ont emmené les corps.”
La mission de l’ONU a travaillé en profondeur sur 223 cas suspects de violations des droits humains depuis 2014 et examiné 2 891 autres cas dénoncés par des ONG et des médias. “Entre 2015 et 2017, détaille notamment El País, les prétendues Opérations de libération du peuple (OLP) instaurées par le régime pour combattre la délinquance ont donné lieu à des détentions arbitraires et des exécutions extrajudiciaires”.
Les rapporteurs de l’ONU estiment que les dossiers examinés relèvent de la compétence de la Cour pénale internationale, qui avait ouvert en 2018 une enquête préliminaire pour crimes contre l’humanité au Venezuela.
Être oublié, le pire du pire
La mission a exploré 140 de ces “opérations” qui ont provoqué la mort de 413 personnes, tuées parfois à bout portant. Ainsi, en 2016, 12 hommes de Barlovento, dans l’État de Miranda, dans le nord du pays, ont été extraits de leur domicile par des soldats. “On les a retrouvés dans une fosse commune plusieurs semaines après”, écrit El País.
Rosmit Mantilla a échappé au pire. Alors qu’il était emprisonné à l’Hélicoïde, accusé d’avoir fomenté la contestation de 2014 contre le régime, ce militant de la cause LGBTI a été désigné comme candidat de l’opposition à l’Assemblée nationale par son parti de l’époque, Voluntad popular.
Il sera élu en décembre 2015, et donc théoriquement protégé par son immunité parlementaire. Mais ce n’est qu’en 2016 qu’il est libéré sous la pression des ONG puis accueilli par la France en tant que réfugié politique.
Dans son témoignage auprès du média Efecto Cocuyo, il souligne qu’il est l’un des rares à ne pas avoir subi de tortures physiques, “parce que Amnesty International avait pris [son] cas en charge.” Mais il raconte :
“J’ai passé des jours et des nuits enfermé dans les sous-sols, sans eau, sans lumière, sans toilettes. À constamment entendre mes gardiens me dire : ‘Tu vas rester ici vingt-cinq ans.’”
L’un de ses compagnons s’est pendu, épuisé par les mauvais traitements et l’abolition de tout espoir. Parce que, conclut M. Mantilla, qui a témoigné pour tous ses codétenus, “il n’y a pas de pire chose pour un prisonnier que d’être oublié”.
Sabine Grandadam
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