“Héros sans sépulture, corps sans ossements, la dépouille de notre père a été condamnée à demeurer une âme en errance à perpétuité, sans l’ombre d’une tombe pour son repos éternel.” C’est en ces termes que Juliana, fille de Patrice Lumumba, s’est adressée au roi Philippe. Sa lettre était datée du 30 juin, jour anniversaire de l’indépendance de l’ancienne colonie ; Juliana Lumumba y réclamait les “reliques” de son père.
Elle a obtenu gain de cause le 10 septembre : le parquet fédéral belge a annoncé qu’une dent, l’un des rares vestiges de la dépouille de Patrice Lumumba, serait restituée à sa famille.
C’est que des zones d’ombre et un écrasant déni continuent de planer sur le destin tragique du premier Premier ministre du Congo indépendant, constate Le Soir.. Héros de l’indépendance, il est arrivé au pouvoir en juin 1960. Démis de ses fonctions deux mois plus tard, il est assassiné le 17 janvier 1961.
D’importantes responsabilités
Près de soixante ans ont passé, et pourtant, “non seulement la famille n’a jamais été dédommagée, écrit Colette Braeckman, la spécialiste Afrique du quotidien belge, mais les derniers restes du défunt sont demeurés parmi les pièces du dossier judiciaire ouvert à Bruxelles en 2011” à la suite d’une plainte de la famille, qui demandait des éclaircissements.
En 2002, la commission d’enquête parlementaire belge avait conclu que, bien que la Belgique n’eût pas commandité l’assassinat de Lumumba, elle portait d’importantes responsabilités, notamment pour avoir soutenu son renversement et les mouvements sécessionnistes auxquels il faisait face.
“Si des soldats congolais ouvrent le feu, ce sont deux Belges, le commissaire de police Verscheure et le capitaine Gat, qui donnent l’ordre de tirer”, rappelle Le Soir. C’est le même Verscheure, ainsi notamment qu’un autre Belge, Gérard Soete, responsable de la police katangaise, qui s’occuperont de faire disparaître le corps en le dépeçant et en le dissolvant dans de l’acide. Seules quelques dents seront conservées par Soete, dont celle qui avait été saisie par la justice dans le cadre de l’enquête, et qui va être restituée à la famille. Il n’a cependant pas été possible de l’authentifier, a expliqué le parquet, car une analyse ADN l’aurait détruite.
La désinvolture de la Belgique
“Puisque cette demande répond aux vœux de la famille, on ne glosera pas sur la désinvolture de la Belgique, qui attendit tant d’années pour découvrir que derrière Lumumba, tribun politique et martyr de l’indépendance, il y avait aussi une famille, une épouse, des enfants, des hommes et des femmes qui ne purent jamais faire leur deuil puisque, à propos des derniers moments de l’être cher, la vérité ne fut jamais complètement reconnue…”, commente Colette Braeckman.
La journaliste souligne enfin que si, “à Berlin, à Leipzig, à Moscou, dans son village natal d’Onalua, des statues honorent la mémoire d’un homme plus grand que ses 35 ans de vie”, la capitale belge fait bien peu de place à la mémoire de Lumumba.
“Seul un bout de trottoir, cédé par la ville de Bruxelles à l’orée du quartier ixellois de Matonge, rappelle la brûlante mémoire du disparu. Brûlante, oui, car la mémoire de Lumumba n’a cessé de hanter la Belgique, et elle planera encore sur les prochains travaux de la commission parlementaire consacrée à la colonisation.”
Le Soir
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