Le 23 décembre 2019, des habitant.e.s de El Houaidia (délégation de Tabarka, gouvernorat de Jendouba) commencent un sit-in illimité contre l’activité d’une carrière de pierre qui a entraîné la pollution de la zone : pollution de l’air et de la terre par les poussières qui entravent les récoltes, pollution sonore, et pollution de la source qui est l’unique moyen d’approvisionnement en eau de cette localité (une quarantaine de foyers, pour l’essentiel de petit.e.s agricult.eur.rices), non raccordée au réseau de la SONEDE (1) qu’il s’agisse de l’eau potable ou de l’eau d’irrigation.
Il s’agit d’une zone agricole : olives, vergers, potagers. Il est avéré que des carburants ont été retrouvés dans l’ « eau » de la source d’Aïn Dhoukkara, située à 200 mètres de la carrière. Enfin, certains logements sont déjà fissurés et il reste le risque de glissements de terrain et d’éboulements.
Les habitant.e.s, qui ont installé une tente pour abriter leur sit-in (2), ont l’habitude de dire qu’ils.elles vivent là depuis des centaines d’années, contrairement aux entreprises qui se sont installées il y a un plus d’une décennie.
Dès 2013, la population s’est adressée au délégué de Tabarka et a réitéré son action en 2019, se heurtant à l’inertie de l’administration alors qu’elle avait renoncé à boire l’eau de la source, et ne pouvait plus envisager de l’utiliser pour se laver car elle contient des matières visqueuses, probablement issues des déchets de carburants des machines de la carrière.
Plus il pleut, plus l’eau est sale, moins il pleut, moins il y a d’eau... Ils.elles sont donc contraint.e.s d’acheter de l’eau...
Ils et elles vont recevoir le soutien de la Campagne Nationale de Soutien aux Luttes sociales (3), qui manifeste à son tour devant la Direction des mines et des explosifs relevant du ministère de l’Equipement, d’une délégation du Million de Femmes Rurales (4) (membre de Via Campesina) et de Nomad 08 (5), qui organisent une marche jusqu’à la tente du sit-in, ou de la Ligue Tunisienne de Défense des Droits de l’Homme (LTDH) qui organise une conférence de presse. Le lendemain, ces associations tentent de se coordonner pour organiser le soutien.
Les habitant.e.s exigent la fermeture immédiate de la carrière. Leurs banderoles sont explicites :
« Le peuple veut la fermeture de la carrière de pierres »,
« Pour des cailloux, l’être humain meurt »,
« L’article 44 de la Constitution garantit le droit à l’eau »,
« L’eau est un droit, pas une option »,
« Le mode de production extractiviste = une économie fragile, un environnement pollué et une mort inéluctable »,
« Stoppez le calvaire de la population d’El Houaidia ».
Leurs avocats font valoir pour leur part que l’autorisation d’exploitation de la carrière est caduque depuis le 23 mai 2019. Les habitant.e.s luttent, non pas pour la mise en conformité de la carrière au niveau légal, mais pour sa fermeture immédiate et définitive.
Le 10 janvier 2020, les habitant.e.s manifestent devant le siège du gouvernorat de Jendouba et déposent plainte contre le propriétaire de la SUNO (Société Union Nord Ouest), Habib Ben Ifa.
Dès le lendemain, ils et elles manifestent devant le Tribunal de Première Instance de Jendouba en soutien à la plainte.
En février, au 44 ème jour du sit-in, leurs soutiens manifestent devant la présidence de la République à la Kasba à Tunis (6).
Lors d’une manifestation le 11 mars devant le siège du gouvernorat de Jendouba, les manifestant.e.s déposent manuellement l’ « eau » de la source sur les murs du bâtiment, le maculant.(7)
Dès le 24 janvier plusieurs habitants sont convoqués, accusés d’avoir pénétré illégalement sur la carrière et d’avoir entravé son activité.
Le 6 février, ils doivent être entendus par le Procureur.
Le 18 avril, c’est le tour des femmes du sit-in de recevoir des convocations à la brigade d’investigation de la Garde Nationale.
De nouvelles convocations sont envoyées le 26 avril.
En mars, le sit-in est suspendu par respect des mesures sanitaires imposées dans la foulée de la pandémie, mais dès le 9 juin, il reprend, les visites des soutiens habituels aussi. L’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) ou le collectif Chaml prennent position en soutien à cette lutte de femmes (8).
La criminalisation de la lutte entraîne une nouvelle manifestation devant le Tribunal de Première Instance de Jendouba en juillet 9, l’audience est renvoyée au 16 septembre.
A cette date, seront examinées trois affaires :
– la plainte des populations et d’associations contre le propriétaire de la carrière pour exploitation illégale, sans licence, dépassement des normes exigibles en termes de forage, rejet dans l’environnement des huiles, le brûlage de déchets solides, avérés par un rapport d’experts mandatés par l’Agence nationale de protection de l’environnement. Les habitant.e.s peuvent s’appuyer sur la loi 95-70 du 17 juillet 1995 relative à la conservation des eaux et du sol et l’article 32 du code pénal
– la plainte du propriétaire de la carrière contre plusieurs sit-inneurs accusés d’entrave à l’activité de la carrière
– la plainte du gouverneur de Jendouba contre 4 manifestant.es, deux femmes et deux hommes, qui avaient manifesté devant le gouvernorat en mars 10 ».
Luiza Toscane
Notes :
1. SONEDE : Société Nationale d’Exploitation et de Distribution des Eaux, établissement public créé en 1968, placé sous la tutelle du ministère de l’Agriculture.
2. Se reporter aux vidéos du sit-in : https://www.youtube.com/watch?v=wNebST69rhU ou https://www.youtube.com/watch?v=jVjjhn_KzHc ou https://www.youtube.com/watch?v=i3qKVSY-mvE
3. Se reporter à la vidéo des premiers soutiens : https://www.youtube.com/watch?v=Aqu31QgXLaw
5. https://www.facebook.com/nomad08redeyef/
6. https://ar-ar.facebook.com/watchwater.tn/videos/173891700559449/
Moncef