Dimanche après-midi [le 16 août] sous une chaleur étouffante, 20 000 personnes se sont rassemblées autour du monument de la Démocratie, dans la capitale thaïlandaise Bangkok. C’était le premier rassemblement public d’une telle ampleur depuis plus de six ans [date du coup d’État de 2014].
La plupart des participants n’étaient pas des habitués des manifestations, mais des lycéens et des étudiants. C’était, pour eux, leur première expérience de ce type.
Une lueur d’espoir
Nous sommes tous convaincus qu’un changement politique majeur doit avoir lieu en Thaïlande. Cet objectif commun a donné à la manifestation de dimanche une atmosphère d’espoir qui fait tant défaut à notre pays depuis le coup d’État militaire de 2014.
Les meneurs de la manifestation étaient pour la plupart des jeunes, leur discours était truffé de jargon inspiré de ce qu’ils lisent sur Internet. Vers la fin de la journée, cependant, ils ont clairement réitéré leurs trois revendications : la fin des mesures d’intimidation des militants prodémocratie, la rédaction d’une nouvelle Constitution et la dissolution du Parlement, y compris du Sénat nommé par le gouvernement, et ensuite l’organisation de nouvelles élections.
Ils ont également souligné deux principes clés : premièrement, l’opposition aux coups d’État militaires et aux gouvernements dits de “grande coalition”, qui ont souvent été instrumentalisés pour empêcher le changement, et, deuxièmement, le désir d’une véritable monarchie constitutionnelle.
Demande de réforme en dix points
Cette manifestation, de loin la plus importante depuis le début de la crise du Covid-19, faisait suite à un autre rassemblement sans précédent à l’université Thammasat de Bangkok [le 10 août], au cours duquel les étudiants ont présenté une proposition en dix points pour une réforme de la monarchie – une action qui pourrait leur valoir une arrestation pour crime de lèse-majesté.
“Ces deux manifestations signent la rupture d’un tabou de longue date en Thaïlande : la possibilité de débattre du rôle de la monarchie en politique, ainsi que des appels à plus de transparence de l’institution.”
Par le passé, on disait les jeunes Thaïlandais dociles, apathiques et conformistes. Mais cela a changé, et le soutien au mouvement s’étend à d’autres secteurs de la société. Pourquoi ? Peut-être parce que le seul message à comprendre c’est : “ça suffit”. Les six années au pouvoir du Premier ministre Prayuth Chan-ocha ont mis en évidence la militarisation de la politique engendrée par son coup d’État, permettant aux élites de nommer des membres du Sénat, de contrôler le Parlement et de placer leur Premier ministre au pouvoir.
La pandémie met en évidence l’incurie
Le système a également facilité les interventions de la justice pour détruire les partis politiques d’opposition, comme Future Forward. Nous sommes dans une impasse, et les gens savent qu’il n’y a pas d’autres moyens d’exprimer leur mécontentement que de descendre dans la rue.
Au départ, on aurait pu croire que le Covid-19 allait jouer en faveur du gouvernement en mettant un coup d’arrêt aux manifestations qui ont eu lieu suite à la dissolution de Future Forward [en février]. Au lieu de cela, les mesures draconiennes de confinement ont révélé l’incompétence des élites, qui ont imposé des sanctions sévères aux pauvres et aux plus faibles, ce qui a suscité notamment des problèmes et des retards pour apporter de l’aide à ceux qui en avaient le plus besoin.
Les suicides et les maladies mentales ont augmenté, tandis que le chômage atteignait 4 millions de personnes et devrait toucher 9 millions de personnes d’ici à la fin de l’année selon certains organismes.
Bien loin d’aider les élites, la pandémie a mis en évidence l’incurie du gouvernement sous sa forme actuelle pour gérer les énormes défis du pays. Le confinement a permis aux jeunes de discuter avec leurs parents, dont un grand nombre traverse des difficultés économiques, notamment pour ceux qui travaillaient dans le tourisme et ont perdu leur emploi.
De nombreux étudiants ont connu de très fortes baisses de revenus. Nous ne pouvons plus retrouver notre vie d’avant, et parmi les 500 000 étudiants qui vont être diplômés avant la fin de l’année, beaucoup se sentent désemparés face à de sombres perspectives d’emploi.
Une mobilisation sur les réseaux sociaux
Dans ce contexte, les réseaux sociaux sont devenus une plateforme vitale de transmission des informations, et ont permis d’informer les jeunes sur une foule de sujets allant des inégalités hommes femmes à la pauvreté, et ainsi, de créer une génération capable de percevoir les graves injustices inhérentes à la structure sociale de la Thaïlande.
Les réseaux sociaux ont également permis d’organiser les manifestations – y compris une multitude de flash mobs avant le 16 août – tandis que des mouvements contre les injustices comme Black Lives Matter et la Milk Tea Alliance, un collectif local thaïlandais protestant contre l’influence de la Chine sur la culture populaire, ont contribué à abaisser le niveau de tolérance de l’opinion publique à l’égard des dictatures et des inégalités sociales.
Un long voyage contre le statu quo
En cette période agitée, il faut beaucoup de courage. Les hommes et les femmes politiques, les médias et les personnalités publiques doivent se ranger du côté du peuple thaïlandais et de la démocratie, et faire jouer leur influence. Les manifestations doivent prendre de l’ampleur et se multiplier au-delà de Bangkok.
Nous devons également faire en sorte qu’une pression de l’international s’exerce sur le gouvernement, tout en développant les tactiques et les stratégies mises en œuvre avec succès par les mouvements de contestation dans le reste du monde, et en faisant la promotion des valeurs et des idéaux de la démocratie dans toute la Thaïlande.
Le voyage sera long ; ceux qui sont au pouvoir feront tout ce qu’ils peuvent pour conserver le statu quo. Mais nous demandons à l’État de ne plus avoir recours à la violence et de cesser de menacer les militants et les citoyens.
“Nous voulons l’égalité des droits pour tous et la démocratie, et nous aspirons à une monarchie constitutionnelle digne de ce nom.”
Nous sommes convaincus que le peuple thaïlandais ne va pas céder et que les manifestations et les protestations vont continuer jusqu’à ce que nos idéaux démocratiques soient pleinement satisfaits par la mise en place de réformes à grande échelle. Il y a un slogan qui fait fureur chez les jeunes et nous le reprenons ici : “Que notre génération soit la dernière [à subir l’oppression].”
Netiwit Chotiphatphaisal
Suphanut Aneknumwong
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