On en connaissait les grandes lignes, on connaît désormais le détail du plan de relance. Des documents produits par la puissante direction des finances, et consultés par Mediapart, montrent que la stratégie du gouvernement ne varie pas : politique structurelle de l’offre, absence de soutien à la consommation et écologie par petites touches.
Les 100 milliards dudit plan, qui doit être finalement présenté le jeudi 3 septembre, sont ventilés en trois tiers à peu près équivalents. Un premier déjà voté ou annoncé, un tiers issu du plan de soutien européen (que la France, quoi qu’il arrive, devra rembourser) et un tiers qui fera l’objet de la discussion budgétaire à l’automne.
Quatre grands thèmes sont définis par Bercy sous la houlette du ministre Bruno Le Maire : « verdissement » pour un total de 31 milliards d’euros, « indépendance/compétitivité » (33 milliards), « compétences » (19 milliards) et « cohésion » (16 milliards).
Ce quatrième volet, censé être le plus social pour préserver notamment la « cohésion » des territoires et venir en aide aux plus fragiles est donc le moins bien doté. Aux fameux territoires, pourtant si chers au premier ministre Jean Castex, seuls 600 millions d’euros vont être proposés en complément des mesures déjà prises. Une goutte d’eau.
D’autant que, tant au niveau des régions que des communes, le manque à gagner va être considérable. De fait, l’axe principal du plan de relance au niveau national est un effort budgétaire sur deux ans de 20 milliards d’euros (sur 35,3) à travers la baisse des impôts de production, en particulier ce que l’on nomme la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et qui a remplacé la taxe professionnelle. Elle rapporte à elle seule plus de 17 milliards d’euros pour financer régions, départements et communes.
Mais le Medef n’en a cure, et désormais le gouvernement non plus. Ce plan de relance doit être l’occasion d’implanter encore plus une politique de compétitivité même s’il faut étrangler encore un peu plus les collectivités locales et déséquilibrer une fois de plus les ressources locales.
Fin juillet, la députée Émilie Cariou, ex-LREM et pilier de la commission des finances, s’était émue de cette proposition à l’Assemblée nationale devant ses pairs, défendant le sens de ces impôts : « Il est bien normal de taxer l’activité économique d’un territoire, car ce territoire offre non seulement des infrastructures, mais aussi du personnel qu’il a contribué à former », avait-elle mis en avant.
Ses collègues de la majorité, tout à leur néolibéralisme, se réjouissaient déjà de ce joli cadeau fait au patronat [1] qui, du reste, bénéficiera en particulier aux grandes entreprises.
En outre, la piste pour compenser en partie cette perte pour l’économie locale demeure d’affecter une partie de la TVA, du moins aux régions. Ce qui générera une perte pour le budget de l’État et, à terme, aura des conséquences délétères sur le financement des services publics par exemple. La seule solution en ce cas sera, à un moment ou à un autre, de relever cet impôt discriminatoire ce qui pénalisera en priorité les ménages les moins aisés. Les perdants seront, une nouvelle fois, les mêmes.
Devant la commission des finances, fin juillet, la députée socialiste Christine Pirès-Beaune avait d’ailleurs déclaré que « la compensation d’une baisse de CVAE risque donc de s’opérer sur une base contestable et de sanctuariser des inégalités ».
L’économiste Mathieu Plane, interrogé par Mediapart, convient que cette baisse de 20 milliards des impôts de production, couplée à une diminution de moitié de l’impôt sur les bénéfices, « n’est pas une mesure de relance comme les autres. C’est même une mesure structurelle et pérenne. La question du financement va donc se poser ».
Il s’interroge sur le choix du gouvernement de ne pas concentrer ses efforts auprès des entreprises sur leurs besoins de fonds propres et de capitaux avec une ligne budgétaire de seulement 3 milliards d’euros. « Je pense qu’il aurait fallu des mesures plus ciblées sur la crise, comme doit normalement le faire un plan de relance. »
Autres perdants : les plus fragiles au sein de la population. Ils sont les parents pauvres du plan de relance. « Le soutien aux personnes précaires », l’une des lignes budgétaires du volet cohésion, ne représente en tout et pour tout que 800 millions d’euros comprenant pour l’essentiel la hausse de l’allocation de rentrée et le repas à 1 euro en resto universitaire.
Par comparaison, l’État prévoit autant d’argent pour l’aide aux associations et à l’hébergement d’urgence (200 millions d’euros) que pour le maintien des compétences dans le nucléaire.
Là aussi, Mathieu Plane pointe une sorte d’incohérence avec « des mesures sociales relativement faibles », qui ne correspondent pas à une logique d’urgence pour faire face à une crise économique sans précédent.
Selon l’Insee [2], le PIB de la France a chuté de 13 % au deuxième trimestre… L’économiste observe également l’absence de tout dispositif de soutien à la consommation – hors rénovation thermique des bâtiments – qui, pourtant, joue un rôle majeur et efficace pour tenir à flot l’économie.
Prétendument marqueur de ce plan de relance : le « verdissement », qui remplace la « transition écologique » en langage technocratique. Tout un symbole. Sur les 31,8 milliards d’euros qui composent ce volet-là, le gouvernement ne va abonder que de 2,7 milliards d’euros supplémentaires le budget total au sein d’un saupoudrage essentiellement financé par les crédits européens.
Dans cet éventail de sommes censées accompagner le pays vers une économie décarbonée et plus respectueuse de l’environnement, « la transition agricole » ne recevra finalement que 1,3 milliard d’euros, soit à peine 4 % de l’effort budgétaire. Comparativement, le plan de soutien aux secteurs automobile et aéronautique débloque deux fois plus de fonds.
Le volet « accélération de la transformation agricole » n’obtient qu’une enveloppe européenne de 200 millions d’euros. Dans le même esprit, la politique de « décarbonation des industries » ne bénéficie d’un effort supplémentaire que de 900 millions d’euros (pour un total de 1,2 milliard).
Face à la crise, et avec ce plan de relance dont la présentation officielle a été repoussée d’une semaine, le pouvoir actuel continue de creuser un sillon entamé bien avant cette crise historique : implanter une politique de l’offre faite de baisses d’impôts pour les entreprises et laisser les miettes aux plus fragiles et à une véritable transition écologique. L’urgence attendra.
Manuel Jardinaud
• MEDIAPART. 28 août 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/280820/les-plus-fragiles-et-la-transition-ecologique-seront-les-grands-perdants-du-plan-de-relance
Pour la rentrée, Jean Castex offre au patronat ce qu’il a demandé
Le premier ministre a réservé ses premières annonces au Medef. Baisse de l’impôt de production, prolongement d’assouplissements de normes décidés durant l’état d’urgence, absence de mesures sur l’écologie.
Une rentrée politique, c’est une mise en scène destinée à donner du sens à un discours et une action. Mercredi 26 août, Jean Castex, le premier ministre, a choisi en toute conscience de s’adresser aux chefs d’entreprise en priorité.
D’abord, par la magie de la programmation radiophonique, le matin sur France Inter, où il était l’invité de la matinale quelques minutes après Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef. L’après-midi en se rendant à l’ouverture de l’université d’été de l’organisation patronale, intitulée cette année la REF (Renaissance des entreprises françaises).
Au sein du chic hippodrome de Longchamp, au cœur du bois de Boulogne, où chacun peut se régaler d’une coupe de champagne offerte sur la belle pelouse verte, le premier ministre a longuement, et lentement, présenté sa politique et divulgué quelques éléments du plan de relance. Son dévoilement a été reporté d’une semaine pour cause de rentrée sous la menace d’une reprise active de l’épidémie.
Dans ce contexte, le gouvernement a d’ailleurs imposé le port du masque dans toutes les entreprises [3], provoquant l’ire du Medef devant cette annonce « un peu brutale », selon les mots du patron de l’organisation patronale.
Message reçu à Matignon avec la saisine du Haut Conseil de la santé publique par le ministère du travail pour évaluer les possibles adaptations et la confirmation par Jean Castex lui-même que rien n’est encore figé. « Je crois pouvoir vous dire qu’il y aura la place pour des solutions pragmatiques », a-t-il concédé, s’attirant ainsi quelques applaudissements.
Tout au long de son discours, ils seront d’ailleurs discrets, jusqu’à l’acmé du propos et la liste de l’ensemble des mesures de relance pour « faire en sorte que l’on retrouve d’ici à la fin du quinquennat le niveau de richesse de 2019 ».
Et la liste est longue des annonces qui confirment cette politique pro-entreprises caractérisant le mandat d’Emmanuel Macron. Lors de son discours de politique générale [4], à la mi-juillet, Jean Castex avait d’ailleurs inscrit la sienne dans ce sillon macroniste. « La priorité va donc au soutien assumé à l’offre et au soutien productif. [...] Le plan opérera d’abord par l’offre et l’investissement. »
Pas d’ambivalence donc devant le Medef : l’essentiel des 100 milliards d’euros ira directement en soutien aux entreprises puisque, selon le premier ministre, la consommation des Français se porte bien et que, visiblement, les inégalités sociales et la pauvreté peuvent attendre. À peine est évoquée la question de la participation pour l’ensemble des salariés « sans obligations nouvelles ». De salaires, jamais il n’est question.
De la transition écologique non plus. Jean Castex, autopromu champion de l’écologie depuis une tribune intitulée « Tous écologistes ! » [5], n’a pas une seule fois fait allusion à ce qui devait pourtant être la priorité des priorités du gouvernement. Rien sur le réchauffement climatique, rien sur la réduction des gaz à effet de serre, rien sur une probité en matière de transport, rien sur le rôle des entreprises en termes de rénovation thermique des bâtiments. Rien.
À la plus grande joie intérieure des dirigeants du Medef, dont le président avait auparavant, et comme une ritournelle bien connue, indiqué que « la décroissance n’est pas une option » et évoqué les « problèmes de coûts, les problèmes d’efficacité, les problèmes de normes ». Juste avait-il insisté sur un dialogue nécessaire avec les ONG... Bien peu pour changer la donne.
En revanche, pour relancer l’économie, tout est bon à prendre aux yeux des patrons réunis, et Jean Castex est venu les bras chargés de cadeaux. Confirmation de la baisse de l’impôt sur le revenu, diminution des impôts de production de 10 milliards d’euros dès le 1er janvier 2021 – tout en restant très flou sur la compensation envers les collectivités territoriales –, et « davantage de simplifications », selon ses mots.
Concernant cette dernière annonce, il s’est fait plus précis, indiquant que nombre de mesures prises durant l’état d’urgence sanitaire sur le droit du travail et l’urbanisme notamment seront prorogées et même « amplifiées ». Sans surprise, il confirme que le provisoire dure souvent en matière de régression des droits sociaux et de l’environnement. Ce sera donc le cas, par exemple, pour la précarisation des contrats courts [6] qui autorise les employeurs à déroger aux règles habituelles régissant les CDD.
Quelques minutes auparavant, Geoffroy Roux de Bézieux avait rappelé au bon souvenir du premier ministre la vieille demande du Medef sur le « travailler plus ». « Depuis, j’ai cru entendre certains responsables politiques, et pas des moindres, parler de travailler davantage [...] », s’est-il réjoui.
Grand promoteur des accords collectifs de performance – qui permettent à des entreprises d’augmenter le temps de travail tout en diminuant les salaires sous prétexte de sauver l’emploi –, Jean Castex a fait un pas en direction du Medef sur ce sujet. Aucune annonce mais une formule : « Pour réussir il n’y a pas de secret, il faut travailler. »
Il en appelle à l’implication de toutes et tous pour relever le pays par le travail, s’arrogeant même le droit de réécrire la devise nationale en « Liberté, égalité, fraternité, responsabilité ».
Dans les coursives et à l’abri des tentes des exposants, les participants portent pour un certain nombre de faux panamas, chapeaux élégants distribués gratuitement par l’organisation. On parle affaires et état du monde. Parfois vacances au bord de la mer. Le premier ministre vient d’annoncer que la casse des droits sociaux n’est pas terminée.
Manuel Jardinaud
• MEDIAPART. 26 août 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/260820/pour-la-rentree-jean-castex-offre-au-patronat-ce-qu-il-demande