Des contaminations en forte hausse, mais des hôpitaux qui ne voient pas (encore ?) déferler de vague de malades. L’épidémie de Covid-19 en France s’accélère, c’est indéniable. Mais à des rythmes bien différents, selon les stades de la maladie. Ainsi, comme l’a montré Checknews [1], les contaminations ont été multipliées par environ 3,5 depuis la mi-juillet, contre 2 pour les hospitalisations et 3 pour les admissions en réanimation. Quant aux décès, ils n’ont été multipliés « que » par 1,8 sur cette période. Le profil des malades, plus jeunes et en relative bonne santé, constitue un premier facteur d’explication. Mais la meilleure prise en charge des patients semble avoir également son importance, sans, pourtant, qu’il existe un traitement contre le virus.
Eric Caumes, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, fait le point sur la manière dont sont soignés les patients.
Fanny Guyomard – Les médecins disent que l’on soigne désormais mieux le Covid-19, sans pour autant avoir de médicament contre le virus. Comment expliquer ce paradoxe ?
Eric Caumes – Oui, on peut se dire que c’est bizarre : on arrive à mieux prendre en charge les patients sans avoir de traitement antiviral contre une maladie virale… En fait, c’est la première phase de la maladie qui est virale, 95 % des cas guérissant tout seuls. Les 5 % restants entrent dans la deuxième phase, qui arrive entre le septième et le dixième jour : l’orage cytokinique, dit « orage immunitaire ». Le système immunitaire s’emballe et envoie trop de médiateurs inflammatoires, les cytokines. C’est cette seconde phase qui conduit les malades à l’hôpital et potentiellement en réanimation. Et c’est là où l’on a fait des progrès dans les traitements.
Comment soigne-t-on aujourd’hui l’inflammation ?
Le meilleur médicament anti-orage immunitaire, c’est la cortisone, un corticoïde. Début juin, l’essai Recovery, piloté par l’université d’Oxford, a montré que six milligrammes de dexaméthasone, un corticoïde, diminuaient la mortalité d’un tiers chez les patients placés sous respirateur et d’un cinquième chez ceux qui recevaient de l’oxygène. Alors, c’est vrai que les corticoïdes favorisent la multiplication des virus, mais à ce stade, au dixième jour, il n’y a plus de virus.
Les médecins anticipent-ils mieux les réactions du corps ?
Une autre des conséquences du virus et de l’orage immunitaire, c’est la thrombose, qui peut se compliquer en embolie pulmonaire : un caillot de sang obstrue un des vaisseaux sanguins qui irriguent le poumon. Au départ, on ne savait pas que le Covid donnait des thromboses, qui sont difficiles à détecter. Le premier malade français mort du Covid en France, à la Pitié-Salpêtrière, est décédé d’une embolie pulmonaire. Puis, de nombreuses autres personnes atteintes par le Covid en sont mortes. Dès qu’on s’en est rendu compte, on a mis les patients sous anticoagulants et ça a marché, ils ne meurent plus d’embolie pulmonaire.
Les antibiotiques sont-ils utiles ?
A priori non, car les patients ne surinfectent pas beaucoup par bactérie.
Il semblerait aussi que les hôpitaux abandonnent la ventilation invasive, où le tube entre dans la trachée. Pour quelles raisons ?
Avant, quand les patients passaient en réanimation, on les intubait et les ventilait très rapidement, comme pour un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA). La ventilation invasive donne beaucoup de complications : vous êtes sur le ventre pendant trois à quatre semaines, vous êtes dénutri et perdez vingt kilos… Et vous êtes curarisé, c’est-à-dire sous médicaments anesthésiques, avec toutes les complications musculaires que cela occasionne… On s’est rendu compte que c’était plus délétère qu’efficace. Et surtout, en cours de route, on a vu que les patients ne faisaient pas tout à fait un SDRA, mais une hypoxémie réfractaire : en substance, ils manquent d’oxygène dans les poumons et dans le sang. Ça ne se ventile pas de la même manière.
Donc aujourd’hui, on opte pour une intubation non invasive : l’oxygène à haut débit est acheminé avec un masque. Tout cela explique qu’on est passé de 40 % de mortalité en réanimation à 25 %. Les cas hospitalisés sont moins graves. Ils restent une dizaine de jours en réanimation, et plus quatre semaines comme ça s’est vu au début de l’épidémie.
Le Covid est-il moins dangereux aujourd’hui ?
Certains disent que le virus, au cours de ses mutations, est devenu moins virulent. Je ne crois pas à cette thèse. Je pense plutôt que ce ne sont pas les mêmes populations qui sont touchées aujourd’hui. Les jeunes qui contractent le virus ne sont quasiment pas malades et ne vont quasiment pas à l’hôpital. Quant aux personnes fragiles, les obèses et les vieux - pour le dire de manière politiquement incorrecte -, je pense qu’elles se protègent davantage. Et qu’elles sont mieux protégées par les personnes moins vulnérables, qui font davantage attention à ces profils à risques. Reste un autre facteur : le nombre de places à l’hôpital. Aujourd’hui, le système de santé n’est pas saturé. On peut mieux prendre en charge les malades. Ce qui est plus difficile quand les hôpitaux sont surchargés.
Fanny Guyomard