Il est l’un des plus petits pays d’Afrique et le dernier dirigé par un monarque absolu. Connu sous le nom de Swaziland jusqu’à ce que le roi Mswati III décide, en 2018, de lui rendre son nom précolonial, “Eswatini”, le royaume enclavé à l’est de l’Afrique du Sud, attire rarement l’attention. On sait que son monarque concentre tous les pouvoirs et qu’il dépense pour ses nombreuses femmes des sommes extravagantes alors que la population affiche l’une des espérances de vie les plus faibles du monde – 59 ans en 2018, selon la Banque mondiale. On sait aussi que Mswati III n’aime pas beaucoup qu’on écrive des choses négatives sur lui.
Au cours des derniers mois, deux journalistes à la tête de médias indépendants ont dû quitter le pays et un troisième est sur la sellette face aux autorités, raconte ainsi le Mail & Guardian. “L’épidémie de Covid-19 a mis en lumière le mystère qui entoure la santé du roi Mswati alors que l’élite traditionnelle swazi continue de batailler avec les concepts de droit à l’information et de liberté de la presse”, écrit notamment l’hebdomadaire.
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À la tête du Swaziland News, Zweli Martin Dlamini est le premier à avoir été inquiété. Fin février, il quitte précipitamment le pays après avoir été arrêté et questionné par les forces de l’ordre au sujet de deux articles critiques à l’égard du pouvoir, rapporte le Comité pour la protection des journalistes .
Hospitalisé avec des “difficultés à respirer”
Un mois et demi plus tard, alors que Mswati III, 52 ans, est invisible depuis plusieurs semaines et que certains le suspectent d’avoir contracté le Covid-19, Zweli Martin Dlamini écrit que le monarque aurait été admis à l’hôpital “dans un état critique” avec des “difficultés à respirer”, selon des “sources royales”.
Le jour même, les autorités, qui démentent les rumeurs de maladie, font de nouveau irruption chez lui. En son absence, sa femme est à son tour arrêtée et interrogée. “Dans des documents juridiques, elle assure que la police l’a menottée et étouffée en plaçant un sac sur sa tête”, selon le Mail & Guardian. Un mandat d’arrêt est émis contre le journaliste, formellement accusé, cette fois, d’avoir enfreint de nouvelles règlementations relatives au Covid-19, selon le CPJ.
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Depuis mars dernier, l’Eswatini interdit notamment à toute personne ou institution de “propager des rumeurs ou des informations non vérifiées sur le Covid-19” et de publier des informations sur le statut infectieux de quelqu’un en matière de Covid-19. Les nouvelles régulations obligent également les médias à obtenir la permission du ministère de la Santé avant de publier des informations relatives au nouveau coronavirus. Les infractions sont passibles de cinq ans d’emprisonnement et de 1 000 dollars d’amende.
Réprimer ceux qui critiquent le roi
Peu de temps après Zweli Martin Dlamini, l’éditeur du Swati Newsweek, Eugene Dube, doit à son tour quitter le pays. Avant sa fuite, Eugene Dube avait également été arrêté par les forces de l’ordre et interrogé au sujet de deux articles publiés sur son site, l’un des plus populaires du pays, selon Reporters sans frontières (RSF). Dans le premier, “Le roi prend la santé des Swazis à la légère”, l’un de ses journalistes, Mfomfo Nkambula, dénonçait la gestion de la crise par les autorités. Dans le second, titré “La destitution du roi est possible”, le journal donnait la parole au responsable d’une organisation politique plaidant pour le changement.
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Une dizaine de jours plus tôt, les autorités avaient averti qu’elles “n’hésiteraient pas à réprimer durement les journalistes critiquant le roi Mswati”, selon RSF, associant les critiques à l’égard du monarque à de la “haute trahison”. Le collaborateur d’Eugene Dube, Mfomfo Nkambula, a également été interrogé par la police. Dans un communiqué adressé au Comité pour la protection des journalistes, le porte-parole du gouvernement, Sabelo Dlamini, a nié le fait que les reporters soient poursuivis pour avoir critiqué le roi, assurant que Dube “gérait un média non immatriculé”. Le document réaffirme toutefois que “toute personne qui rapportera de fausses nouvelles au sujet du Covid-19 sera poursuivie”, note le CPJ.
Courrier International
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