Une suspension et un symbole : celui d’une rupture, précipitée par la crise sanitaire, entre un certain nombre d’inspecteurs du travail et leur hiérarchie administrative incarnée par l’ancienne ministre du Travail, Muriel Pénicaud. Ce mardi, quelques centaines de personnes se sont réunies à Paris à l’appel de plusieurs syndicats (la CGT, SUD, FO, la FSU et la CNT) pour soutenir Anthony Smith avant qu’il ne se présente devant une commission administrative disciplinaire. Aux yeux de Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, l’affaire est simple : si cet inspecteur du travail, mis à pied depuis trois mois, risque aujourd’hui une sanction pouvant aller jusqu’à la révocation, c’est « parce qu’il a trop bien fait son travail ».
L’histoire s’est nouée durant le confinement, alors que la pandémie de coronavirus était au plus haut en France et que les masques manquaient cruellement, notamment pour les métiers relevant des soins et de la santé. C’est précisément pour contraindre une structure rémoise d’aide à domicile d’équiper ses quelque 300 salariés d’un matériel de protection adéquat – dont des masques – qu’Anthony Smith a décidé, à la mi-avril, d’initier une procédure de référé devant la justice. A peine l’avait-il fait que le ministère du Travail le suspendait, considérant dans un communiqué que l’agent avait « enjoint aux employeurs des conditions de maintien d’activité non conformes aux prescriptions des autorités sanitaires », et qu’il avait « développé des pratiques internes non conformes aux règles professionnelles et déontologiques applicables ». Car Anthony Smith aurait aussi eu le tort, selon sa hiérarchie, de vouloir rappeler aux employeurs leurs obligations par une lettre basée sur un canevas conçu par le syndicat auquel il est affilié, la CGT. Une démarche interprétée comme une volonté de faire primer ses engagements syndicaux sur son métier.
« C’est la crédibilité du ministère qui est en cause »
En réalité, pour les inspecteurs venus défendre leur collègue ce mardi, cet épisode révèle leur abandon par leur hiérarchie au cœur de la crise. « La direction générale du travail était aux abonnés absents au début de la crise. Des collègues se sont retrouvés à bricoler des communications comme ils le pouvaient », explique Simon Picou, représentant syndical (CGT) au sein de la commission administrative chargée de statuer sur le sort d’Anthony Smith. Selon lui, « il y a même des départements où la hiérarchie s’est appuyée sur les canevas de la CGT et les a diffusés ». « On fonctionne souvent comme ça, en élaborant collectivement des courriers-types », abonde Cécile Clamme, représentante CGT-TEFP (travail, emploi, formation professionnelle) au sein de la Direccte du Grand-Est. Sollicitée par Anthony Smith pour le défendre devant la commission, elle reproche au ministère d’avoir « transmis des consignes pour limiter au maximum [les] interventions », en privilégiant la poursuite de l’activité économique au détriment de la santé des salariés.
Devant la commission, Anthony Smith a présenté un autre défenseur de poids : Bernard Thibault. Pour l’ancien secrétaire général de la CGT, qui siège aujourd’hui au conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail (OIT) en tant que représentant des travailleurs, « l’attitude de l’administration est contraire aux textes de l’OIT ». Ratifiés par la France, ces derniers garantissent aussi bien l’indépendance des inspecteurs du travail, leur réservant des prérogatives très larges, que la liberté syndicale. Bref, c’est une question de « principes » et, dit-il, « c’est la crédibilité du ministère qui est en cause ». La nouvelle ministre, Elisabeth Borne, rétablira-t-elle le dialogue avec les inspecteurs du travail, rompu par sa prédécesseure ? La décision de sanctionner ou non Anthony Smith – qui lui revient désormais puisque la commission ne s’est pas mise d’accord sur une sanction – en sera un bon indicateur.
Frantz Durupt