“Arrêtée ! À Borrowdale. J’espère que ça ira.” Le vendredi 31 juillet, il est midi quand l’écrivaine zimbabwéenne Tsitsi Dangarembga, 61 ans, en lice pour le prestigieux prix littéraire britannique Booker Prize, annonce son arrestation sur Twitter. En dépit des mises en garde du gouvernement zimbabwéen, elle a décidé de répondre à l’appel à manifester contre la corruption lancé par le principal parti d’opposition et plusieurs organisations issues de la société civile. La veille, la police a bouclé les rues d’Harare afin de dissuader les rassemblements. Aux côtés de l’écrivaine, une dizaine d’autres militants et membres de l’opposition sont embarqués.
Les scènes d’arrestations comme celles-ci se multiplient au Zimbabwe alors que le pays est confronté à une triple crise sanitaire, politique et monétaire. Le 20 juillet dernier, c’est l’un des documentaristes les plus en vue du pays, Hopewell Chin’ono, qui était arrêté chez lui après avoir révélé une affaire de corruption impliquant le ministre de la Santé, limogé depuis. D’après la ministre de l’Information citée par le journal officiel The Sunday Mail, le journaliste a été arrêté pour avoir “incité à la violence et non parce qu’il a révélé des faits de corruption comme le prétendent certains pays occidentaux”.
Victime de la crise économique mondiale provoquée par la pandémie de Covid-19, le Zimbabwe doit composer dans le même temps avec une inflation de plus de 700 %. Infirmières et médecins sont en grève depuis plusieurs semaines afin d’obtenir le paiement de leur salaires en dollars américains. Ils dénoncent également le manque d’équipements de protection face au Covid-19. Plus de 200 d’entre eux ont contracté le virus, d’après le journal indépendant Newsday. Isolé sur la scène internationale, le gouvernement peine à avoir accès aux aides financières internationales, relève le Zimbabwe Independent.
Tensions politiques croissantes
Aux difficultés économiques semblent s’ajouter des tensions politiques croissantes. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmerson Mnangagwa, la presse zimbabwéenne se fait l’écho d’une rivalité tenace entre le nouvel homme fort et son vice-président, Constantino Chiwenga, potentiel rival dans la prochaine course à la présidentielle. Les deux vétérans de la Zanu-PF, le parti au pouvoir, ont renversé Robert Mugabe ensemble à l’automne 2017. Mais d’après deux journaux privés, le Zimbabwe Independent et le Standard, l’actuel président et son second aurait eu “des échanges enflammés” au cours d’une réunion “explosive” à la veille des manifestations du 31 juillet.
Comme par le passé, le gouvernement justifie la répression en pointant du doigt des complots venus de l’extérieur. La justice accuse ainsi le journaliste Hopewell Chin’ono d’avoir participé à un projet d’“insurrection potentiellement violente financée par l’étranger afin de déstabiliser le pays et de renverser le gouvernement”. Après la “tempête mondiale” provoquée par l’arrestation de Tsitsi Dangarembga, l’écrivaine ainsi que dix autres manifestants ont été libérés sous caution le lendemain de leur arrestation. Ils sont accusés d’avoir “pris part à un rassemblement public dans l’intention de commettre des violences” et d’avoir enfreint l’interdiction de rassemblement liée à la lutte contre le Covid-19.
Mathilde Boussion
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez chaque lundi par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais, dans la semaine écoulée.