Pour l’État et les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), le traçage numérique est la solution du 21e siècle. Une solution mauvaise pour nos libertés, mais surtout inefficace comme le montre l’échec du traçage numérique à Singapour. Sans parler des enjeux financiers et de pouvoir qui se cachent derrière nos données personnelles de santé. Un Big brother sanitaire, qui préfigure un Big brother sociétal. Une solution qui, de plus, ne marchera pas. En France, 16 millions de personnes ne possèdent pas le smartphone nécessaire pour télécharger ce type d’application. Sans parler de celles et ceux qui n’en ont pas les capacités, souvent les personnes les plus fragiles face au Covid (personnes âgées, précaires…), qui sont les plus importantes à tester, comme le montre le redémarrage de l’épidémie à Singapour, parmi les travailleurEs précaires du bâtiment, cloitrés en dortoirs. La technologie Bluetooth amène aussi beaucoup de faux positifs. Proches, mais séparés par un mur léger ou une vitre ! Proches, mais masqués ! À Singapour la connectée, seule 10 % de la population a téléchargé l’application, alors que selon l’étude d’Oxford University, il en faudrait 60 % pour que l’outil soit efficace.
Contre les solutions verticales
À la place du numérique, nous réaffirmons l’humain. À la place de la technique, nous réaffirmons la nécessité d’une prise en charge globale des patientEs Covid-19. À la place d’une santé centrée sur le soin et l’hôpital, la nécessité d’une politique de santé communautaire, dans les quartiers, les entreprises, les prisons, tous les lieux de vie, en clair un service public de santé de proximité, qui doit s’appuyer sur tous ceux et toutes celles qui sont déjà sur le terrain, mais qui, en cette période d’épidémie, doit s’appuyer aussi sur des équipes de travailleurEs de santé communautaires chargés de contacter les patientEs, de les informer, de retrouver leurs contacts.
L’expérience des travailleurEs de santé communautaire au Liberia en période d’Ebola ou à Haïti face au choléra après le séisme de 2009, nous montre que cela est possible, bénéfique et efficace pour la santé, et jouit d’un fort soutien communautaire, ce qui manque cruellement à toutes les solutions verticales du marché ou de l’État.
25 000 embauches pour la prévention, la détection, le soutien
Pour les besoins de l’hôpital, nous exigeons 120 000 embauches. Pourquoi ne pas y ajouter l’exigence de la formation et de l’embauche de 25 000 travailleurEs de santé communautaire, dans le cadre d’un service public de santé de proximité, pour organiser la solidarité et le dépistage face au Covid-19 ? L’université John-Hopkins estime les besoins à trois à cinq personnes pour 10 000 habitantEs. Leur rôle ?
– La prévention : importance et accessibilité des gestes barrières (fourniture de gel et de masques gratuits, points de lavage des mains), distribution de médicaments pour les plus malades, âgés ou livraison de nourriture pour les plus pauvres, les plus précaires (sans logis, immigrés en situation de précarité).
– La détection des signes de Covid-19 et le traçage des contacts pour mieux orienter vers les équipes médicales de test, le suivi épidémiologique dans le strict respect du secret médical et l’anonymisation des données.
– Le soutien : conseils, surveillance, moyens aux patientEs atteints de symptômes légers de Covid-19, confinés à domicile ou confinés volontairement dans des hôtels réquisitionnés pour l’occasion.
Un travail en lien étroit avec tous les personnels de santé et du social (infirmiers, aide à domicile, médecins, psy, travailleurEs sociaux, associations…), mais aussi en lien avec les municipalités et les autorités sanitaires, tout en gardant leur autonomie vis-à-vis d’elles, pour faire émerger les problèmes.
L’urgence… et l’avenir
Cela suppose une formation rapide de qualité, la fourniture de matériel de protection, la garantie d’un suivi médical et psychologique, l’ouverture d’un registre national des cas de Covid-19 des soignantEs communautaires, mais aussi la garantie de statut et de revenu, le droit d’organisation (délégués, CHSCT virtuels). Ce dispositif ne peut se baser sur la précarité et l’abnégation !
En période de chômage, cela permettrait des milliers d’embauches en fonction des besoins, de jeunes qui n’ont pas de fragilité face au Covid, qui ont une bonne connaissance des communautés, puisqu’ils en feraient partie ou feraient partie de ses soutiens (langue, quartier, connaissance des modes de vie et d’interprétation, des lieux de pouvoir et d’oppression…). Le jour d’après, ils et elles pourraient s’intégrer à une santé communautaire à bâtir, basée sur la prévention des autres épidémies que sont le diabète, la malbouffe… ou retrouver leur ancien emploi.
Ces propositions comportent peut-être des erreurs, mais elles tracent un autre chemin, qui doit être débattu par les syndicats, les associations, les citoyenEs. Comme autant de projets à mettre en place, dès maintenant, à l’échelle d’un quartier, d’une municipalité, d’une association, comme autant d’exigences que nous devons porter face au pouvoir.
Frank Cantaloup
• Créé le Mercredi 29 avril 2020, mise à jour Mercredi 29 avril 2020, 16:24 :
https://npa2009.org/arguments/sante/la-sante-communautaire-plutot-que-la-technologie-numerique-du-pouvoir-et-des-gafam
Masques et tests : pénurie et mensonges d’État
Le roi est nu et il a menti ! Pendant des semaines, les messages du pouvoir sur les masques inutiles et les tests à réserver aux services de réanimation n’aura été qu’une dérisoire façade pour masquer l’impensable.
Pour économiser 50 millions d’euros, le gouvernement Hollande-Marisol Touraine a liquidé les stocks stratégiques de masques. Pour que cela coûte moins cher, la production de masques chirurgicaux, comme celle de l’ex entreprise Giffard à Plaintel, pourtant rentable, a été délocalisée, et ses machines jetées à la ferraille.
Mensonge et cynisme
Pour détourner le regard de cette pénurie, on accuse la grande foire d’empoigne capitaliste sur les masques, bien réelle, les prix qui explosent, les USA qui volent « nos » masques, jusque sur le tarmac des aéroports chinois, oubliant que le France fait de même avec 4 millions de masques achetés par la Suède, comme l’a révélé l’Express.
Les sommités médicales, dont l’Académie de Médecine, ont couvert ce mensonge d’État sur les masques inutiles, ce déni de démocratie révélé par Mediapart. Pendant des semaines, dans les Ehpad, les directions ont relayé ce message, pas besoin de masques pour les personnels, pour les résidentEs. On en paye le prix, avec au moins 2 417 morts en Ehpad annoncés ce lundi. Mensonge et cynisme : alors que partout dans le monde les avions sont cloués au sol, que le monde médical manque de masques, que le gouvernement bat les plateaux de télévision en répétant que les masques sont réservés à la santé, il organise dans le même temps le détournement de centaines de milliers de masques vers l’entreprise Airbus, pour qu’elle puisse continuer à produire. Pendant la crise, les profits doivent continuer…
Où sont les tests ?
Dès le 12 janvier, la Chine diffuse au reste du monde la séquence génétique complète du virus, permettant ainsi, à tous ceux qui le souhaitent, de lancer la fabrication de tests de dépistage. En Corée du Sud, les premiers kits sont ainsi disponibles dès le 4 février, soit deux semaines avant l’emballement de l’épidémie. En Allemagne, 500 000 tests sont réalisés chaque semaine, s’appuyant sur tous les laboratoires de ville, réalisés de manière décentralisée au plus près des populations, permettant d’isoler tous les malades, et pas seulement les plus graves, mais aussi les porteurs sains. Quand on sait que des modélisations de l’épidémie chinoise montrent qu’une contamination sur deux est liée à des porteurs sans symptôme, on voit tout l’intérêt de ce dépistage de masse. La mortalité en Corée ou en Allemagne en atteste. Le gouvernement français a choisi la voie opposée. Ne tester que les cas les plus graves, à l’entrée des services de réanimation. Limiter sévèrement les tests dans les Ehpad. Une folie criminelle, à l’opposé des recommandations de l’OMS. Du 24 février au 27 mars, seulement 200 000 tests ont été réalisés en France, quand l’Allemagne en réalise 500 00 par semaine.
Virage tardif à 180°
Mais il n’y a pas que le nombre de tests. Pour avoir choisi de tester peu, les autorités médicales françaises ont négligé de prévoir un approvisionnement massif en écouvillons, d’approvisionner les laboratoires de ville en matériel de protection adéquat (lunettes, surblouses…), de sécuriser l’approvisionnement en réactifs qui viennent souvent de Chine. Le gouvernement a refusé de réquisitionner les entreprises françaises « leaders du marché du diagnostic qui existent en France », comme le réclamait dès le 18 mars l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament. Voulant tester peu, le ministère a privilégié des techniques longues, nécessitant un lourd appareillage spécialisé, comme le système propriétaire Roche, incompatible avec les systèmes des laboratoires de ville ! Alors qu’il aurait fallu privilégier des techniques rapides, automatisées et décentralisées, utilisant tous les centres de biologie déjà existants, humains, vétérinaires, de recherche, pour tester le plus de monde possible… Les tests rapides existent, les écouvillons existent, les laboratoires existent. Le gouvernement leur a tourné le dos. Obligé de faire un virage à 180° face à la colère qui monte et avec la perspective du déconfinement, Olivier Veran espère pouvoir tester 50 000 personnes par jour… Mais seulement fin avril !
Frank Cantaloup
• Créé le Mercredi 8 avril 2020, mise à jour Mercredi 8 avril 2020, 09:33
https://npa2009.org/actualite/sante/masques-et-tests-penurie-et-mensonges-detat
Face à l’épidémie, nos anticorps sociaux sont aujourd’hui nos seules armes
Un monde s’arrête, un monde s’écroule. Pendant plus de deux mois, l’Europe capitaliste a assisté à l’émergence de la pandémie de Covid-19 en Asie. Sans rien faire.
Les pays européens, rêvant d’État fort contre leurs classes dangereuses, se prenaient parfois même à s’interroger sur la supposée efficacité des États autoritaires dans la gestion de l’épidémie. Oubliant les médecins lanceurs d’alerte muselés, ce qui a permis au virus d’atteindre la masse critique qui lui permet aujourd’hui de faire le tour du monde, en suivant les voies de la mondialisation libérale. Il avait fallu six mois à la grippe de 1957, il faut deux mois au Covid-19 pour faire de l’Europe le centre de l’épidémie. Pourquoi cet aveuglement ? Pourquoi les leçons du SRAS de 2002, de la montée des épidémies (Zika, dengue hémorragique, Ebola…) n’ont pas pu être tirées, ni même pensées ?
Les intérêts, l’horizon tout simplement des élites, politiques, bancaires, industrielles mais aussi médicales, leur interdisaient même de penser une riposte à la hauteur du défi. Et donc d’imaginer ce défi. Car cela aurait supposé un investissement massif dans les services publics et la santé, le blocage anticipé des secteurs non indispensables de l’économie, une socialisation anticipée de la production pour faire face à l’urgence médicale, un transfert massif de richesses vers les peuples dominés, une mise en commun de toutes les intelligences de la recherche mondiale en vaccination, une auto-organisation populaire pour réorganiser rapidement, démocratiquement et utilement la société. Un autre univers, quand le juge de paix de toute décision, c’est le cours de la bourse, la défense des brevets, la concurrence libre et non faussée.
Impréparation de classe
Il ne s’agit donc pas d’une impréparation au sens temporel du terme, mais d’une impréparation de classe face au virus. Les airs martiaux de nos bourgeoisies ne peuvent masquer cette réalité. Absence de masques, les stocks stratégiques ont été abandonnés en 2013 pour économiser 50 millions d’euros, absence de tests et de matériel de protection, absence de lits d’hôpitaux, 100 000 ont été supprimés en France, absence de candidats vaccins contre les coronavirus. Comme les candidats vaccins contre Ebola, ils avaient été oubliés dès la fin de l’épidémie : beaucoup d’investissements pour une rentabilité hypothétique. Le fond de leur horizon, c’est cela : la volonté de faire travailler les salariéEs des secteurs non indispensables, pour protéger les profits, mais de ne pas protéger la santé des salariéEs indispensables !
Aujourd’hui la stratégie, c’est d’étaler le pic pandémique pour permettre aux cas les plus graves d’être accueillis dans les lits de réanimation. C’est évidemment, à court terme, un élément indispensable, central avec la distanciation sociale. Mais pour que cela soit socialement acceptable, il faut qu’elle s’accompagne d’un transfert massif de richesse vers celles et ceux qui supportent la crise, et d’une d’égalité des droits… À l’opposé des tentations de coup d’État sanitaire qui risquent d’être l’horizon de toutes les bourgeoises. Et cela à mesure que le confinement deviendra de plus en plus insupportable, et répété avec de nouvelles poussées épidémiques, et que les classes dominantes seront massivement discréditées pour leur impréparation. Sans parler des tentations chauvines sur les virus étrangers et les travailleurEs détachés !
Une réorganisation de la société est nécessaire
Mais la stratégie face au Covid-19 ne peut reposer uniquement sur l’étalement du pic épidémique pour éviter la saturation des hôpitaux. Si l’on attend que 60-80 % de la population mondiale fabrique des anticorps en rencontrant le virus pour que l’épidémie s’arrête, les morts se compteront en dizaines de millions selon les meilleurs spécialistes des pandémies. Ne nous faisons pas d’illusion, la Chine et l’Asie ont passé la première vague épidémique. Mais la grippe de 1918 nous apprend qu’il y a souvent une deuxième vague, plus mortelle encore.
Atteindre un tel taux d’immunité se construit soit par le contact avec le virus, soit par un vaccin. En attendant, nos anticorps sociaux, droit de retrait, masques, tests, arrêt des productions inutiles, priorité à la santé, réquisition et réorganisation de la société autour des besoins de santé et de solidarité, sont nos seules armes. Quant au médicament miracle, il n’existe pas. Le professeur Raoult a bien raison d’exiger de tester au plus vite pour mieux isoler les malades et porteurs sains. Mais malheureusement son traitement n’est pas miraculeux. Selon la revue indépendante Prescrire, parmi les 26 patients qui ont reçu l’hydroxychloroquine + azithromycine, trois ont été transférés en réanimation, et un patient est mort. On vous parle du pire… pour mieux l’éviter. Aujourd’hui nos luttes sont les seuls anticorps sociaux dont nous disposons.
Frank Cantaloup
• Créé le Mercredi 25 mars 2020, mise à jour Lundi 30 mars 2020, 13:10 :
https://npa2009.org/actualite/sante/face-lepidemie-nos-anticorps-sociaux-sont-aujourdhui-nos-seules-armes