Pendant des années, le mouvement syndical hongkongais a été dominé par les partisans du régime de Pékin qui soutiennent activement le gouvernement.
Mais les manifestations ont préparé le terrain pour que les salarié.es de dizaines de secteurs s’organisent, certains pour la première fois.
Michael Ngan Mo-chau
En 2012, Michael Ngan Mo-chau était un leader étudiant à l’Université chinoise de Hong Kong (CUHK) lorsqu’il avait co-rédigé une brochure destinée aux étudiant.es de première année, les encourageant à participer pleinement aux activités concernant la gouvernance scolaire et les mouvements sociaux. Il leur expliquait qu’il n’était pas bon pour eux/elles de rester les bras croisés pendant que d’autres agissaient.
« Vos jours passés à l’université vont façonner votre pensée et déterminer votre avenir », avait écrit Michael Ngan, alors étudiant en dernière année de gouvernance et administration publique. « Alors, profitez précieusement de votre temps ici pour continuez à réfléchir sur vous-même. »
Pendant ses études universitaires, Michael Ngan avait aidé à organiser un boycott des cours pour exiger l’abandon d’un programme scolaire sur l’ensemble de Hong Kong visant à développer « le patriotisme ». Ses collègues de l’époque et ses enseignant.es n’ont donc pas été vraiment surpris.es lorsque, en juillet 2019, le fonctionnaire de 29 ans a lancé le premier rassemblement des employé.es de l’Etat concernant la crise du projet de loi d’extradition, au risque de s’attirer les foudres de son employeur.
Fonctionnaire du ministère du travail, Michael Ngan avait disparu de la scène du militantisme social après l’obtention de son diplôme, et était le seul dirigeant d’un syndicat étudiant de sa promotion à avoir rejoint la Fonction publique.
Il espérait que l’organisation d’un rassemblement offrirait aux 180 000 fonctionnaires une plate-forme leur permettant d’exprimer ouvertement leurs points de vue, après que beaucoup l’aient fait en ligne de manière anonyme.
Des centaines d’agents administratifs, de cadres et de juristes travaillant pour l’Etat avaient signé des pétitions et des lettres ouvertes exhortant le gouvernement à répondre aux revendications des manifestant.es. Ils avaient dissimulé leur identité en montrant des photographies de leurs cartes professionnelles, où étaient cachés leur visage et leur nom. Certain.es étaient allé.es plus loin en participant à des manifestations, y compris en première ligne.
Le rassemblement organisé le 2 août, a attiré environ 40 000 personnes, dont des milliers de Hongkongais.es ordinaires. Il s’est déroulé en dépit du fait que le Secrétaire général du gouvernement, Matthew Cheung Kin-chung, ait publiquement conseillé aux fonctionnaires quelques heures avant le début de cet évènement de ne pas « faire de choses contraires aux vues du gouvernement ».
Michael Ngan Mo-chau s’est adressé à la foule ce jour-là, en disant « Il n’est pas facile pour des fonctionnaires, qui font partie de l’establishment, de se mobiliser. Ils peuvent me retirer mon identité de fonctionnaire, mais pas celle de Hongkongais. Notre avenir personnel peut être sacrifié, mais pas celui des Hongkongais.es ».
Cette exceptionnelle mobilisation des fonctionnaires a profondément embarrassé le gouvernement en difficulté de Carrie Lam Cheng Yuet-ngor.
Le Directeur de la Fonction publique, Joshua Law Chi-kong, a déclaré dans un mémo interne que les fonctionnaires devaient rester politiquement neutres et éviter de donner l’impression que la Fonction publique s’opposait au gouvernement.
Les porte-parole de Pékin basés à Hong Kong, Wen Wei Po et Ta Kung Pao, ont publié des dizaines d’articles critiquant Michael Ngan Mo-chau, le qualifiant de traître.
Rien de tout cela n’a empêché celui-ci de co-fonder le « Syndicat des nouveaux fonctionnaires », en novembre 2019, ou de se consacrer à la promotion des intérêts des fonctionnaires ainsi qu’à la défense de leur droit à exprimer librement leurs opinions. Ce syndicat fait partie des dizaines de nouveaux syndicats créés dans le sillage des mobilisations de 2019. Pour commencer l’année 2020, ce syndicat a accusé la police de restreindre les droits des Hongkongais.es en mettant brusquement fin à la manifestation du jour de l’an.
La réaction du pouvoir de Hong Kong
Le gouvernement a mis en garde le syndicat contre la violation des directives sur l’impartialité exigée des fonctionnaires de Hong Kong. « Le gouvernement appelle tous les fonctionnaires à rester uni.es en ces temps difficiles et à continuer à soutenir le travail du gouvernement pour éradiquer la violence en tant que priorité absolue », a-t-il déclaré. En février 2020, le syndicat comptait 3 000 membres.
L’ancien Secrétaire de la Fonction publique, Joseph Wong Wing-ping, qui avait participé à la rédaction du Code de la Fonction publique, a déclaré que la Chef.fe de l’Exécutif Carrie Lam, aurait dû ressentir la gravité de la crise lorsque celles et ceux qui travaillaient sous ses ordres ont commencé à prendre la parole en juillet 2019.
« Les fonctionnaires sont censé.es être le groupe le plus conservateur, enclins à soutenir le gouvernement et à aspirer à la stabilité sociale », a-t-il déclaré. « Comment ce dernier peut-il être indifférent lorsque les fonctionnaires s’expriment ? » Il a déclaré que l’émergence du nouveau syndicat n’était pas nécessairement une mauvaise chose, mais que beaucoup dépendait de la façon dont Lam choisissait de réagir : elle pouvait soit recueillir accueillir l’opinion constructive des syndicalistes, soit rejeter ceux-ci en tant que forces d’opposition.
Au 29 février 2020, 42 fonctionnaires avaient été suspendu.es pour leur implication présumée dans des « activités publiques illégales » liées aux mobilisations. En avril, Le Directeur de la Fonction publique, Joshua Law Chi-kong a été remplacé par le ministre des affaires constitutionnelles et continentales, Patrick Nip Tak-kuen, après avoir, dit-on, résisté à l’ordre de Carrie Lam d’imposer une discipline plus stricte aux fonctionnaires.
Quatre-vingt-onze nouveaux syndicats en 15 mois
Le Syndicat des nouveaux fonctionnaires fait partie des dizaines de syndicats qui ont vu le jour en 2019, alors que les Hongkongais.es cherchaient de nouvelles façons de faire perdurer le mouvement social après des mois de mobilisations antigouvernementales depuis le milieu de l’année.
Selon les chiffres du ministère du travail, 25 nouveaux syndicats ont été enregistrés en 2019, soit presque le double des 13 créés en 2018. À la mi-mars 2020, 66 autres ont été formés, et d’autres sont en cours de constitution. Ils représentent des salarié.es de secteurs très divers, dont l’hôtellerie, le secteur médical, l’optométrie, le secteur dentaire, la construction et les technologies de l’information, ainsi que des barmans et des esthéticiennes. Certains ciblaient des salarié.es qui n’étaient auparavant organisé.es par aucune structure enregistrée.
La prolifération de nouvelles organisations syndicales a tourné une page du mouvement ouvrier de Hong Kong.
La tradition syndicale hongkongaise
Pendant longtemps, les syndicats des secteurs à dominante ouvrière ont été dominés par l’influente confédération syndicale HKFTU. Cette organisation, liée au régime de Pékin, est constituée de 253 syndicats et compte plus de 420 000 membres.
Elle est presque trois fois plus grande que son adversaire, HKCTU, qui compte 93 syndicats affiliés et 145 000 membres.
Le syndicat enseignant Hong Kong Professional Teachers’ Union (PTU, affilié à HKCTU), a été fondé en 1973 par l’icône pro-démocratie Szeto Wah, aujourd’hui décédé.
C’est le plus grand syndicat implanté dans un seul secteur, avec plus de 100 000 membres.
Alex Tsui du nouveau syndicat des employé.es d’hôtel
« Nous voulons introduire une nouvelle culture syndicale qui ne se limite pas à la défense ses droits des salarié.es, mais qui consolide également l’expression de notre secteur professionnel dans la résistance aux autorités », a déclaré Alex Tsui, 24 ans, président du tout nouveau syndicat des employé.es d’hôtel (Hong Kong Hotel Employees Union).
Chef cuisinier dans un restaurant ayant deux étoiles Michelin, il a cofondé le syndicat en novembre 2019 avec des dizaines d’autres personnes qu’il avait rencontrées via la chaîne de messagerie cryptée Telegram. Il a déclaré que des affrontements avec la police étaient parfois nécessaires, mais qu’il fallait rassembler les Hongkongais.es pour une bataille dans la durée visant à forcer le gouvernement à répondre à leurs revendications.
Chris Chan King-chi, sociologue à l’Université chinoise de Hong Kong (CUHK)
Spécialisé dans le syndicalisme, et lui-même ancien organisateur syndical, Chris Chan explique que les syndicats de Hong Kong ont été historiquement créés à la suite de conflits du travail et qu’ils avaient tendance à être principalement composés d’ouvrier.es.
Il souligné que la nouvelle vague de syndicalisation avait poussé même des salarié.es du secteur financier et de celui des technologies de l’information à se syndiquer. Il a ajoute que dans le passé, les conflits du travail nécessitaient l’intervention d’éléments extérieurs à l’entreprise concernée, comme par exemple la centrale syndicale HKCTU. Ces luttes étaient animées par des organisateurs/trices.e syndicaux rémunéré.es.
« Maintenant, des novices de différents secteurs se sont porté.es volontaires pour faire le travail eux/elles-mêmes, au lieu de s’en remettre à des organisateurs/trices salarié.es. C’est ce qui avait manqué à Hong Kong par le passé », a-t-il déclaré.
Carol Ng Man-yee, présidente de la Confédération HKCTU
D’après Carol Ng, les Hongkongais.es avaient habituellement des réserves envers les syndicats, et étaient réticent.es à s’opposer à leurs employeurs. Mais les manifestations de 2019 ont changé cela.
« Si nous voulons organiser une véritable grève générale, nous devons former des syndicats dans différents secteurs », a déclaré Carol Ng, qui avait donné des conseils aux nouveaux syndicalistes.
De plus, ayant vu un nombre croissant de manifestant.es de première ligne arrêté.es, les gens ont commencé à sentir que les grèves étaient un moyen de faire avancer le mouvement, a-t-elle ajouté.
La pandémie a déclenché un changement de plan
Le principal objectif des nouveaux syndicalistes était peut-être d’unifier les forces pro-démocratie dans leurs secteurs respectifs et de préparer une grève puissante. Mais 2020 a fait surgir un ennemi inattendu : la crise du coronavirus qui a touché les travailleurs/euses dans l’ensemble de l’économie.
Dans la santé publique
En première ligne de cette nouvelle bataille se trouvaient les travailleur/euses de la santé, qui s’inquiétaient de la proximité de Hong Kong avec la Chine continentale, où la pandémie était censée avoir son origine.
En février 2020, Hong Kong a connu la plus grande grève du secteur de la santé de son histoire, organisée par le syndicat de la santé publique HAEA créé seulement en décembre 2019. Les dirigeant.es de HAEA avaient été au premier plan des manifestations de l’été. Dans le cadre de cette grève, 9 000 membres du personnel hospitalier ont cessé le travail pendant cinq jours après le refus du gouvernement de fermer complètement la frontière de Hong Kong avec le continent.
L’effectif du nouveau syndicat a grimpé en flèche. En seulement deux mois, son nombre de membres est passé à plus de 18 000 - soit 22,5 % des 80 000 employé.es de l’autorité hospitalière, qui gère tous les hôpitaux et cliniques publics et qui est le deuxième employeur de Hong Kong après l’Etat.
L’autorité hospitalière s’en est prise violemment à la grève, affirmant qu’elle avait gravement perturbé les services des urgences et des victimes d’accidents, et mis les patient.es en grand danger.
A mi-parcours de la grève, Ian Cheung Tsz-fung, un de ses responsables, a déclaré que 3 100 infirmières et 300 médecins étaient absent.es de leur poste de travail. Il a ajouté qu’étaient touchés des services comme l’unité de soins néonataux intensifs, les salles d’opération, les services de cancérologie, d’obstétrique et de gynécologie. Il n’y avait pas eu de bavures jusque-là, mais il a ajouté : « Si cela continue, je n’ose pas garantir que rien ne va mal tourner ». Certain.es travailleurs/euses sont revenu.es avant la fin de la grève pour aider à s’occuper des nourrissons.
La cheffe de l’Exécutif Carrie Lam, qui a refusé de rencontrer les responsables du syndicat, a déclaré que l’action « extrême » du personnel en grève ne forcerait pas la main du gouvernement. En plein milieu de la grève, elle a cependant annoncé la fermeture de postes frontières supplémentaires, mais n’a pas répondu à la revendication de fermeture de toute la frontière. La crainte existait que des représailles aient lieu contre celles et ceux ayant fait grève.
Deux organisations du secteur médical - Hong Kong Public Doctors’ Association et Frontline Doctors’ Union - ont soutenu le nouveau syndicat. Elles ont exhorté l’autorité hospitalière à respecter le droit de grève des salarié.es, même si leurs propres membres ne se sont pas joint.es à l’action.« Si un collègue est traité de manière déraisonnable, nous répondrons de manière unitaire et lui apporterons notre soutien, à commencer sur le plan juridique », ont-elles annoncé dans une déclaration.
Dans l’hôtellerie et la restauration
La pandémie s’est traduite pour le chef cuisinier Alex Tsui par une charge de travail de plus en plus importante car le secteur hôtelier a été durement touché, avec des salarié.es licencié.es ou contraint.es à prendre des congés sans solde. Le syndicat a exigé une réaction plus vigoureuse de la part des patrons du secteur hôtelier, notamment le contrôle obligatoire de la température des client.es, le refus d’accueillir celles et ceux ayant de la fièvre, la fourniture d’équipements de protection suffisants au personnel et une mise en congé rémunéré d’isolement de 14 jours pour les employé.es ayant été en contact avec des personnes infectées.
Le nombre de membres du syndicat est passé de 130 en décembre à environ 500 en mars, mais ce chiffre ne représente qu’une petite fraction des 40 000 personnes de ce secteur. « La plupart adoptent une attitude attentiste », a déclaré Alex Tsui. « Ils/elles ne veulent pas s’exprimer publiquement contre leurs employeurs/euses, de peur de mettre leur avenir en danger ».
Lorsqu’un hôtel a brusquement licencié 200 personnes, aucun des 20 salarié.es qu’il a contactés n’a voulu se manifester pour agir contre ce qu’il considère comme une mise à la porte injuste. « Il va falloir beaucoup de temps pour les éduquer sur les raisons pour lesquelles nous devrions nous syndiquer », a-t-il déclaré.
Dans la Fonction publique
Le dirigeant syndical de la fonction publique Michael Ngan Mo-chau a également faire face à la pandémie de Covid-19. En février 2020, son syndicat a organisé un rassemblement pour critiquer la gestion de l’épidémie par le gouvernement, l’accusant de répartir inéquitablement les équipements de protection entre les différents ministères.
Michael Ngan, a balayé les craintes de représailles possibles, en déclarant « Le gouvernement a averti à plusieurs reprises que les fonctionnaires doivent rester politiquement neutres et ne pas avoir d’opinions divergentes, mais les fonctionnaires doivent également se battre pour obtenir le soutien des citoyen.nes et faire part de leurs opinions à la cheffe chef de l’Exécutif ».
Le secteur du tourisme
Les différents événements ont laissé le militant Johnson Yeung Ching-yin optimiste quant au fait que les nouveaux syndicats permettraient aux Hongkongais.es pro-démocratie et prendre leur sort en main. Prenant le secteur du tourisme comme exemple, il a déclaré : « Il n’y avait auparavant qu’une seule voix, et elle était pro-Chine, réclamant toujours des liens plus étroits avec le continent. Aujourd’hui, ces nouveaux syndicats peuvent offrir une voix très différente ».
L’avis du sociologue Chris Chan
Le sociologue Chris Chan s’est montré plus circonspect. Il considère comme une évolution positive pour le mouvement syndical que les nouveaux syndicats se concentrent sur les questions concernant le lieu de travail, et ne poursuivent pas uniquement un agenda politique.
Chris Chan a prévenu les nouveaux dirigeants syndicaux que beaucoup de patience leur serait nécessaire pour réussir, et que des années pouvaient s’écouler avant que leur travail porte ses fruits.
La pérennité de leurs organisations sera également un défi, surtout s’il n’y a pas d’enjeux immédiats dans un secteur particulier. « Je ne suis pas trop optimiste », a-t-il déclaré. « Tout le monde n’a pas une telle patience, surtout lorsque les gens dans la rue protestent et veulent des résultats immédiats ».