Le président philippin Rodrigo Duterte est prêt, à tout moment, à signer la loi antiterroriste, a indiqué son porte-parole le 16 juin, explique le quotidien philippin The Philippines Daily Inquirer.
Ce texte controversé – voulu par le président lui-même selon The Nikkei Asian Review –, et adopté par les deux chambres du Congrès philippin le 9 juin, vise à “durcir […] la loi sur la sécurité humaine” de 2007, précise The Philippines Daily Inquirer. Un durcissement présenté par le gouvernement comme “indispensable”, afin d’éviter “de nouvelles attaques terroristes et d’assurer que les groupes extrémistes n’utilisent pas la crise du Covid-19”.
Des guérillas anciennes et radicalisées
The Nikkei Asian Review rappelle que l’archipel connaît les plus longues insurrections communiste et islamiste du monde, “toutes deux ravageant l’île méridionale de Mindanao depuis les années 1960”.
“Avec le temps, certains groupes rebelles se sont radicalisés, ayant recours à des actes terroristes. Le siège, durant des mois, de la ville de Marawi par des combattants alliés de l’État islamique en 2017 a rappelé de manière brutale l’ampleur des défis en matière de contre-terrorisme.”
D’ailleurs, Rodrigo Duterte est le premier président philippin originaire de Mindanao, l’île ravagée par les conflits, note le magazine.
Une définition très large du terrorisme
Malgré ce contexte, poursuit The Nikkei Asian Review, les opposants au texte ne sont pas convaincus, inquiets de la définition très large du terrorisme. Elle inclut en effet, précise le journal, “les tentatives de créer une atmosphère propice à la diffusion de la peur” ou “l’intimidation”.
Ainsi, cette loi pourrait être instrumentalisée contre des opposants ou ceux qui critiquent le gouvernement, estime The Nikkei Asian Review, puisqu’elle prévoit que “l’exercice de certains droits civils et politiques ‘pourrait être considéré comme des actes de terrorisme’ dans la mesure où ils entraînent des risques sérieux pour la sécurité de tous”.
L’ombre du régime Marcos
Au vu de cette définition “large et vague du terrorisme”, une organisation d’avocats a dénoncé une législation, explique le magazine, “permettant au gouvernement de décider quels sont les ‘actes légitimes de contestation’”.
Le site internet philippin Rappler publie un éditorial dans lequel l’écrivain et commentateur Vergel O. Santos estime qu’une telle législation antiterroriste “ravive le profond traumatisme national” lié aux quatorze années de loi martiale sous le régime de Ferdinand Marcos (1972-1986). Période marquée par des arrestations et des détentions arbitraires, la torture et le meurtre des opposants.
“Aujourd’hui, tout cela risque de réapparaître, et la loi antiterrorisme en constitue le présage.”
Toute nouvelle loi sécuritaire puise nécessairement dans la malveillance d’un régime qui ne sait pas se satisfaire des textes en vigueur, note Vergel O. Santos dans Rappler. Cela ne peut, à ses yeux, qu’avoir des conséquences désastreuses. “Malveillant est sans doute le mot le plus juste pour qualifier le régime de Rodrigo Duterte. Il l’est en pensées, en mots et en actes”, insiste Rappler.
La brutalité de Duterte
“Duterte idolâtre Marcos et Hitler et s’est aligné avec Xi Jinping, l’incarnation vivante, en Chine, de ces hommes (lui-même est en train de mettre le couteau sous la gorge des habitants de Hong Kong avec un texte similaire)”, écrit Rappler.
“Les mots “tuer” ou “loi martiale” sont des exhortations qui, à peine sorties de la bouche [du président Duterte], prennent corps. Des dizaines de milliers de personnes ont été tuées dans sa guerre contre la drogue…”
L’éditorialiste cite également les poursuites en justice contre d’autres voix critiques et la suspension de l’autorisation d’émettre de la chaîne de télévision ABS-CBN, la plus ancienne et la plus écoutée.
The Nikkei Asian Review met pour sa part en doute l’efficacité des garde-fous prévus dans le texte, étant donné les nombreux abus, les violations des droits de l’homme et les meurtres commis au nom de la lutte contre la drogue, sans qu’aucune des personnes impliquées soit tenue pour responsable. “Cette culture d’impunité très ancrée va au-delà de la présidence de Duterte et on peut s’interroger sur la robustesse des garde-fous institutionnels”, précise le magazine.
Un texte pour terroriser les opposants
Pour Rappler, “ce régime est trop arbitraire pour pouvoir lui faire confiance”. Il suffit, indique l’éditorialiste, de voir comment il a déployé les militaires et la police dans la rue de manière disproportionnée au nom de la lutte contre la propagation du Covid-19.
“En fait, ce texte est une mauvaise plaisanterie, et nous sommes les dindons de la farce, nous, les non-terroristes, car il constitue, de fait, un acte de terrorisme, sous forme officielle et légale.”
Pour The Nikkei Asian Review, la solution à la violence ou au terrorisme n’est pas l’usage de plus de force mais “des réformes sociales et économiques à même de saper les causes de la rébellion et de la radicalisation dans les régions les plus pauvres du pays”.
Le dernier espoir de la société civile, ajoute le magazine, réside dans la Cour suprême, à même de garantir la démocratie sans la sacrifier sur l’autel de la sécurité.
Courrier International
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