Vous vous souvenez de l’apocalypse qui était annoncée en Afrique si le Covid-19 s’y propageait ? Moi, oui. Beaucoup s’inquiétaient des répercussions de la pandémie dans les pays où la population est pauvre, où l’économie informelle est prépondérante mais difficile à réglementer et où les établissements de soins sont bien moins nombreux qu’au Royaume-Uni ou en Italie.
La crise liée au coronavirus a été marquée par des erreurs stratégiques et de jugement, ainsi que par des décès – autant de tragédies. Et personne ne sait quelle sera l’évolution de la pandémie : l’Afrique, comme le reste du monde, n’est pas encore tirée d’affaire. Mais parallèlement, de nombreux pays africains, ayant conscience que les dépistages et les hospitalisations à grande échelle n’étaient pas envisageables, ont dû se montrer plus créatifs.
45 morts au Sénégal, 39 000 au Royaume-Uni
Prenons en exemple les deux États africains où j’ai vécu, le Sénégal et le Ghana. Le Sénégal travaille sur un test dont le prix est évalué à 1 dollar par patient et qui doit, en moins de dix minutes, détecter si la personne est contaminée par le coronavirus ou l’a été grâce à un prélèvement salivaire. Difficile de définir précisément l’écart de prix avec les tests réalisés au Royaume-Uni, mais ces derniers reposent souvent sur la réaction en chaîne par polymérase (PCR) pour détecter le virus et coûtent des centaines de dollars. Et je peux témoigner qu’une brochure glissée sous ma porte à Londres vendait un kit de dépistage à domicile pour 250 livres [280 euros].
Le Sénégal est en bonne position, car la planification de sa lutte contre le Covid-19 a commencé dès janvier, quand la première alerte internationale a été lancée. Le gouvernement a fermé les frontières et lancé un programme ambitieux de suivi des contacts. Par ailleurs, il est courant que plusieurs familles vivent sous le même toit, c’est pourquoi un lit a été mis à disposition de chaque personne souffrant du Covid-19 dans un hôpital ou un dispensaire.
Par conséquent, il n’y a eu que 45 morts dans ce pays de 16 millions d’habitants [au 3 juin]. Chacun des décès a fait l’objet d’une communication individuelle de la part du gouvernement, qui a exprimé ses condoléances à la famille. Cette démarche personnalisée peut être mise en œuvre quand les chiffres restent dans cet ordre de grandeur. À chacune de ces étapes, le Royaume-Uni a fait le contraire du Sénégal et le pays est aujourd’hui confronté à un bilan humain supérieur à 39 000 morts.
Remèdes traditionnels et créativité
Au Ghana, qui compte 30 millions d’habitants, le bilan est comparable à celui du Sénégal, en partie grâce à un vaste réseau de recherche des contacts, qui s’appuie sur un grand nombre de soignants locaux et de bénévoles, ainsi que sur d’autres méthodes créatives telles que le “dépistage sur mélange d’échantillons”, qui procède au test de plusieurs prélèvements sanguins en même temps, pour ensuite faire des tests individuels uniquement si un résultat positif émerge à la première étape. Les avantages de cette méthode sont en train d’être examinés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Sur l’ensemble du continent africain, l’accès difficile à des produits pharmaceutiques onéreux, sans parler d’une méfiance justifiée et ancrée de longue date, a poussé à chercher des solutions parmi les remèdes traditionnels à base de plantes. L’une d’elles, Artemisia annua ou armoise annuelle, a notamment attiré l’attention après que le président malgache, Andry Rajoelina, a affirmé qu’elle permettait de “guérir” le Covid-19..
Cette déclaration ressemble peut-être à des propos de Donald Trump, et l’OMS a averti que des essais cliniques supplémentaires étaient nécessaires avant de pouvoir certifier la plante comme traitement de la maladie. Mais j’ai contacté un centre de recherche réputé en Allemagne, le Max Planck Institute of Colloids and Interfaces, où se déroulent actuellement des essais cliniques sur une autre variété de la plante, qui pousse dans le Kentucky, aux États-Unis.
Cette espèce plus efficace, cultivée à cette fin, est testée sur des cellules pour déterminer dans quelle mesure elle permet de lutter contre les infections dues aux coronavirus. Selon le directeur de l’institut, Peter Seeberger, les résultats sont pour l’instant “très intéressants”. Des essais cliniques chez l’humain vous sûrement être organisés par la suite.
Plus de vingt pays africains ont déjà commandé la plante vantée par le président malgache, un témoignage de confiance à son égard. Andry Rajoelina se présente souvent aux réunions et lors de ses apparitions télévisées avec une bouteille contenant une décoction à base d’Artemisia annua, pour ainsi promouvoir ses bienfaits.
Attitudes eurocentrées
Selon lui, si nous n’en avons pas connaissance, c’est en raison de la condescendance que suscitent les innovations africaines.
‘Si un pays européen avait découvert ce remède, est-ce qu’il y aurait autant de doutes ? Je ne pense pas’, a fait remarquer le président malgache sur France 24.
Il reviendra aux scientifiques de prouver l’efficacité de ce “remède” (l’Académie nationale de médecine à Madagascar fait partie des organismes qui appellent à des recherches complémentaires sur l’innocuité et l’efficacité du traitement).
Quant aux attitudes eurocentrées, il n’a pas tort. Le continent africain peut se targuer depuis longtemps d’innover avec talent pour résoudre divers problèmes : en témoignent les paiements sur mobile et la “fintech”, qui ont fait de l’Afrique l’une des régions du monde les plus calées sur le numérique.
Ce n’est pas un secret que la condescendance à l’égard de l’Asie de l’Est a laissé les pays européens se faire prendre de court face à la propagation du Covid-19. Aujourd’hui, un état d’esprit comparable porte à croire que nous ne sommes pas prêts à écouter les enseignements de l’Afrique sur la lutte contre la maladie.
Afua Hirsch
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