Alors que la mainmise du gouvernement chinois se resserre, les manifestant.es débattent de comment et pourquoi poursuivre combat, ou de la possibilité même de résister.
– Des manifestant.es ont supprimé leurs comptes dans les médias sociaux, de peur que leurs messages ne soient utilisés contre eux/elles en vertu des nouvelles lois chinoises sur la sécurité nationale.
– Des jeunes parents ont fait des recherches sur Internet pour trouver des informations sur l’émigration.
- Des militant.es ont planifié des rassemblements, mais les ont annulés à la dernière minute en raison de blocages policiers impénétrables.
Les mobilisations de Hong Kong - qui l’année dernière ont intimidé le gouvernement local et humilié les autorités de Pékin qui le dirigent - est en crise. Les tactiques qui avaient parfois poussé les autorités à battre en retraite sont soudainement devenues inadéquates face à une police agressive, à la peur du coronavirus, ainsi qu’à un Parti communiste chinois qui a perdu patience.
De nombreux/euses manifestants ont le sentiment d’avoir épuisé toutes les options possibles.
« C’est le début de la fin », a déclaré Michael Mo, organisateur de manifestations et élu local. Le projet du gouvernement chinois d’imposer à Hong Kong des lois sur la sécurité qui pourraient restreindre les libertés civiles a laissé le mouvement d’opposition indépendant et décentralisé à la recherche non seulement d’une nouvelle façon d’agir, mais aussi d’une nouvelle vision.
Sa campagne en faveur de la démocratie a toujours été un coup de poker, visant un gouvernement local dont les dirigeants ne sont responsables que devant Pékin.
Mais l’intervention directe de la Chine a rendu les défis encore plus explicites, obligeant à une réflexion plus fondamentale sur la manière de riposter, l’objectif à atteindre et la question de savoir si cela vaut la peine d’essayer.
Ce qui complique encore plus le raisonnement des personnes mobilisées (un amalgame d’étudiant.es, d’enseignant.es, de responsables politiques et de simples militant.es) est qu’ils/elles se retrouvent au centre d’un affrontement entre la Chine et les États-Unis.
Le leader chinois, Xi Jinping, considère la poussée sécuritaire comme nécessaire à la protection de la souveraineté du pays, tandis que le président Trump l’a présentée comme une atteinte aux libertés civiles, en décidant, le vendredi 29, de supprimer certaines des mesures préférentielles accordées à Hong Kong par les États-Unis.
Certain.es manifestant.es affirment qu’ils/elles continueront à manifester, même si cela peut sembler inutile, alors que d’autres, qui avaient lancé des cocktails Molotov, disent qu’ils/elles préfèrent maintenant les boycotts ou les grèves.
Certain.es veulent préserver l’autonomie relative de Hong Kong par rapport à la Chine, tandis que d’autres se sont joints à l’appel autrefois tabou en faveur d’une indépendance totale.
Beaucoup se raccrochent à l’espoir que les États-Unis exerceront une pression sur la Chine, mais d’autres craignent de devenir des pions dans leur rivalité.
Ce qui unit le plus beaucoup manifestant.es, c’est la lassitude et la peur. Leur revendication de suffrage universel (qui permettrait l’élection directe du/de la chef.fe de l’Exécutif de Hong Kong et de tous les député.es), ainsi qu’une police ayant des comptes à rendre, restent sans réponse, malgré des mois de manifestations.
Maintenant que Pékin a intensifié son offensive, de nombreux/euses manifestant.es se rendent compte qu’ils/elles ne pourront peut-être pas faire de même.
« Nous avons essayé presque toutes les idées que nous avions en tête l’année dernière », a déclaré le syndicaliste Alex Tang, 32 ans. « Nous trouverons peut-être quelque chose de mieux plus tard. Mais en ce moment, les gens se sentent tout simplement fatigués. »
Les meurtrissures du mouvement ont été les plus évidentes, là où celui-ci avait principalement sa force, c’est-à-dire dans les rues. Les manifestations contre la loi de sécurité nationale ont attiré des milliers de personnes la semaine dernière, démontrant que les mois d’immobilisme résultant de la pandémie n’avaient pas atténué leur colère.
Mais le taux de participation a été bien inférieur aux centaines de milliers - et parfois plus d’un million - de personnes qui ont participé à certaines des manifestations de l’année dernière.
Beaucoup de manifestant.es ont été intimidé.es par les réactions de plus en plus énergiques de la police.
L’année dernière, les manifestant.es pacifiques avaient bénéficié d’une grande tolérance, et lorsque des affrontements ont éclaté, ils ont fait rage pendant des heures. Les manifestant.es ont lancé des briques et des cocktails Molotov, et les policiers ont riposté avec des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc.
Maintenant, des essaims de policiers anti-émeutes, sous le commandement d’un nouveau chef de la police nommé par Pékin, dispersent même les manifestant.es pacifiques avec des canons à eau et du gaz poivré. Et cela immédiatement.
Mercredi 27, les manifestant.es ont annulé un rassemblement devant l’Assemblée législative après que des centaines de policiers aient encerclé le complexe de manière préventive. Lorsque les manifestant.es se sont ensuite répandu.es dans les rues, la police les a arrêté.es en masse, parfois dans l’heure qui a suivi. Plus de 360 personnes ont été arrêtées mercredi 27, en plus des 180 personnes arrêtées en début de semaine.
Les organisateurs/trices ont reconnu que pour certaines personnes, le coût de manifester pourrait maintenant être jugé trop élevé. « Mon sentiment est que cela pourrait pousser des manifestant.es vraiment pacifiques, des ’hongkongais.es moyen.nes’, à rester chez eux », a déclaré M. Mo à propos des lois sécuritaires en cours d’élaboration. « Ils/elles ont peur d’être arrêté.es, harcelé.es par la police. »
A Hong Kong, les recherches sur Google concernant le mot « émigration », ont connu un pic après l’annonce de la loi sur sécurité nationale, ce qui indique que certains résident.es sont peut-être à la recherche d’une stratégie d’exil.
De nombreux/euses manifestant.es, craignant d’être arrêté.es à l’avenir, ont supprimé leur compte sur l’application Telegram, à un point tel que d’autres ont commencé à exhorter les gens à rester en ligne.
« Si vous commencez à être craintifs, vous serez perdants pour le restant de vos jours », disait un message largement diffusé. « Ce n’est que si vous faites face courageusement à tout cela que la situation changera. » Mais les alternatives aux manifestations de rue semblent de plus en plus aléatoires.
Des militant.es ont fait valoir que les syndicats et le boycott des entreprises pro-Pékin pourraient offrir de nouvelles voies de résistance. Cette approche a fonctionné en août, lorsque de nombreux contrôleurs aériens se sont portés malades, ce qui a entraîné l’annulation de plus de 200 vols.
En février, alors même que le coronavirus rendait les grands rassemblements impossibles, une grève des salarié.es des hôpitaux publics a contribué à forcer le gouvernement à fermer partiellement la frontière avec le continent chinois.
Certain.es manifestant.es craignent que les lois sécuritaires, qui auront une portée considérable, ciblent les syndicats et les associations, dont beaucoup se sont formés lors des manifestations de l’année dernière.
Le projet sécuritaire, approuvé jeudi 28 par le Parlement chinois, a un champ d’action très large : la Chine pourrait imposer des lois punissant tous les « actes et activités » considérés comme menaçant la sécurité nationale, selon les médias contrôlés par pouvoir. L’un d’entre eux, le Global Times, a suggéré que les tweets critiquant Pékin pourraient être considérés comme enfreignant les règles fixées.
Les responsables de Hong Kong et de Pékin ont rejeté les craintes d’un dépassement de certaines limites, promettant de maintenir l’autonomie relative de Hong Kong. Mais sur le continent, le parti a accusé les responsables d’églises, de syndicats et d’autres organisations de porter atteinte à la sécurité de l’État.
Le moment est, de plus, défavorable aux syndicats. La pandémie a encore plus affaibli l’économie de Hong Kong, et certain.es salarié.es hésitent à faire grève lorsque le chômage est élevé, a déclaré M.Tang, un des responsables du syndicat des salarié.es des technologies de l’information, l’une des organisations nouvellement constituées.
Cette situation pourrait changer si la récession mondiale, s’ajoutant à la répression, aggravait les profondes inégalités de revenus. Ces dernières exaspèrent de nombreux/euses jeunes manifestant.es qui estiment en conséquence avoir peu de choses à perdre.
Si un peu de temps leur est donné et que l’environnement se détériore, ils pourraient se dire : « On s’en fout. Je sortirai de toute façon dans la rue », a déclaré M. Tang.
Le signe peut-être le plus clair de la façon dont la dernière offensive de Pékin a contraint de nombreux manifestant à réévaluer leur stratégie, est que les appels à l’indépendance de Hong Kong - autrefois une idée marginale - sont devenus courants lors des récentes manifestations.
Historiquement, la plupart des partisan.nes de la démocratie avaient rejeté l’idée de l’indépendance comme n’étant pas praticable et inutilement conflictuelle.
Ils/elles soulignaient les liens culturels et économiques de Hong Kong avec la Chine, préférant mettre l’accent sur la préservation du haut degré d’autonomie de Hong Kong, consacré par la formule politique « un pays, deux systèmes », promulguée en 1997 après la rétrocession de Hong Kong à la Chine.
Mais certain.es militant.es déclarent aujourd’hui que la nouvelle offensive de Pékin prouvait que le statu quo était intenable, et que celle-ci avait ébranlé les manifestant.es qui pensaient pouvoir travailler dans le cadre du système.
« Peut-être avaient-ils/elles encore un peu d’espoir dans les prochaines élections, ou bien des attentes optimistes quant à l’avenir du mouvement », a déclaré Ventus Lau, 26 ans, un militant de premier plan qui se présente comme un des membres de l’aile « radicale » de l’opposition, dans le cadre des élections législatives prévues en septembre. L’impudence des lois sécuritaires, court-circuitant le gouvernement de Hong Kong, a été « un très bon rappel » pour ces personnes, a-t-il poursuivi.
« Nous sommes déjà confrontés ’aux heures les plus sombres’, a déclaré M. Lau. »Et nous continuerons à nous battre."
Néanmoins, l’indépendance reste un sujet très délicat et dangereux. Le pouvoir de Pékin a déclaré que les lois de sécurité nationale cibleraient la sécession. Les candidat.es à un poste électif peuvent être disqualifié.es pour soutien à l’indépendance.
Un certain nombre de manifestant.es qui ont proféré récemment des slogans pro-indépendance ont déclaré que ces derniers étaient largement symboliques. « Quand je demande l’indépendance, j’exprime simplement vouloir conserver ce que je possède déjà, comme les droits de l’Homme et la liberté d’expression », a déclaré Win Kwan, un employé de 50 ans lors de la manifestation de dimanche 24. « Nous continuons à participer aux rassemblements et aux manifestations, mais il faut bien avouer que nous n’avons rien obtenu ».
Selon eux/elles, le véritable espoir de nombreux/euses protestataires reposait sur la communauté internationale, car ils/elles ne croyaient plus que les actions propres des hongkongais.es auraient un quelconque effet sur Pékin.
En plus d’en appeler aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, d’autres manifestant.es ont fait pression sur les Nations unies et l’Union européenne pour qu’elles condamnent le parti communiste.
De nombreux/euses manifestant.es ont salué la décision prise cette semaine par les États-Unis, qui ont annoncé qu’ils ne considéraient plus Hong Kong comme un territoire significativement autonome de la Chine - une désignation qui, bien que destinée à punir la Chine continentale, mettrait également en danger la position de Hong Kong en tant que plaque tournante du commerce mondial.
Vendredi 29, M. Trump a présenté ses plans visant à révoquer le statut spécial accordé à Hong Kong par les États-Unis, ainsi qu’à sanctionner les responsables chinois.es et hongkongais.es présenté.es comme responsables de l’érosion des libertés dans la région semi-autonome.
Il est peu probable que de telles mesures puissent influencer le Parti communiste chinois. Pékin considère que de nombreux/euses militant.es de Hong Kong sont de connivence avec des forces étrangères hostiles déterminées à utiliser Hong Kong pour infiltrer le continent - une menace que les lois sur la sécurité cherchent expressément à étouffer.
Les protestataires savent qu’ils/elles sont engagé.es dans un long combat.
« Ce n’est pas parce que nous ne verrons peut-être pas les résultats de notre vivant que nous allons cesser de nous battre », a déclaré Alice Chan, une enseignante de 35 ans qui a participé à la manifestation de dimanche 24. « Tout ce que nous faisons en ce moment construit des fondations pour les générations futures ».
NB : l’expression « les heures sombres » contenue dans le titre fait référence à des propos de Churchill en juin 1940 (ESSF)