En suivant avec consternation la bronca parfois très haineuse qui a suivi la diffusion le 26 mai du documentaire du journaliste Mustapha Kessous, [Algérie, mon amour, sur France 5], j’ai compris que l’un des pires cocktails qui soit est la combinaison de l’exigence d’exhaustivité et la surréaction pavlovienne à tout ce qui se dit, se publie ou se diffuse en France à propos de l’Algérie.
Un documentaire est un point de vue. Il y a un angle. On peut aimer ou pas, mais on ne peut exiger qu’il dise tout, qu’il explique tout. Le Hirak ne peut se décrire en soixante-dix minutes, ce serait mission impossible. Et il n’y aurait rien de pire que de proposer au spectateur un exposé des motifs ou un article encyclopédique. Sur ce sujet, chaque journaliste aura son point de vue sur la question de l’angle, du traitement et du mode de narration. Et aucun choix ne sera totalement satisfaisant.
Beaucoup de gens sont contents de ce qu’ils lisent ou regardent parce qu’ils y retrouvent ce qu’ils pensent et croient. Si leur cahier des charges n’est pas respecté, c’est l’hallali. Or, ce qu’il y a d’intéressant, c’est aussi, et surtout, ce qui nous dérange, ce qui ne colle pas à notre schéma habituel de pensée et d’évaluation des situations. Ce qui bouleverse nos certitudes.
Contempteurs pudibonds
Dans le documentaire de Kessous, plusieurs personnes abordent la question de la frustration sexuelle et de ses conséquences. Cela a indisposé nombre de spectateurs. Dans un monde idéal, cela devrait pourtant permettre d’ouvrir un débat, fût-il limité aux réseaux sociaux. Mais non, les condamnations se sont multipliées, et l’on pouvait presque entendre le bruit des chaînes mentales qui entravent la liberté de pensée de ces contempteurs pudibonds.
Maintenant, il convient de poser la question essentielle : pourquoi un documentaire diffusé par une télévision française pour un public français (même si chacun sait que cela sera regardé au pays) provoque-t-il autant de passions en Algérie ? La réponse n’est pas simple. Mais il y a des pistes.
Premièrement, le narcissisme national pousse à penser que le documentaire est d’abord (et uniquement ?) destiné aux Algériens. Que c’est un message transmis par l’ancienne puissance coloniale, et que cela entre certainement dans un schéma stratégique qui n’a rien à voir avec la programmation ordinaire d’une chaîne de télévision.
Nationalisme ombrageux
Deuxièmement, comme cela vient de France, cela provoque nécessairement des réactions épidermiques. Lesquelles, hélas, mille fois hélas, sont bien moins importantes quand une télévision algérienne diffuse un “débat” où le Hirak est qualifié de complot ourdi en France (encore elle…). J’aurais ainsi aimé que naisse une bronca comparable en raison du fait que, de sa prison, Karim Tabbou [une des figures du Hirak, condamné en mars à un an de prison] n’a pas le droit d’appeler les siens. Voilà un vrai sujet d’indignation. Mais là, silence radio pour beaucoup d’“e-hirakistes” ou d’“hirak-clickistes”.
Troisièmement, il est temps de cesser de n’attendre de ce qui vient de France que des choses gentilles et positives. On a le nationalisme ombrageux, mais on est fier comme Artaban quand un compliment traverse la Méditerranée. Et si ce n’est pas le cas, c’est le drame. Un peu d’indifférence ne ferait pas de mal. Peut-être que si le Hirak l’emporte et que nos télévisions ne sont plus aux ordres, alors les polémiques algéro-algériennes prendront le pas, signalant ainsi l’avènement d’une sensibilité moindre.
Complot et hystérie
Le plus fatigant dans tout cela est cette obsession permanente du complot. Pour le régime, le Hirak est une machination de la main de l’étranger.. Pour certains de ceux qui n’ont pas apprécié le documentaire de Kessous, ce film est un complot destiné à discréditer et à abattre (excusez du peu) le Hirak.
Comment expliquer à ces gens que, non, l’Algérie n’est pas au centre du monde. Qu’il existe des centaines de millions d’êtres humains qui ont une vague d’idée de ce qui se passe chez nous (la réciproque étant vraie aussi). Bref. Un documentaire n’est qu’un documentaire. Il y en aura d’autres. Il faudra qu’il y en ait d’autres. Mais, en attendant, tant d’hystérie ne peut qu’interpeller.
Akram Belkaïd
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez chaque lundi par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais, dans la semaine écoulée.