Nous ouvrons cette troisième Corona Chronique sur deux bonnes nouvelles : il se confirme que des anticorps protecteurs apparaissent chez les personnes infectées par le SARS-Cov-2 (qui donne la maladie Covid-19), sans que l’on sache cependant combien de temps cette protection dure. La circulation du virus est aujourd’hui très faible, avec quelques territoires où elle reste plus élevée que la moyenne nationale (Mayotte et région Île-de-France, dont l’Oise).
La première vague de l’épidémie a été endiguée (avec le confinement national comme mesure de dernier recours) tout en déclinant peut-être aussi suivant une courbe épidémique assez classique. Il garde cependant un large potentiel d’expansion, une grande partie de la population n’étant pas immunisée (si immunité il y a).
La dynamique de l’épidémie Covid-19 varie suivant les pays et régions. Il paraît aléatoire de s’en remettre à la météo pour régler le problème. Le virus circule par exemple vigoureusement à Manille (Philippines) au climat nettement plus chaud et humide qu’en France.
La première vague de l’épidémie, aujourd’hui en plein déclin, va-t-elle connaître des rebonds ? Sera-t-elle suivie d’une deuxième vague dans quelques mois ? Nul ne peut le prédire avec certitude. L’avenir reste incertain. Espérons le meilleur, mais préparerons-nous au pire.
Feu vert au déconfinement
Dans un article de Caroline Coq-Chodorge longuement cité ci-dessous, qui tire notamment les leçons d’épidémies passées, le professeur Renaud Piarroux analyse l’actuel déclin français de Covid-19 . Il met cependant en garde : « Il ne faut certainement pas cesser tous nos efforts du jour au lendemain : il faut conserver une distance sociale, les gestes barrières, le port du masque. Et en parallèle du déconfinement, il faut renforcer la politique de dépistage et de traçage des cas. En mettant beaucoup de moyens dans cette détection, on économisera des moyens dans la réponse. » Donc des malades et des vies. Il plaide ainsi pour un maillage beaucoup plus serré de surveillance du virus à l’heure du déconfinement presque total de la France.
Citation : Caroline Coq-Chodorge, Renaud Piarroux, 28 mai 2020, Mediapart [1]
Les équipes de dépistage du coronavirus en Île-de-France rencontrent très peu de cas positifs. Celle d’Aubervilliers témoigne de l’efficacité des gestes barrières. Leur concepteur, le professeur Piarroux, plaide pour un maillage beaucoup plus serré de surveillance du virus à l’heure du déconfinement presque total de la France, annoncé par Édouard Philippe. (...)
Le choléra est la spécialité du professeur Piarroux. En 2010, il a mené une enquête épidémiologique en Haïti. [Il] a mis au point une approche basée sur la recherche des cas pour protéger leur entourage : « Quand on identifie un cas, ce n’est qu’un maillon de la chaîne. Il faut enquêter autour pour trouver les autres maillons. En aidant les gens à protéger leurs proches, on bloque la transmission. » Le choléra est maintenant éliminé en Haïti.
Cet hiver, Renaud Piarroux était en République démocratique du Congo, où il travaillait de la même manière sur l’épidémie de choléra qui y sévit. « Quand je rentre à Paris le 7 mars, je découvre un pays où presque personne n’a conscience de la gravité de l’épidémie en cours. Pourtant, l’éléphant était dans la pièce.(...) » Ensemble, ils sont ensuite allés voir Martin Hirsch le 13 mars pour l’alerter sur la gravité de la situation : les capacités de l’AP-HP allaient être dépassées, il fallait se réorganiser d’urgence.
Deux mois et demi et près de 30 000 morts plus tard, Renaud Piarroux ne peut que constater : « Au début, on n’a pas été bons. Face à la vague épidémique, nous n’avions pas d’outils, les tests et les masques, et pas de stratégie. La seule chose faisable était le confinement. J’ai été choqué de voir qu’à l’hôpital, des patients et même des soignants contaminés sont rentrés chez eux sans masques pour protéger leurs proches. » Alors il a travaillé sur un concept pour la phase suivante, celle de la phase descendante de l’épidémie, en s’inspirant de ses campagnes contre le choléra.
« Au début du mois d’avril, on a réfléchi à monter des équipes mobiles, comme en Haïti, pour dépister le plus grand nombre de cas. Martin Hirsch a mis tout son poids dans la bataille. » C’est le programme Covisan de dépistage et de « traçage » des cas suspects de coronavirus, par 30 à 40 équipes mobiles, selon les jours. « À partir d’un cas positif ou suspect, on se rend au domicile du patient, pour donner des masques et du gel hydroalcoolique et expliquer les gestes barrières. Et on dépiste autour de ce cas, pour trouver les autres maillons de la chaîne. Cette stratégie n’est possible que dans la descente de l’épidémie, quand les cas ne sont pas trop nombreux. »
Le gouvernement vient d’annoncer le passage de l’ensemble de la France en vert, à l’exception de Mayotte et de la région Île-de-France qui restent en orange, parce que ce sont les seules zones où le circule toujours, à très bas bruit. « Mais le taux de reproduction du virus est bas », analyse Renaud Piarroux. Il s’interroge : « Est-ce l’effet du confinement, des mesures barrières, de la distanciation sociale, de la chaleur ? » Et est-ce que le travail de dépistage qu’il a mis sur pied a eu un effet ? « Dans le XIIIe arrondissement de Paris, qui a été l’un des plus touchés, et où on est intervenus très tôt avec Covisan, l’épidémie est retombée très vite », affirme-t-il.
Il montre ses cartes de l’épidémie qu’il actualise chaque jour, à partir des tests PCR positifs réalisés dans les hôpitaux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. En un mois et demi, les voyants de l’épidémie ont pâli, ils ont même disparu dans le XIIIe arrondissement, pourpre il y a un mois et demi. (...)
Ce constat du ralentissement rapide de l’épidémie, tous les soignants le font. Ils en tirent des conclusions plus ou moins prudentes. Sur Twitter, l’urgentiste de la Pitié-Salpêtrière Yonathan Freund dénonçait ces derniers jours des mesures de confinement devenues trop drastiques.
Renaud Piarroux met en garde : « Il ne faut certainement pas cesser tous nos efforts du jour au lendemain : il faut conserver une distance sociale, les gestes barrières, le port du masque. Et en parallèle du déconfinement, il faut renforcer la politique de dépistage et de traçage des cas. En mettant beaucoup de moyens dans cette détection, on économisera des moyens dans la réponse. » Donc des malades et des vies.
Le parasitologue rappelle que ce coronavirus se répand d’abord « dans les grandes villes (...). À Paris, le confinement a permis de freiner le virus : la mortalité est de 1 pour 1000. En Lombardie, elle atteint 1,5 pour 1000. À New York, on est au-dessus de 2,5 pour 1000, ce qui est sans doute proche du comportement spontané de l’épidémie. À Paris, je ne crois pas qu’on ait atteint une immunité collective, il faut rester vigilant. »
Pour Renaud Piarroux, le système de tests et de traçage développé par l’assurance-maladie au niveau national (voir notre article ici [1]) a besoin d’être complété. Au niveau national, ce traçage est amorcé, à partir d’un test positif, par le médecin généraliste, qui commence par renseigner les cas contacts dans les familles, invités à se faire tester. Puis il est complété, via un fichier nominatif partagé, par des agents de l’assurance-maladie qui recherchent par téléphone d’éventuels cas contacts au-delà du cercle familial. L’Agence régionale de santé intervient à un deuxième niveau, dans les situations complexes : un cas positif dans une école, un foyer, une prison, une entreprise, etc.
« Le traçage des cas ne débute qu’en cas de test positif, regrette Renaud Piarroux. Avec Covisan, on trace les cas dès qu’il y a des symptômes évocateurs : la perte du goût et de l’odorat, ou des symptômes grippaux associés à des troubles digestifs. » Beaucoup de patients ont en effet de faux tests négatifs : le virus est présent, mais dans les voies aériennes basses, le test PCR réalisé dans le nez ne le détecte pas (voir notre article ici). « Même en cas de test négatif, on a pu trouver dans l’entourage des cas positifs, précise Renaud Piarroux. Et en n’incluant que les patients qui consultent un médecin, on manque toute une partie de la population qui a des difficultés d’accès aux soins, et qui vit souvent dans des quartiers très denses des grandes villes. »
Cette critique est complétée par le directeur de la santé d’Aubervilliers, le médecin généraliste Fabrice Giraux. Pour lui, le système de traçage de l’assurance-maladie est « inaccessible à une grande partie de la population. Pour réaliser un test, il faut une prescription médicale. Puis il faut remplir un formulaire sur le site du laboratoire en répondant à des questions complexes et en téléchargeant son ordonnance, son attestation de droit et de mutuelle. À Aubervilliers, on a 118 nationalités, 45 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. On a raté la première phase de l’épidémie, on est en train de rater la deuxième », met-il en garde.
L’épidémie est pourtant bien passée par cette ville de Seine-Saint-Denis, qui est le département de France où la surmortalité est la plus forte : + 118,4 % entre le 1er mars et le 10 avril, par rapport à la même période en 2019. « Avec le recul, on a réalisé qu’on a vu des cas de Covid-19 bien avant le stade 3, mais on ne pouvait pas les tester car ils ne revenaient pas de zone à risque, poursuit Fabrice Giraux. Au plus fort de l’épidémie, si les patients n’étaient pas très malades, on les renvoyait se confiner, sans masques, dans des appartements surpeuplés. »
Depuis le 26 avril, la ville d’Aubervilliers héberge l’une des équipes mobiles de dépistage de Covisan. « Et cela a changé beaucoup de choses, se félicite Fabrice Giraux. Désormais on donne les outils de prévention aux patients, qu’ils aient un test positif ou non. Et s’ils présentent les signes cliniques d’un Covid-19, même en cas de test négatif, on leur propose une visite à domicile, pour expliquer les gestes barrières, et pour tester les cas contacts. Et lorsque les malades ne peuvent pas se confiner – parce l’appartement est trop petit ou parce qu’ils vivent dans un foyer collectif ou qu’ils partagent une chambre à plusieurs –, on leur propose un hébergement en hôtel ou dans un hébergement social. La plupart acceptent, cela leur fait beaucoup de bien de pouvoir se reposer pendant leur convalescence. C’est un dispositif bienveillant, il n’y a aucune contrainte, aucune obligation. Avant de réaliser un test, on demande le consentement du patient, car si son test est positif, son identité et le résultat de son test seront transmis à l’assurance-maladie. »
Comme dans le reste de l’Île-de-France, le nombre de tests positifs est très faible : seulement 9 sur 152 tests réalisés, dans une ville de 83 000 habitants.
Dans cette équipe mobile travaillent une infirmière et une coordonnatrice venue de l’hôpital Avicenne de Bobigny, la directrice de la petite enfance de la ville d’Aubervilliers, qui coordonne l’équipe, deux étudiantes en médecine bénévole, un logisticien et une assistante sociale de la ville. Cette dernière, Isabelle Verbruggen, était volontaire pour participer à l’expérimentation : « Je connais bien ma ville, j’ai voulu apporter ma connaissance des acteurs sociaux de la ville. J’interviens lorsqu’il y a des problèmes d’accès aux droits. » Elle raconte avoir eu « la peur au ventre les premiers jours. Maintenant, je travaille les yeux fermés, sans crainte. J’ai pleinement confiance dans nos gestes barrières. Sinon, on n’avance plus, on ne fait plus rien ! »
Elle porte un simple masque chirurgical, respecte les distances, se lave régulièrement les mains, désinfecte régulièrement autour d’elle. Seuls les professionnels de santé qui sont au contact rapproché avec les patients portent la tenue intégrale : une combinaison protégeant de la tête au pied, un masque FFP2, des lunettes.
Toute l’équipe travaille à dédramatiser le virus. « Quand un patient apprend qu’il est positif, il est paniqué. On explique que cette maladie est sans gravité dans 80 % des cas, et qu’il est possible de protéger ses proches avec les gestes barrières. Ils repartent soulagés », assure Isabelle Verbruggen. Sabrina Martel, la coordonnatrice de Covisan à Aubervilliers, par ailleurs directrice de la petite enfance de la ville, abonde : « Il y a une culture orale à Aubervilliers, les informations se transmettent beaucoup de bouche à oreille. On est là pour informer, et on peut rassurer : le virus circule doucement et on peut s’en protéger. On a rouvert une partie de nos crèches, il n’y a pas de personnel d’enfants malades. » « L’opinion est dans le tout ou rien, elle a du mal à s’adapter à la situation, abonde Fabrice Giraux. Aujourd’hui, je suis convaincu qu’on prend plus de risques dans une voiture que dans les transports en commun, tant qu’ils ne sont pas bondés. »
L’infirmière Delphine Leclerc réalise le traçage des cas contacts, au domicile des patients, lorsqu’ils sont d’accord. « On est très discrets, assure-t-elle, on arrive avec un simple sac à dos, on se change à l’intérieur de l’appartement. C’est un travail délicat, car on rentre dans l’intimité des gens, en tentant de comprendre quel est leur niveau de proximité avec leur entourage. Un vieux monsieur m’a expliqué qu’il était proche de sa femme de ménage… mais jusqu’à quel point ? Mon travail est de mettre les gens en confiance, sans aucune contrainte. » Formée en sexologie, elle apporte son expertise à l’équipe dans la détection des violences familiales.
Sur le front de l’épidémie, l’infirmière, familière du VIH, est aussi dans « l’espoir que l’épidémie parte comme elle est venue, on l’espère tous ». Elle est aussi frappée de voir à quel point « la population est sensibilisée aux gestes barrières ».
Dans l’équipe, il y a deux bénévoles, des étudiantes en deuxième année de médecine. « Normalement, on devrait être en stage, mais tout s’est arrêté. Notre faculté nous a proposé de participer à l’expérimentation. » Et elles sont ravies : « C’est archi-formateur d’intégrer une équipe médico-sociale. On aborde le patient dans sa globalité. Et il n’y a vraiment pas besoin d’être expert pour sensibiliser aux gestes barrières. On est toujours dans le consentement : si une personne refuse le test, la visite à domicile, on lui aura au moins expliqué les gestes barrières, donné des masques, du gel et du savon. On fait de la réduction des risques. »
Le docteur Fabrice Giraux est cependant en alerte sur le faible nombre de tests positifs : « Soit l’épidémie se termine et on va enfin partir en vacances, soit les patients ne viennent pas parce qu’ils ne nous connaissent pas ou qu’ils ont peur que le virus leur saute au visage. »
L’Agence régionale de santé d’Île-de-France a organisé vendredi 22 mai un centre de dépistage à Clichy-sous-Bois, toujours en Seine-Saint-Denis. Les volontaires ont afflué. Après un tri médical, 108 personnes ont été testées. Le résultat a affolé le milieu médical : « Huit tests étaient positifs, c’est beaucoup, confirme l’Agence régionale de santé. Mais c’est peut-être un aléa. On est revenu le lendemain, et sur 35 tests, un seul était positif. Mais nous allons continuer ces opérations de dépistage gratuits, dans des villes ou des quartiers qui ont un accès difficile au système de santé : Gennevilliers, Saint-Denis, Sarcelles, etc. »
À Aubervilliers, l’équipe Covisan est également en train de faire évoluer sa politique de dépistage. « On veut aller voir les gens là où ils vivent : dans les résidences universitaires, les foyers de travailleurs, de migrants, les squats, les résidences Adoma, les centres d’hébergement d’urgence. Demain, on compte proposer le test à 100 personnes aux Restos du cœur. Parce qu’on est convaincus que les plus vulnérables sont bien plus exposés au virus que ceux qui ont passé leur confinement au bord d’une piscine. On réfléchit aussi à installer une tente de dépistage dans la rue. »
Deux Tests rapides d’orientation diagnostique (TROD), l’un positif (deux barres), l’autre négatif (une barre). © CCC Deux Tests rapides d’orientation diagnostique (TROD), l’un positif (deux barres), l’autre négatif (une barre). © CCC
L’équipe tente aussi d’affiner sa technique de dépistage. Quand ils testent largement, dans des lieux collectifs, ils utilisent désormais des « Tests rapides d’orientation diagnostique » (TROD). Ce sont des tests sérologiques, à partir d’une goutte de sang prélevée au bout du doigt. Le résultat est obtenu au bout de quelques minutes : une barre apparaît si le test est négatif, deux barres s’il est positif, le test a alors repéré les anticorps du coronavirus. Mais la contamination peut avoir eu lieu il y a quelques mois ou il y a 15 jours seulement, et dans ce cas la personne peut encore être contagieuse.
« Les TROD nous permettent de savoir si le virus a circulé dans un lieu collectif. Si on trouve des cas positifs, alors on réalise des PCR pour repérer les personnes qui excrètent encore du virus, et sont potentiellement contaminantes. » Dans un lieu associatif, l’équipe a réalisé il y a peu une campagne de dépistage par TROD : « Sur 28 personnes, 12 étaient positives. On a fait ensuite des PCR, 4 se sont révélées positives. » Fabrice Giraux résume ainsi la démarche : « On va à la pêche, on lance des filets et on regarde ce qu’on trouve. »
Mais Fabrice Giraux rappelle que l’incertitude est grande : « Il nous faudra avoir testé plusieurs centaines de personnes avant de pouvoir confirmer l’intérêt de cette méthode de dépistage. » Cette après-midi-là, une partie de l’équipe s’est autotestée avec un TROD. Le résultat a dérouté tout le monde. Une personne de l’équipe a été testée il y a plusieurs semaines positive avec un test PCR dans le nez. Ce résultat est jugé très sûr : elle a bien contracté le coronavirus. Mais le test sérologique est revenu négatif : il n’a pas trouvé d’anticorps. Deux hypothèses : les techniques de tests sont encore peu fiables, ou le SARS-CoV-2 n’a toujours pas livré tous ses secrets. L’une n’exclut pas l’autre.
Fin de citation.
Réponse immunitaire : anticorps neutralisants, mais pas stérilisants
Citation : Paul Benkimoun, Le Monde, 27 mai 2020 [2]
Parmi les multiples questions qui restent posées à propos du Covid-19, celle de la réponse immunitaire et de la protection qu’elle pourrait conférer aux personnes ayant été infectées n’est pas la moindre. Plusieurs travaux, dont une étude menée auprès de soignants du CHU de Strasbourg et prépubliée le 26 mai sur le site MedrXiv.org, confirment que l’infection par le SARS-CoV-2 suscite bien la production d’anticorps et que ceux-ci possèdent une action neutralisante contre ce coronavirus encore présente six semaines après l’apparition des symptômes.
Il faudra attendre d’autres travaux pour savoir combien de temps dure cette protection contre une réinfection, tout en gardant à l’esprit que les anticorps, produits par les lymphocytes B, ne constituent qu’une partie de nos défenses immunitaires, à côté de l’immunité cellulaire s’appuyant sur des globules blancs spécialisés, les lymphocytes T. (...)
[U]ne équipe associant des chercheurs du CHU de Strasbourg et de l’Institut Pasteur a mené en avril une étude auprès d’un échantillon de membres du personnel chez lesquels l’infection [sous forme bénigne] par le SARS-CoV-2 avait été confirmée par un test PCR. (...)
Deux tests sérologiques ont été utilisés : un test rapide du commerce détectant la présence d’anticorps contre le SARS-CoV-2, et un test « S-Flow », plus perfectionné, mis au point par les chercheurs de l’Institut Pasteur et déjà utilisé pour une étude menée à Crépy-en-Valois (Oise). Ciblant une autre zone du coronavirus que le test rapide, le S-Flow fournit à la fois une information quantitative et qualitative. (...)
Premier enseignement (...), l’infection entraîne bien une réponse de l’immunité humorale, même dans les formes bénignes de Covid-19. Deuxième confirmation apportée par cette étude, la quantité d’anticorps neutralisants détectés par les tests s’accroît au fil du temps (...).
[Des essais chez des singe on confirmé l’action protectrice.] « Cela n’infirme pas une réinfection, mais les chercheurs ont constaté une augmentation rapide du taux d’anticorps contre le SARS-CoV-2, une élimination plus rapide du virus, remarque Olivier Schwartz, qui ne participait pas à ces études. Ces anticorps favorisent une forme bénigne, atténuée de la maladie. C’est une immunité protectrice mais pas stérilisante. »
Fin de citation.
Laboratoires et médicaments
La publication des résultats de travaux de recherche mené par des organismes publics doit répondre à des protocoles stricts. En revanche, les firmes privées ne se privent pas d’annonces précoces qui font monter leur valeur boursière, sans que souvent les promesses ne soient ultérieurement confirmées.
Citation : William Bruno [3]
Quand une firme de pharma utilise une pandémie… par intérêts financiers
Comme la plupart de mes collègues, j’ai passé d’innombrables heures à suivre la littérature médicale sur le Covid-19 en prévision d’un traitement pour des patients comme celle que j’ai décrite. Malheureusement, la réalité est qu’il n’existe pas de traitements éprouvés, et malgré l’enthousiasme et les bruits de fanfare considérables, une grande partie des recherches menées jusqu’à présent ont été peu brillantes [1] et ont été menées par des sociétés pharmaceutiques motivées par des intérêts financiers [2].
Nombre des interventions proposées jusqu’à présent impliquent l’adaptation de médicaments existants, comme la chloroquine, médicament antipaludéen, ou l’ivermectine, antifongique, dans l’espoir que ces médicaments puissent être utiles pour traiter le nouveau coronavirus. Malheureusement, les résultats ont été décevants. L’invraisemblance biologique de l’utilisation de médicaments développés pour traiter des maladies non virales a conduit de nombreux cliniciens et scientifiques à considérer ces interventions avec scepticisme. Toutefois, cela n’a pas empêché les autorités (aux Etats-Unis) de les présenter comme des options de traitement [3].
Le remdesivir, un antiviral développé à l’origine pour traiter la fièvre hémorragique causée par les virus Ebola et Marburg [virus endémique dans plusieurs pays d’Afrique] est le dernier traitement potentiel à susciter une grande excitation.
L’étude initiale utilisée pour justifier son utilisation consistait en un petit groupe de patients atteints de Covid-19 [4]. Bien qu’une grande partie des patients ayant pris le médicament se soient améliorés, il n’y avait pas de groupe de contrôle pour la comparaison, ce qui rend impossible de créditer le remdesivir pour leur amélioration. On est loin de la norme acceptée pour tester une nouvelle thérapie – un essai contrôlé randomisé, où un groupe de traitement reçoit le nouveau médicament et où leur résultat clinique est comparé à un groupe de contrôle qui a reçu des mesures standard ou un placebo. Cela n’a pas empêché Gilead, la société pharmaceutique qui détient le remdesivir, de se vanter de son succès, de susciter l’espoir – et de faire monter le cours de ses propres actions.
La décision de mener une étude méthodologiquement douteuse telle que celle décrite – et sa publication ultérieure dans l’une des plus grandes revues médicales du monde – reflète au mieux le désespoir du milieu médical en période de crise, où l’on est prêt à sacrifier des données de qualité pour obtenir des résultats rapides. Un point de vue moins « généreux » verrait cela comme un stratagème cynique pour susciter l’enthousiasme pour un médicament sans le risque d’un essai négatif – où le groupe de traitement ne montre aucune amélioration significative par rapport à un groupe de contrôle.
On pourrait souligner la difficulté de mener un essai clinique bien conçu, avec des groupes de traitement et de contrôle, en étant placé sous le poids d’une pandémie mondiale – où une grande partie de nos ressources de santé surchargées sont consacrées à la prestation de soins, ce qui fait des grands essais cliniques multi-institutionnels une lointaine seconde priorité. À cet égard, l’utilisation du remdesivir dans d’autres contextes constitue une leçon instructive.
En décembre 2019, une équipe de chercheurs a publié les résultats d’un essai contrôlé randomisé (où les participants sont affectés au hasard soit à un traitement expérimental, soit à des soins standard) comparant le remdesivir à d’autres traitements de la maladie du virus Ebola [5]. Ce qui est remarquable dans cette étude, ce n’est pas que les chercheurs aient pu utiliser une méthodologie de recherche aussi rigoureuse, c’est qu’ils l’ont fait au Congo déchiré par la guerre… lors d’une épidémie du virus Ebola.
Pour sa part, Gilead a lancé de nombreux essais cliniques pour évaluer plus en détail l’efficacité du remdesivir dans le traitement du Covid-19 [6]. Le mois dernier (avril), des données préliminaires ont été publiées dans le cadre d’une étude de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses, montrant que les patients infectés recevant le médicament n’en tirent qu’un modeste bénéfice en termes de durée de séjour à l’hôpital, sans toutefois montrer une diminution de la mortalité. La revue médicale The Lancet, peut-être dans le but de tempérer l’excitation d’un excès de zèle, a publié les données d’un essai contrôlé randomisé qui n’a pas encore été publié et qui réfute ce modeste bénéfice et suggère que le remdesivir pourrait ne pas être utile chez les patients Covid-19 [7]. Malgré les limites des données préliminaires, la Food and Drug Administration (FDA) a annoncé qu’elle autoriserait l’utilisation régulière du médicament chez les patients hospitalisés [8], alimentant ainsi le bourdonnement frénétique qu’un traitement pourrait être à portée de main.
Incidemment, le récent essai du remdesivir pour le virus Ebola au Congo a réfuté des études antérieures, méthodologiquement inférieures, et a suggéré que d’autres traitements étaient en fait supérieurs au remdesivir pour l’utilisation dans la maladie du virus Ebola. Cela ne veut pas dire que l’efficacité, ou l’absence d’efficacité, du médicament dans le traitement du virus Ebola peut être utilisée comme preuve de son efficacité par rapport au Covid-19 – un processus pathologique complètement différent. Toutefois, l’histoire d’un nouveau traitement qui s’est révélé prometteur dans les premières études, pour se révéler décevant dans des études ultérieures plus rigoureuses, mérite d’être gardée à l’esprit à mesure que la science se développe pour l’utilisation du remdesivir pour le Covid-19.
Comme tous les médecins, j’ai envie de dire aux patients, comme celle que j’ai décrite, qu’en effet, j’ai un médicament à vous donner. Mais je veux savoir que son indication est basée sur la science médicale et non sur la cupidité ou l’imprudence panique des entreprises [9]. Les chercheurs qui étudient le virus Ebola au Congo prouvent qu’une calamité n’est pas une excuse pour une science bâclée. En fait, dans des périodes de crise comme celle-ci, la société doit s’appuyer sur la science médicale pour être un bastion de la rationalité.
Fin de citation.
Solidarité et auto-organisation
L’un des aspects les plus intéressants de l’actualité « Covid » concerne l’organisation de l’entre-aide et de la solidarité « par en bas », notamment dans les quartiers populaires, comme l’illustre l’article suivant dont nous citons ici la partie concernant la Seine-Saint-Denis.
Citation : Jade Lindgaard, Mediapart [4]
Dans les quartiers populaires, d’innombrables formes d’entraide ont vu le jour face au Covid. Beaucoup veulent continuer à s’auto-organiser, agir par eux-mêmes sans attendre l’État. « L’assistance sociale, ce n’est pas notre idée, précise Gaspard, à Aubervilliers. On organise des coopérations portées par l’idée des communs. »
D’habitude, elle coud ses propres créations, avec une prédilection pour le wax, associé à des cuirs mats ou brillants. Mais depuis le début du confinement, Chona Djaura, 34 ans, confectionne des masques en tissu. Une cinquantaine par jour, qu’elle assemble à la machine dans son atelier de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Son père est mort du Covid quinze jours après le début du confinement. « Il était en Ehpad. Ils n’avaient pas de masques. » Coudre pour fournir aux autres l’étoffe protectrice. Pour se sentir utile. Et pour continuer à gagner sa vie, malgré tout.
Comme Chona, elles sont une trentaine de couturières réunies dans un réseau de confection créé en quelques jours à l’initiative de la régie de quartier de Saint-Denis [1]. Des salarié·e·s de plusieurs structures avaient besoin de masques. À la suite d’un appel sur Facebook, trois personnes proposent de coudre bénévolement des protections. « Surtout, la demande augmentait : habitants, commerçants, associations… Personne n’en avait », se souvient Mathieu Glaymann, le directeur de la régie, qui emploie trente salarié·e·s. Début avril, tout le monde cherche des masques. Des infirmières du centre cardiologique du Nord, une clinique de Saint-Denis où séjournent quarante malades, demandent de l’aide sur le réseau social. Surblouses, charlottes : elles n’ont plus rien. À Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), la directrice d’une clinique réquisitionnée pour accueillir des patients Covid lance à son tour un appel : gants, surchaussures, tout manque.
Une chaîne de solidarité et de savoir-faire se met en place : une créatrice de La Briche foraine [2], un atelier d’artistes, aide à choisir les tissus et les attaches ; une association contribue à la sélection des étoffes ; des commerçants des marchés de La Courneuve et de Saint-Denis vendent moins cher des fins de série de textile. Plaine-Commune, l’établissement public du territoire (regroupant Saint-Denis, La Courneuve, Aubervilliers, Stains, Saint-Ouen…) verse 10 000 euros de subvention pour aider la création de la filière.
À ce jour, ce réseau solidaire a déjà servi 15 000 commandes de masques et fourni 20 000 kits pour les fabriquer soi-même, selon Mathieu Glaymann. Ils ont engrangé plus de 100 000 euros de recettes. L’objectif est « de créer un modèle économique dans l’économie sociale et solidaire ». Et de proposer des masques lavables et réutilisables, donc plus écologiques et à terme moins chers que les protections en papier qu’il faut changer tous les jours. À partir de toile d’hivernage offerte par une grande surface, ils ont aussi fabriqué des surblouses d’hôpital. Au départ, elles sont vendues trop peu cher et des fabricants s’inquiètent de prix qui cassent le marché. Elles sont désormais tarifées 7 euros l’unité.
La mairie de Saint-Denis leur a commandé 3 000 masques pour enfants, à destination des écoles. À Saint-Ouen, la crèche parentale les Microdoniens, le lieu culturel Mains d’œuvres et la librairie Folies d’encre leur achètent aussi des protections. Au total, une centaine de personnes interviennent dans cette chaîne, selon Laury Oung, en charge du suivi de la production et du contrôle qualité des masques. En plus des couturières et des livreurs, un plasticien a conçu le cheminement du kit, depuis la fourniture du tissu jusqu’au contrôle final du produit. Les masques sont découpés à la Briche. Une quarantaine de travailleurs en situation de handicap de l’ESAT de Stains assurent le lavage, le repassage et le conditionnement à l’unité. « Réunir une quarantaine d’indépendants et des toutes petites structures pour produire un même objet, c’est complètement inédit. Cela permet de produire en plus grande quantité, de soutenir différents types d’acteur. » Elle-même a été sollicitée via l’Atelier des madames, une association qui anime des ateliers de couture pour femmes. « L’idée est de rémunérer chaque personne à sa juste valeur et de sortir un modèle économique qui tienne la route. »
Chaque masque cousu par cette filière est vendu 8 euros l’unité. Plus chers que d’autres produits sur le marché. Mais cela permet aux couturières de gagner 200 euros par kit de cinquante masques, dont il faut retirer environ 25 % de charges. Le tissu arrive déjà découpé chez les couturières. Elles appellent quand elles sont disponibles. Un livreur leur apporte les tissus à vélo. Stéphanah Hayria, 27 ans, couturière de métier, cofondatrice de la marque Zahay (« à nous » en malgache) en fabrique entre vingt et vingt-cinq par jour. Elle travaille chez elle, à l’aide de sa propre machine à coudre et de sa surjeteuse, utile pour peaufiner les finitions. Elle estime qu’un mois de cette activité lui rapporte l’équivalent d’un Smic – autour de 1 500 euros brut par mois. Une bouffée d’air pour cette créatrice qui vend habituellement ses collections lors de points de vente éphémères en boutique. Venue de Madagascar en 2016, elle s’est installée à Dugny, non loin du parc de La Courneuve. « L’idée de nous organiser par nous-mêmes, ça me touche, dit-elle. Cela crée une solidarité. C’est un travail énorme pour moi, car je suis timide. C’est une façon de voir des gens et de rencontrer des personnes que je ne connaissais pas. »
Cette filière locale débutante pourra-t-elle se pérenniser en coopérative de confection ? De nouvelles commandes leur sont déjà parvenues : des charlottes en tissu lavables et réutilisables, d’autres masques. « Pourquoi ne pas à terme confectionner des t-shirts, des pantalons, des articles de mode », suggère Laury Oung. Au niveau national, 14 régies de quartier – sur 140 en tout dans des quartiers jugés prioritaires – ont mis en place une production de masques en tissu. « J’ai apporté la capacité à organiser un réseau rapidement, analyse Mathieu Glaymann. Mais les couturières sont capables de prendre en charge la commercialisation et le reste. J’adore le modèle des canuts lyonnais, des ouvriers qui s’étaient organisés entre eux. »
« Une boîte à outils géante d’auto-organisation »
À l’exemple de cette micro-filière textile, des coopérations nées dans l’urgence face au Covid vont-elles se poursuivre au-delà du confinement ? La création de réseaux de solidarité entre voisin·e·s, militant·e·s et collègues va-t-elle nourrir une vague de projets d’auto-organisation, à distance de l’économie de marché et des institutions ?
À Aubervilliers, un collectif lié à la Pépinière [3], une association qui organise des repas de quartier, s’est impliqué dans une maraude dès le début du confinement. Une cinquantaine de bénévoles ont livré jusqu’à 500 repas par jour à des familles dans le besoin, des mères isolées, des migrant·e·s. La cuisine départementale, qui fournit habituellement des collèges, étant mise à l’arrêt, des bénévoles l’ont redémarrée. Ce sont leurs barquettes de plats préparés que la « Pépimaraude » a distribuées.
Mais en cette fin mai, la collégiale du collectif vient de décider d’arrêter les livraisons : « Ça ne correspond pas à nos statuts de livrer de l’aide alimentaire pour l’État. Les repas cuisinés sous plastique ne correspondent pas aux besoins des familles que nous avons rencontrées. Elles veulent des légumes pour cuisiner. Et notre vocation, c’est faire de l’éducation populaire à l’alimentation saine, locale et bon marché », explique Sandy, régisseuse dans le théâtre. « L’assistance sociale, ce n’est pas notre idée, ajoute Gaspard. On organise des trucs à prix libre, de la transmission de savoirs et des coopérations portées par l’idée des communs. On ne fait pas d’humanitaire. On se conçoit comme une coopérative d’usage, pas comme un projet altruiste. »
Pour autant, ils veulent poursuivre leur action. Et discutent du projet d’ouvrir un marché à prix libre de produits bruts invendus au marché. « Récupérer uniquement un certain type de produit : de saison, le moins transformé possible, ni viande ni poisson », précise Linda. Ainsi que d’inviter les familles à des ateliers dans l’ancienne ferme maraîchère dont ils ont obtenu l’usage, tout près du canal Saint-Denis. « La question des savoir-faire en commun est une amorce vers l’autonomie », pour Gaspard, designer industriel de profession.
Ce collectif ne rejette pas le cadre institutionnel : il touche des subventions publiques et a signé un contrat avec la municipalité. Mais lors de leurs maraudes, à leur grande surprise, ses membres ont livré de la nourriture à des personnes non couvertes par les services sociaux municipaux, témoignent-ils. Des sans-papiers, des squats minuscules découverts par bouche-à-oreille. Des habitant·e·s trop inquiet·e·s de l’administration pour s’en faire connaître. « On a répondu à la désorganisation de l’État. Pendant le confinement la demande d’aide a explosé alors que les services sociaux avaient peu de personnel disponible. On a vu que la taille des administrations et leur degré de centralisation posaient des problèmes en cas de choc, alors que des citoyens ont pu s’adapter plus rapidement au changement grâce à l’intelligence collective. Un espace est plus résilient que l’autre. Les laboratoires de solutions doivent être à une échelle micro, pulsionnelle, comme des prototypes. »
À Saint-Denis, Zone sensible [4], une ferme urbaine et un lieu d’événements culturels, s’est lancé en 2018. Un hectare de terres maraîchères cultivées en permaculture, en face de la cité du Clos Saint-Lazare, de Stains. Jusqu’ici, elle fournissait des restaurants parisiens en légumes bio et locaux. Mais face au Covid et aux déflagrations sociales de l’épidémie dans le département, le Parti poétique, le collectif qui exploite la parcelle, a décidé d’offrir sa production à des structures d’aide à Saint-Denis, Stains et Pierrefitte-sur-Seine. « Sur ce territoire, c’est la question de la survie qui est posée, estime Olivier Darné, artiste et fondateur du collectif. Puisque les restaurants sont fermés, nous ne pouvons plus leur vendre. Mais je ne nous vois pas monnayer des paniers à des Amap. C’est difficile dès les débuts de mois ici désormais. »
Sur sa page Facebook, le collectif écrit que « dans un territoire comme le nôtre, en Seine-Saint-Denis, nous ne sommes pas à égalité sur une multitude de sujets mais lorsque les besoins premiers et vitaux pour les plus fragiles ne sont plus assurés, alors nous devons inventer de nouvelles armes ».
Sur quelles munitions compter pour s’entraider sans créer de dépendances vis-à-vis de réseaux mieux dotés en capital ou entregent ? Covid-entraide, un réseau de solidarité entre groupes locaux créé au début de la pandémie pour rendre visible les initiatives, veut aujourd’hui construire « une boîte à outils géante d’auto-organisation », explique Joël, l’un de ses créateurs. Retour d’expérience sur le fonctionnement interne, partages d’outils sanitaires, enquêtes et entretiens avec des collectifs de diverses cultures politiques : « On aimerait remplir la notion consensuelle d’entraide en l’étoffant de toutes les pratiques qui s’inventent dans différents espaces : associations citoyennes, mouvement climat, ZAD ». Leur carte de France des solidarités (à consulter ici [5]) recense environ 600 groupes actifs.
Fin de citation.
Mayotte
Citation : Patrick Roger, Le Monde du 20 mai 2020 [5]
La ministre des outre-mer, Annick Girardin, s’est rendue sur place mardi, alors que le pic épidémique est attendu d’ici au 30 mai.
C’était le premier déplacement en dehors de l’Hexagone de la ministre des outre-mer, Annick Girardin. (...)
L’épidémie de Covid-19 reste en phase croissante à Mayotte. Selon le dernier bulletin de l’ARS, publié mardi 19 mai, le département comptait 1 419 cas de contamination par le SARS-CoV-2, soit l’équivalent, rapporté à la population française, de 340 000 cas. Cinquante-deux patients sont hospitalisés, dont 11 en réanimation, alors que le Centre hospitalier de Mayotte (CHM) ne disposait que de 19 lits de réanimation avant la crise, et 19 décès ont été enregistrés, pour une population de 279 000 personnes, selon les données de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
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Mme Girardin tient toutefois à souligner l’importante réorganisation du CHM, qui a permis de s’adapter à la multiplication des cas et de doubler le nombre de lits de réanimation. Parallèlement, les évacuations sanitaires vers La Réunion s’accélèrent, afin de libérer les capacités d’accueil au CHM et d’alléger la charge de travail des soignants en vue du pic épidémique, attendu entre le 20 et le 30 mai. Au cours des deux dernières semaines, 47 évacuations ont été effectuées. Le rythme va s’accélérer en passant de trois vols par semaine à un vol par jour.
Si le déconfinement à Mayotte a été différé par les autorités, il est de fait. « Le confinement a marché quelques semaines mais, depuis le ramadan, les Mahorais se sont autodéconfinés », constate la ministre, contactée par Le Monde. Les conditions d’habitat précaire, alors que plus de 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et que des dizaines de milliers de personnes s’entassent dans des bidonvilles, par une chaleur accablante et, bien souvent, sans accès à l’eau potable, ne rendaient pas supportable le confinement.
Dans ces conditions, il est plus utile d’accompagner ce déconfinement, en rappelant systématiquement les consignes à observer. Des brigades sillonnent les rues, dans toutes les communes du département, en distribuant des masques et des solutions hydroalcooliques. « Le port du masque à Mayotte est acquis, plus qu’à Paris », note Mme Girardin, qui a effectué une visite dans une coopérative reconvertie pour la fabrication de masques « grand public ». (...)
La rencontre qui a eu lieu mardi matin en présence des élus mahorais et des responsables des services de l’Etat a toutefois donné lieu à de vifs échanges, en particulier avec le député (Les Républicains) Mansour Kamardine. Depuis le début de la crise – et même bien avant, notamment au moment du mouvement social qui avait paralysé l’île pendant quarante jours au printemps 2018 –, il ne cesse de vouer aux gémonies tout ce qui est entrepris par le gouvernement et la ministre des outre-mer.
« Sans doute a-t-elle entendu en partie la détresse des Mahorais mais, quand on lui propose de vraies solutions, elle s’énerve et ne supporte pas la contradiction, déplore le député, joint par Le Monde. Nous ne combattrons pas le virus sans combattre la misère mais, quand on lui rappelle la promesse d’augmenter les minima sociaux à Mayotte, elle s’énerve. On ne peut pas continuer à avoir comme seule réponse de distribuer des bons. »
« L’Etat ne peut pas répondre seul aux urgences de la lutte contre le Covid-19, rétorque Mme Girardin. Je n’ai pas pu m’empêcher de dire qu’il y a toujours ceux qui sont contre tout et qui s’évertuent à souffler sur les braises. » Le fait est que le rattrapage des allocations de retraite et des allocations handicap, sur lequel elle s’était engagée, a pris du retard. « Ce qui compte, c’est d’abord de permettre aux Mahorais d’être traités avec égalité, se défend la ministre. Ça passe par le rattrapage des minima sociaux mais aussi par l’accès aux services essentiels. Cela prendra du temps mais c’est possible. » Une manière de reconnaître sans le dire que la crise a bel et bien contraint le gouvernement à reporter l’échéance.
Fin de citation.
Vielles et vieux, le retour
Le sort fait aux résidant.es des EHPAD tant par le pouvoir que par de grands groupes privés est l’un des abandons les plus scandaleux de la crise sanitaire. Il a révélé le regard que portait sur les personnes âgées dépendantes l’odre dominant. Cette politique d’abandon a aussi concerné celles et ceux qui mènent une vie indépendante. Dans la précédente Corona Chronique, la parole était donnée à ce sujet à Ariane Mnouchkine. Nous citons aujourd’hui un texte de Dominique Vidal, tout aussi vigoureux.
Comme il le note, l’enjeu de cette question « n’est pas catégoriel, encore moins corporatiste : c’est de l’avenir même de notre société qu’il s’agit ».
Citation : Dominique Vidal [6]
Le 18 juin prochain, j’aurai 70 ans. Jamais jusqu’ici je ne m’étais senti « vieux ». La pandémie de Covid-19 a tout changé. (...) [A] la mi-mars, la télévision m’apprend que 80 % des victimes du Covid-19 ont… 70 ans et plus ! (...) [Or] nous manquions de tous les instruments nécessaires, masques, tests, gel et respirateurs. Quand le roi est nu, il cache sa nudité. D’où ces mensonges en série, dont « Si Bête » restera à jamais le symbole ridicule et qui interdirent toute stratégie cohérente. La Macronie n’est pas seule en cause : la destruction du stock stratégique de masques commence en 2011, celle de 100 000 lits d’hôpital s’étale sur vingt ans…
Cette pénurie de moyens, au moment où les patients les plus gravement atteints affluent à l’hôpital, débouche sur l’horreur : des personnes « fragiles » – « vieilles » ou atteintes d’autres maladies sévères ou simplement obèses, voire alcooliques – sont abandonnées à leur sort. C’est lorsque j’entends les termes de « tri » et de « triage », que certains journalistes prononcent légèrement, que me revient le souvenir du génocide des malades mentaux entrepris en Allemagne officiellement de l’été 1939 à l’été 1941 – et après, officieusement. Cette première page du génocide nazi était à peine connue en France lorsque je travaillais, il y a vingt ans, sur mon livre Les historiens allemands relisent la Shoah [3]. Je me souviendrai tout le reste de ma vie des heures fiévreuses passées à lire ces pages épouvantables.
Comparaison n’est pas raison. Nul n’a décidé d’un « génocide des vieux ». La plupart des médecins et tout le personnel des hôpitaux s’efforcent jour et nuit de les sauver. Ceux des EHPAD, abandonnés à leur sort, tentent comme ils peuvent de protéger leurs pensionnaires. Mais le vocabulaire de quelques journalistes cyniques rappelle trop celui des organisateurs de l’Opération Euthanasie pour se taire plus longtemps. Sur mon blog de Mediapart, j’écris le 10 avril une première mise en garde intitulée « Euthanasie ?[4] » (...)
[L]e président de la République annonce le déconfinement pour le 11 mai – sauf pour les « personnes âgées », obligatoirement confinées pour une plus longue période [il devra faire marche arrière devant les réactions].
Incroyable dégradation de statut. Hier, le gouvernement nous jugeait aptes à travailler jusqu’à l’âge-pivot de 64 ans, voire plus. Nos chaînes de télépropagande louaient ces « aînés » soucieux d’aider leurs enfants et de s’occuper de leurs petits-enfants. Sans parler des milliers d’associations dont la majorité des animateurs – et souvent, hélas, des militants – ont des cheveux gris ou blancs. Bref, nous étions, malgré notre âge, un pilier de la société. Et voilà qu’en quelques jours d’épidémie, nous en devenions un rebut, tout juste bon à rester enfermés jusqu’à la Saint-Glinglin. Sic transit gloria mundi…
Le pire est encore à venir. Le « triage », de rumeur, devient directive d’État. Le 22 avril, Le Canard enchaîné révèle, sous le titre « Les vieux ont-ils été privés de réa ? », l’existence d’une circulaire venue du ministère de la Santé, datée du 19 mars, appelant à « limiter fortement l’admission en réanimation des personnes les plus fragiles ». Avec succès : entre le 21 mars et le 5 avril, le pourcentage de patients de plus de 75 ans placés en réanimation tombe de 19 % à 7 %, et celui des plus de 80 ans de 9 % à 2 %. Bref, il faut sacrifier les vieux pour sauver les jeunes.
« Euthanasie ? Euthanasie ! » : ainsi s’intitule mon nouvel article sur le blog de Mediapart. « Le président de la République, son Premier ministre, son ministre de la Santé et le Directeur général de celle-ci doivent répondre à trois questions simples : 1) cette circulaire existe-t-elle ? 2) Qui l’a signée ? 3) De combien de personnes « fragiles » a-t-elle entraîné la mort ? » Et j’en ajoute une quatrième à l’intention de mes consœurs et confrères journalistes : « Pourquoi la plupart des médias n’ont-ils pas relayé cette information ? » Sauf, soyons juste, le journal de France 2, où Anne-Sophie Lapix l’évoque avec un des « médecins propagandistes »… pour la qualifier de fake – on attend encore la réponse du médiateur de France Télévision auquel un droit de réponse a été demandé.
Car, entre-temps, le doute n’est plus permis. Répondant à l’appel de ma page Facebook aux lecteurs, un membre du personnel hospitalier, écœuré par ladite circulaire, m’en fait parvenir le texte intégral. « La lecture de votre article “Euthanasie ? Non : Euthanasie !” m’a fait repenser – écrit-il – à un document découvert sur le site de la SFAR portant sur les recommandations relatives à la “Décision d’admission des patients en unités de réanimation et unités de soins critiques dans un contexte d’épidémie à Covid-19”. En lisant ce document, j’ai ressenti un réel malaise avec l’impression que chacun ne pourrait effectivement pas accéder à la réanimation faute d’un “équilibre entre les besoins médicaux et les ressources disponibles”. » Et de me fournir le lien vers le texte[5], ainsi que celui du site du ministère de la Solidarité et de la Santé qui le cite[6]. « Quand je l’ai lu, conclut mon correspondant, j’ai également pensé que devoir être confronté à un tel choix pour les soignants et accompagnants de personnes âgées n’était pas normal. »
Le 28 avril, mon confrère Marc Endeweld et moi-même révélons le contenu de cet incroyable document. Marc, dans Le Média, écrit un article intitulé « Coronavirus : quand l’ARS conseille de laisser mourir[7] ». Mon commentaire, sur Mediapart, s’appelle « Personnes âgées : voici la circulaire de la honte ». Nos analyses convergent : ce texte de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France, « rédigé collégialement par un groupe d’experts régional : Élie Azoulay, Sadel Belloucif, Benoît Vivien, Bertrand Guidet, Dominique Pateron et Matthieu Le Dorze », exerce une pression autorisée sur les responsables hospitaliers afin qu’ils excluent les « personnes fragiles » de la réanimation. Cet appel à un « triage systématique » – dixit le docteur Pierre-Jacques Raybaud, scandalisé – se fixe-t-il pour but d’éviter les goulots d’étranglement ? Une phrase terrible affirme : « Nous considérons licite de ne pas admettre un patient en réanimation dès lors qu’il s’agit d’une obstination déraisonnable, y compris si une place de réanimation est disponible . »
Quant aux hommes et des femmes refusées en réanimation, la circulaire ne fait pas mystère de leur avenir : « Chez ces patients non-admis en soins critiques, les soins ne sont pas interrompus, mais s’intègrent dans le cadre d’un accompagnement en collaboration avec les spécialistes d’une telle prise en charge palliative afin d’assurer une absence de souffrance et une fin de vie digne et apaisée, en présence de leurs proches. » Et qu’en termes galants ces choses-là sont dites : en clair, les signataires envoient des milliers de « vieux » à la mort, dans les hôpitaux comme, on le saura bientôt, dans les EHPAD qui cherchent, presque toujours en vain, à faire hospitaliser leurs pensionnaires malades. (...)
Qu’on se comprenne bien. Deux situations radicalement différentes se présentent. Il y a d’une part celle du médecin qui décide du sort de son patient et en assume la responsabilité, en son âme et conscience. Il en va ainsi depuis la nuit des temps et, si les proches d’un malade décédé jugent la décision contestable, ils peuvent porter plainte. Il y a d’autre part celle d‘un groupe de médecins qui, avec la caution d’un ministère, poussent vers la mort des milliers de personnes dites « fragiles » qu‘ils ne connaissent ni d’Ève ni d‘Adam, en incitant le personnel hospitalier à ne pas les admettre en réanimation.
Soyons clairs : même une situation d’urgence comme cette pandémie n’efface pas les droits fondamentaux des citoyens. A fortiori s’agissant de médecins, dont la loi suprême tient toute entière dans le serment d’Hippocrate. Cette morale professionnelle implique un devoir de désobéissance, dès lors qu’une directive, d’où qu’elle vienne, exige d’eux une action contraire à ce serment. C’était évidemment le cas face à une circulaire appelant à laisser – ou faire – mourir des milliers de patients dont le seul crime est l’âge et les maladies. Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre que le texte de l’ARS d’Île de France avait pour but d’étouffer la voix de la conscience des médecins hospitaliers.
D’aucuns se sont d’ailleurs révoltés, comme ces cinq « toubibs » qui écrivent une lettre ouverte à Emmanuel Hisch, professeur d’éthique médicale à la faculté de médecine de l’université Paris-Saclay, lequel vient de déclarer : « La hiérarchisation des choix doit être faite selon des protocoles. Cela permet de neutraliser la responsabilité : le soignant a ainsi moins le sentiment d’assumer personnellement une décision à impact vital[10] ». Les signataires rétorquent : « Nous médecins, répondent, ne pouvons choisir de soigner ou d’abandonner les malades selon des normes administratives qui nous imposeraient un tel tri, afin de “neutraliser notre responsabilité” comme vous osez l’écrire. » Et de réaffirmer : « La responsabilité est au centre de nos pratiques médicales (…) C’est en conscience que nous agissons et pensons nos actes. Cette conscience est la nôtre, elle ne peut être déléguée. Notre responsabilité est de ce fait individuelle. Nous ne pouvons accepter – sous aucun prétexte – de nous faire voler cette responsabilité, d’accepter que notre conscience soit subordonnée à des injonctions de nature économiques ou politiques. C’est aux médecins de décider. »
La nuit où j’ai reçu, lu et relu cette circulaire, je n’ai pas dormi. J’avais la nausée. Car ce texte représente un terrible bond en arrière, auquel ont contribué des intellectuels et des journalistes décidés à répandre à nouveau le poison eugéniste. Voilà André Comte-Sponville se demandant « ce que c’est que cette société qui est en train de faire de ses vieux la priorité des priorités[11] » – quelle priorité ? pour mourir ? Fondatrice du Centre d’éthique clinique (sic), Véronique Fournier lâche : « Ce qui fait sens au plan éthique à 20 ans ne pèse pas le même poids à 70 ans[12]. » Même refrain chez Emmanuel Todd : « On ne peut pas sacrifier la vie des jeunes et des actifs pour sauver les vieux[13]. » Avec son style libéral-populiste, Christophe Barbier dénonce les soixante-huitards : « Ils ont vécu les années 60. Ils étaient jeunes au moment du rock’n roll. Ils ont épanoui leur sexualité entre la fin de la syphilis et le début du sida. Bref, ce sont des enfants gâtés. À un moment donné, pour sauver quelques vies de personnes très âgées, on va mettre des milliers de gens au chômage ? La vie n’a pas de prix. Mais elle a un coût pour l’économie[14]. » (...)
[D]ans un discours contre la haine de l’autre, Antonio Gutteres, le secrétaire général de l’ONU, l’a souligné : « Les personnes âgées étant parmi les plus vulnérables face à la maladie, l’idée répugnante que l’on pouvait les sacrifier a commencé à se répandre[15]. » (...)
L’enjeu n’est pas catégoriel, encore moins corporatiste : c’est de l’avenir même de notre société qu’il s’agit. Simone de Beauvoir l’écrivait déjà voici un demi-siècle : « Les vieillards sont-ils des hommes ? À voir la manière dont notre société les traite, il est permis d’en douter. Elle admet qu’ils n’ont ni les mêmes besoins ni les mêmes droits que les autres membres de la collectivité. [...] Pour apaiser sa conscience, ses idéologues ont forgé des mythes, d’ailleurs contradictoires, qui incitent l’adulte à voir dans le vieillard non pas son semblable mais un autre. Il est le Sage vénérable qui domine de très haut ce monde terrestre. Il est un vieux fou qui radote et extravague. Qu’on le situe au-dessus ou en dessous de notre espèce, en tout cas on l’en exile[16]. »
Fin de citation.
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