Il y a dix ans, des cinéastes soutenaient déjà les sans-papiers avec un court-métrage. Comment s’est fait ce nouveau court-métrage ?
Michel Andrieu - On peut parler de fil rouge, dans le sens où un bon nombre de gens membres de la SRF [Société des réalisateurs de films, NDLR] sont impliqués de nouveau dans cette mobilisation ; presque neuf des personnalités sur dix sont membres de la SRF. C’est de tradition à la SRF, depuis ses origines, que d’avoir un pied dans la défense du cinéma de la diversité. En 1968, la SRF a soutenu la révolte et elle s’est engagée sur le terrain de ce que regardent les cinéastes, c’est-à-dire le monde. Récemment, il s’est passé des tas de choses très explicitement autour du RESF. Cela a touché pas mal de gens de la SRF en tant que parents et cela a touché aussi au-delà de la SRF dans la profession.
Les cinéastes se sentent touchés car, quand on regarde le monde, qu’on fasse du documentaire ou de la fiction, on regarde forcément autour de soi, et c’est à partir de là qu’on écrit des histoires et qu’on prend pied aussi dans la société avec son regard. On a beaucoup discuté de ce qu’il fallait faire à partir de ce qui s’est passé à Cachan, et on a vu aussi ce qui s’est fait avec le RESF. Ces gens se sont regroupés sur un thème : l’éducation sans frontières et la régularisation des sans-papiers. Nous avons un groupe qui s’est aggloméré, certains d’entre nous ont proposé de faire plusieurs films. Finalement, on s’est dit qu’il fallait faire un film très court de moins de trois minutes, signé collectivement, et tout faire pour que ce film soit distribué dans un très grand nombre de salles.
On a mobilisé une partie de la profession en lui lançant un appel via Jean-Luc Godard. Plein de gens nous ont envoyé un soutien. Ce qui coûte, c’est le tirage des copies. On a réussi à réunir l’argent et commencé à préparer le film. Le film a été tourné avec les enfants présentés par le RESF et on n’a pas fait de casting. Le texte de la lettre qu’on entend ne préexistait pas. Tout vient des ateliers d’écriture qu’on a faits avec les enfants répartis en petits groupes. On a lu et revu le texte, mais on le renvoyait à chaque fois aux enfants. Un certain nombre d’entre eux a été capable de le mémoriser et de le dire en entier, d’autres quelques phrases. On ne les a jamais forcés. Tout s’est fait très naturellement, on a tourné avec seize enfants en tenant compte du fait qu’on ne prenait pas d’enfant régularisé ou en cours de régularisation.
Pourquoi le choix de la Cinémathèque française pour le lancement de la campagne ?
M. Andrieu - La Cinémathèque a fait comme la grande école de cinéma où on a pu tourner le film et dont je tairai le nom. Dans les deux cas, ils ne nous invitent pas, mais prêtent la salle à la demande d’un groupe extérieur de cinéastes. Il nous a semblé à nous, cinéastes, que la Cinémathèque était l’endroit symboliquement le plus fort. Historiquement, elle l’est.
Comment avez-vous persuadé des distributeurs de prendre le film ?
M. Andrieu - Pour les salles, on a d’abord eu un distributeur, Maurice Tinchant, de Pierre Grise Distribution, qui a tout de suite dit « oui ». Les contacts ont été aussi très bons avec les salles d’art et d’essai et le GNCR [Groupe national des cinémas de recherche, NDLR]. Ils sont d’accord pour envoyer la copie dans leurs salles adhérentes. Et on a eu aussi le soutien de Marin Karmitz qui a dit OK pour les salles MK2. On a lancé les opérations depuis peu et on a déjà l’accord d’une centaine de salles. On a tiré 400 copies et on vise le même nombre de salles. L’Afcae [Association française des cinémas d’art et d’essai, NDLR], optimiste, nous a même dit de tirer 800 copies, mais nous n’avons pas l’argent ! Les gens ont été très généreux et des réalisateurs et des producteurs ont donné de l’argent pour que cela se fasse. Le film espère être le support d’une pétition nationale lancée par RESF et être le vecteur d’une grande campagne d’interpellation sur les sans-papiers.
B. Wieser - Au RESF, on espère que la discussion aura lieu très largement après le lancement de la campagne présidentielle. Pour le moment, les candidats sont tous très discrets sur la question des sans-papiers, même ceux qui disent « régularisation de tous les sans-papiers ». Beaucoup évitent le sujet. Il faut que les candidats s’expriment.
Au-delà de la campagne électorale, comment continuer pour gagner cette bataille ?
M. Andrieu - Le collectif de cinéastes a d’abord fait en sorte que ce film existe. Évidemment, une fois qu’il est mis en salles, on est ouvert à tout ce qui peut arriver. On espère qu’il sera vu, qu’il ne sera pas oublié dans la cabine de projection. Il faut espérer que les gens seront touchés par l’injustice faite aux familles, qu’en voyant le film ils vont avoir envie de s’adresser au RESF. Nous espérons que cela va prendre, que cela va essaimer.
B. Wieser - D’habitude, au RESF, c’est dans les écoles que nous intervenons. On veut toucher les profs, les parents d’élève mais, en arrivant dans les salles de cinéma, on va toucher une autre population. Et c’est très bien.
M. Andrieu - Sur un plan politique, notre perspective est de viser un public large. Le film se contente, à travers ce que disent les enfants, de raconter leur vie. Il n’y a pas de slogan, sauf la dernière phrase, qui est devenu l’appel de la pétition, et où ils disent : « Laissez-nous grandir ici. » Et le film s’appelle Laissez-les grandir ici.
B. Wieser - Aujourd’hui, dans les familles, quand ils reçoivent une obligation à quitter le territoire, la campagne électorale est bien loin. C’est le quotidien, c’est l’urgence. RESF n’est pas en campagne électorale. On luttait avant au quotidien avec les familles, on lutte pendant et on continuera après. La pétition est à signer à partir du 5 mars sur notre site et sur papier.
• Téléchargez le film : http://pierregrise.free.fr/sanspapiers.
• Signez la pétition sur le site du RESF : www.educationsansfrontieres.org.
Pétition
Film :« LAISSEZ LES GRANDIR ICI ! » par le Collectif des cinéastes pour les « sans-papiers »
Collectif des cinéastes pour les « sans-papiers »
Professionnels du cinéma et de l’audiovisuel en soutien au Réseau Education Sans Frontières et à tous les « sans-papiers » de France
Dans les écoles, les collèges et les lycées, un grand mouvement de solidarité entoure les enfants d’hommes et de femmes sans-papiers menacés d’expulsion.
Ce mouvement est essentiel à la société française : les enfants des écoles, ce sont les enfants de ce pays, ce sont les enfants de la République.
A titre individuel ou au sein d’associations, des cinéastes se sont engagés en parrainant et en protégeant ces familles en difficulté et en danger.
La décision de faire un film collectif s’est vite imposée à nous.
Pour réaliser ce film, nous nous sommes adressés au Réseau Éducation Sans Frontière (RESF) et à des enseignants, qui nous ont présenté certains de leurs élèves, des enfants de ceux qu’on appelle « sans-papiers ».
Avec l’accord de leurs parents, nous avons travaillé avec eux en ateliers d’écriture. Les enfants ont raconté leurs situations, confronté leurs expériences. De ces échanges est né un texte (voir pétition à signer), de ce texte est né un film. LEUR film. Une forme simple qui porte leur parole et leur histoire. Une histoire de peur et de souffrance.
Les enfants ont participé à ce travail avec leur passion et leurs espoirs. Espoir de voir cesser l’arbitraire, qui fait toujours d’eux des enfants de « sans-papiers », des enfants de déboutés. Espoir de vivre sans la peur quotidienne d’être expulsés. Passion d’apprendre et de grandir dans un pays qui est le leur comme il est le nôtre.
Ces enfants doivent vivre parmi nous.
Il est aujourd’hui urgent d’affirmer :
« Laissez les grandir ici ! »