Les suprémacistes blancs veulent faire de la pandémie due au nouveau coronavirus un puissant outil de recrutement. Ils espèrent gagner des adeptes, tant sur Internet que dans les capitales des États, et profiter de cette crise sanitaire pour donner le plus grand retentissement à leurs idées racistes et antigouvernementales.
Même si les manifestations anticonfinement qui ont eu lieu dans tout le pays ont attiré des gens de tout horizon, on a pu remarquer parmi eux des extrémistes dont les pancartes affichaient des symboles antisémites et anti-immigrés, ainsi que des messages codés visant à galvaniser leurs fidèles.
“Loi martiale médicale”
En général, avril est un mois chargé pour les suprémacistes blancs. Il y a l’anniversaire de Hitler, dont ils parviennent à faire une fête. Ils commémorent aussi l’attentat d’Oklahoma City, l’attaque au fourgon piégé qui a fait 168 morts il y a vingt-cinq ans dans la capitale de l’Oklahoma – un jalon qui est pour eux l’occasion de trouver de nouvelles recrues.
Mais, ce mois-ci, un événement est venu éclipser ces sinistres réjouissances : le coronavirus et les perturbations qu’il a entraînées dans la société sont devenus un cri de ralliement pour ces extrémistes.
Transformant la crise du Covid-19 pour qu’elle cadre avec leur idéologie, ils diffusent de fausses informations sur la transmission du virus et qualifient les mesures de confinement de “loi martiale médicale” — première étape vers l’avènement d’un État totalitaire qu’ils annoncent depuis longtemps.
“Ils n’ont pas leurs pareils pour détourner la pandémie à leur profit”, assure Devin Burghart, directeur de l’Institut de recherche et d’éducation sur les droits de l’homme, un centre de recherche sur les mouvements d’extrême droite établi à Seattle. Burghart étudie depuis longtemps les nationalistes blancs.
Désinformation
On ne sait pas encore si ces mouvements ont réussi à recruter plus de militants, mais une chose est sûre : la consultation de sites extrémistes a fait un bond pendant le confinement. Plusieurs épisodes de violence ont été attribués à des suprémacistes ou des militants antigouvernementaux rendus furieux par la pandémie.
Dans le New Jersey, le bureau local de la Sécurité intérieure et de la Préparation [aux situations d’urgence] a déclaré en mars que des suprémacistes blancs avaient encouragé leurs adeptes à agresser des membres de minorités ethniques et des immigrés, afin de répandre la peur.
“Nous avons constaté que des mouvements extrémistes nationaux profitaient de la pandémie pour faire de la désinformation”, en qualifiant notamment le coronavirus de canular, de conspiration juive ou de maladie répandue par des immigrés non blancs, souligne Jared M. Maples, le directeur du bureau.
Le mois dernier, le ministère de la Sécurité intérieure a prévenu les forces de l’ordre dans tout le pays que des extrémistes violents se mobilisaient pour réagir aux mesures de confinement, selon un haut gradé de la police et un fonctionnaire du Congrès.
Une note du ministère, datée du 23 avril, constate les récentes arrestations d’individus ayant menacé des fonctionnaires qui faisaient appliquer les mesures liées au Covid-19.
Les organisations extrémistes essaient souvent d’exploiter les crises pour arriver à leurs fins. Toute une nébuleuse d’extrême droite a ainsi flairé l’aubaine avec le coronavirus. “Ils y voient l’occasion de rameuter des adeptes”, assure Megan Squire, professeur à l’université Elon (Caroline du Nord), qui suit les échanges sur les sites et les forums extrémistes.
Une deuxième guerre de Sécession
Ces idées extrémistes ont le champ libre sur Facebook, Twitter et YouTube, tandis que les exilés des réseaux sociaux grand public migrent vers des espaces moins surveillés comme Telegram, Reddit, 4chan ou des sites de jeux vidéo.
Un sous-groupe, celui des “accélérationnistes”, vit constamment dans l’attente d’une deuxième guerre de Sécession qui renverserait l’État fédéral. La pandémie est devenue, pour eux, le dernier en date d’une longue série de déclencheurs possibles. Les spécialistes observent un regain d’intérêt pour cette nouvelle guerre raciale, ainsi qu’une prolifération de conseils pour la préparer. Il est à craindre que des adolescents influençables, qui s’ennuient et passent des heures en ligne, ne tombent sous l’emprise de ce genre de discours haineux.
Après que le président Trump a tweeté qu’il mettait fin à l’immigration en raison de la pandémie, l’attitude des tenants du white power a oscillé entre la joie et un optimisme prudent. Quand il s’est avéré qu’il ne s’agissait que d’une mesure temporaire, certains se sont tout de même réjouis qu’une de leurs idées soit désormais largement acceptée, alors que d’autres ont exprimé leur déception en ligne.
Passages à l’acte
Ces derniers mois, plusieurs tentatives d’attaque ont été attribuées à des individus qui participaient à de telles discussions. Timothy R. Wilson, 36 ans, un extrémiste suspecté d’avoir préparé une attaque contre un hôpital du Missouri, a été tué lors d’un échange de tirs avec des agents du FBI, à la fin de mars. Un communiqué émanant de ce service précisait que l’homme “obéissait à des motivations raciales, religieuses et antigouvernementales”.
Les autorités fédérales tirent prétexte de la pandémie “pour détruire notre peuple”, avait ainsi écrit Wilson sur un forum fréquenté par des groupuscules néonazis, explique le docteur Squire. Wilson affirmait également que les juifs s’étaient “emparés du pouvoir”.
Un homme de l’Arkansas, Aaron Swenson, 36 ans, a utilisé un pseudonyme pour “liker” plus d’une dizaine de pages Facebook appelant à une deuxième guerre de Sécession. Il s’est ensuite connecté sur Facebook Live, le 12 avril, pour annoncer qu’il allait tendre une embuscade à un policier et l’exécuter. Il a été arrêté à Texarkana (Texas).
Swenson, toujours en prison [et faisant l’objet d’une demande de libération sous caution pour un montant de 85 000 dollars], a été accusé d’avoir lancé des menaces terroristes, d’avoir tenté d’échapper à une arrestation et d’avoir détenu une arme illégalement. Il a l’intention de plaider non coupable, selon Rick Shumaker, l’avocat de la défense judiciaire de Bowie County (Texas). La date de son procès n’a pas encore été fixée.
Epidémiologiste amateur
Plus étrange, le coronavirus a incité au moins un suprémaciste blanc à jouer les épidémiologistes amateurs. Auparavant, Tom Kawczynski appelait à transformer la région de la Nouvelle-Angleterre [dans le nord-est du pays] en une monarchie dirigée par des Blancs.
Après l’apparition de la pandémie, il s’est érigé en spécialiste du virus, lançant le podcast “Coronavirus Central”, devenu l’un des plus populaires parmi ceux proposés sur la plateforme d’Apple.
Mais les anciennes idées de Kawczynski n’ont pas entièrement disparu. Au début du mois d’avril, tandis que les cas de Covid-19 se multipliaient à New York et dans les environs, il a fait valoir sur Twitter que la Nouvelle-Angleterre devrait œuvrer “de manière indépendante pour sa survie”.
Neil MacFarquhar
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