En chiffres, le secteur de la confection textile au Cambodge, c’est 580 usines, 40 % environ du produit intérieur brut (PIB), 75 % des exportations du pays ou 9,35 milliards de dollars, 750 000 emplois directs rapportés à une population de 16 millions d’habitants. Si le pays enregistre un nombre limité de personnes infectées par le nouveau coronavirus, l’onde de choc de la pandémie a déclenché un puissant séisme pour son économie.
Le Premier ministre, Hun Sen, a indiqué mardi 7 avril qu’une centaine d’usines avaient déjà mis la clé sous la porte,
rapporte le Phnom Penh Post. Mais, selon le Khmer Times, qui cite l’association des patrons de l’industrie de la confection, “ce sont environ 60 % des usines qui sont gravement affectées par les annulations d’ordres”.
La production de prêt-à-porter prend pour 28 % le chemin du marché américain et pour 46 % celui des boutiques européennes. “Si nous additionnons ces deux chiffres, nous atteignons 74 %, ce qui, rapporté aux 750 000 ouvriers employés par le secteur de la confection, revient à 500 000 d’entre eux affectés par les annulations,” avance Ken Loo, secrétaire général de la Gmac (Association des usines de confection du Cambodge).
Sans compter que, début février, l’Union européenne avait déjà annoncé suspendre l’accord Tout sauf les armes, privant ainsi le Cambodge d’un libre accès au marché européen. Bruxelles entendait “punir” Phnom Penh pour son triste bilan en matière de respect des droits humains.
Une indemnité mensuelle de 64 euros
Pour tous ces ouvriers qui, du jour au lendemain, vont se retrouver sans emploi, le filet de sécurité est mince. En février, rappelle le Phnom Penh Post, “le gouvernement avait décidé que les employeurs verseraient 40 % d’un salaire minimum à leur personnel, les pouvoirs publics prenant en charge 20 %”. En d’autres termes, sur la base de la rémunération minimum, fixée à 190 dollars, cela aurait correspondu à 114 dollars (105 euros).
Mais, mardi 7 avril, volte-face : le chef du gouvernement a décidé qu’une somme forfaitaire de 70 $ (64 €) serait versée à ces chômeurs, à raison de 40 $ versés par le gouvernement et 30 $ par les employeurs. “Ils pensaient recevoir plus de 100 $, mais les usines sont dans l’incapacité de payer une telle somme, et nous ne pouvons pas les forcer”, a déclaré Hun Sen, parlant d’un “acte humanitaire”, selon le Phnom Penh Post.
Retour à la terre
Un “acte humanitaire” qui durera combien de temps ? À aucun moment le Premier ministre ne l’a évoqué. Et, à ses yeux, plutôt que d’espérer des aides sociales ou une improbable réouverture rapide des usines, la main-d’œuvre désormais sur le carreau devrait songer à retourner dans les champs. “Ce n’est pas comme en Europe, où les ancêtres des ouvriers étaient déjà ouvriers, a-t-il commenté. Ici, les ouvriers n’ont toujours pas coupé les liens avec le monde paysan.” En d’autres termes : renoncez aux emplois industriels et retournez à la terre.
Sauf que le secteur de la confection n’a cessé d’attirer depuis une vingtaine d’années des centaines de milliers de jeunes venus des campagnes. Et a façonné de nouveaux modes de vie, loin du travail des rizières. Avec leur salaire, même modique, ou en recourant au crédit, les petites mains de la confection ont aussi bouleversé la donne dans les villages en envoyant régulièrement de l’argent à leur famille. Bref, l’idée d’un “retour à la terre” préconisée par le Premier ministre Hun Sen a peu de chances de séduire ces centaines de milliers de Cambodgiens qui ont pris goût aux lumières de la ville.
Courrier International
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