APPEL N°285 (24 JUIN - 30 AOUT 2005)
Lundi 11 avril 2005, il est 1h00 du matin, les ouvriers sont à leur poste dans l’usine Spectrum Ltd. (située à Savar, au nord-ouest de la capitale), lorsque l’immeuble s’écroule. Les travailleurs sont pris au piège, et les secours ralentis par le manque de moyens. Au final, 64personnes perdent la vie et environ 80 autres sont blessées, dont certaines resteront handicapées à vie. Par ailleurs, depuis l’effondrement, plusieurs centaines de salariés sont privés d’emploi et ne peuvent plus subvenir à leurs besoins.
Le bâtiment avait été érigé sur un terrain inondable et sur neuf étages alors que le permis de construire n’en prévoyait que quatre. Le manque de dialogue social est également en cause, car des employés avaient remarqué des fissures et tenté d’alerter sans succès leur encadrement avant la catastrophe.
Les précédents :
– décembre 2000, Choudury Knitwear : 53 morts (incendie)
– août 2001, Mico Sweater : 24 morts (bousculade suite au déclenchement d’une alarme)
– juin 2004, Misco Supermarket : 9 morts (incendie)
– janvier 2005, Shan Knitting : 23 morts (incendie).
Une tragédie qui a valeur de symbole
Cette tragédie est le triste symbole des violations quotidiennes des droits fondamentaux des travailleurs dans le secteur textile du Bangladesh.
La Fédération Nationale des Travailleurs de l’Habillement du Bangladesh (NGWF) rapporte que les salaires mensuels à Spectrum Ltd. étaient de 700 taka (10euros), donc inférieurs au minimum légal - déjà largement insuffisant - de 930taka, et qu’ils étaient versés avec un retard pouvant atteindre plusieurs mois. Les employés travaillaient 7 jours sur 7, en violation de la loi nationale qui prévoit un jour de congé par semaine, le vendredi. Enfin, le non-respect des règles de sécurité était probant : trois jours avant la catastrophe, un travailleur était mort des brûlures provoquées par l’eau d’une chaudière. Trois mois plus tôt, c’est une femme qui avait été gravement blessée des suites d’une électrocution.
Sur place, les syndicats, les victimes et les ex-salariés de Spectrum se mobilisent. Ils ont obtenu l’arrestation des dirigeants de l’entreprise. Mais beaucoup de demandes restent à satisfaire. Tout d’abord, l’indemnisation des familles des défunts doit être décente et conforme à la loi [1], les blessés doivent également être indemnisés et leurs soins pris en charge. Ensuite, les travailleurs privés d’emploi doivent percevoir leurs arriérés de salaires. Si leurs contrats devaient être rompus, l’employeur devrait au minimum respecter la procédure légale de licenciement, mais ils demandent surtout des mesures de reclassement [2]. Enfin, les autorités doivent assurer un suivi des dossiers des victimes.
Au-delà du cas de Spectrum, les organisations bangladeshi demandent qu’un programme national soit lancé immédiatement pour prévenir d’autres accidents et combattre les graves lacunes en matière d’hygiène et de sécurité constatées dans ce secteur. Plus généralement, seul le respect des droits de l’Homme et de la liberté syndicale permettra une réelle amélioration de la situation.
Carrefour doit tirer les leçons qui s’imposent
L’industrie locale de la confection est fortement dépendante des acheteurs européens. S’ils le désirent, ceux-ci peuvent changer la donne. Une campagne internationale est donc lancée, qui s’adresse à tous les clients de Spectrum car plusieurs marques européennes sont concernées [3]. Les consom’acteurs français ont un rôle important à jouer pour la relayer auprès de Carrefour, qui s’approvisionne massivement au Bangladesh (39 millions de pièces de vêtement en 2004).
Suite à l’accident et aux premières pressions de la société civile, Carrefour a fait une donation à une organisation locale et prévu d’inclure un contrôle des permis de construire dans ses démarches d’audit. C’est un premier pas, mais qui relève d’une démarche unilatérale, alors que les travailleurs demandent le dialogue social.
Carrefour doit par conséquent aller plus loin. Plutôt que d’agir isolément, l’entreprise est ainsi invitée à participer au fonds d’indemnisation des victimes créé et géré par les syndicats et associations.
Surtout, elle doit faire preuve d’une vision plus large de ses responsabilités sociales et aller au-delà des mesures actuelles en la matière, manifestement insuffisantes : le groupe Shahriyar Fabric Industry Ltd., propriétaire de l’usine Spectrum, avait obtenu en 2002 le score “Bon” lors d’un audit social...
Nous demandons donc à Carrefour de s’engager d’urgence, en lien avec d’autres acheteurs européens, sur un programme de prévention des risques, de sécurité et d’amélioration des conditions de travail dans l’industrie de la confection au Bangladesh, en associant cette fois les organisations syndicales.
Si Carrefour veut que ses engagements sociaux soient pris au sérieux, il doit en tenir compte dans ses pratiques d’achat (prix, délais... imposés aux fournisseurs), faire preuve de plus de transparence, et respecter la liberté syndicale partout où il fait travailler des hommes et des femmes.
POUR EN SAVOIR PLUS :
De l’Ethique sur l’étiquette !
Le collectif De l’éthique sur l’étiquette regroupe des ONG, syndicats et mouvements de consommateurs, qui agissent en faveur du respect des droits de l’Homme au travail dans le monde, notamment dans la filière textile.
De l’Ethique sur l’étiquette fait partie du réseau européen Clean Clothes Campaign (campagne pour des vêtements propres).
Organisations membres du Comité de Pilotage : Comité Catholique de lutte contre la Faim et pour le Développement (CCFD) Confédération Consommation, Logement et Cadre de Vie (CLCV) Confédération Française Démocrati-que du Travail (CFDT) Fédération Artisans du Monde Association Léo Lagrange pour la Défense des Consommateurs Peuples Solidaires
Autres membres : Asseco-CFDT ; CSF ; FAGE ; Fédération française des Clubs Unesco ; Fédération des services -CFDT ; FCPE ; FEP-CFDT ; FGMM-CFDT ; Frères des Hommes ; FSU ; Hacuitex-CFDT ; Institut Belleville ; Ingénieurs Sans Frontières ; Orcades ; Ritimo ; Sgen-CFDT ; Solidarité Laïque ; Solidarités Jeunesses ; Terre des Hommes-France ; UFCS.
Plus de détails sur les sites :
www.ethique-sur-etiquette.org
www.cleanclothes.org
www.vetementspropres.be
AGISSEZ MAINTENANT !
Par lettre : vous pouvez copier le modèle ci-dessous en l’adaptant à votre style ou le télécharger en cliquant sur la lettre jointe (format rtf - en bas de cette page). Envoyez votre courrier au destinataire (adresse indiquée dans la lettre), sans oublier d’inscrire vos coordonnées et de signer. Affranchissement : 0,53 €
Par E-mail : customers carrefour.com
Délai de réaction : dès réception, mais pour donner plus d’ampleur à la campagne, vous pouvez la diffuser jusqu’à fin août 2005.
MODELE DE LETTRE :
Date :
M. Luc VANDEVELDE
Président du Conseil de Surveillance
M. José Luis DURAN
Directeur Général
CARREFOUR
6 avenue Raymond Poincaré
BP 2123
75771 Paris Cedex 16
Messieurs,
Carrefour a fait fabriquer des pulls dans l’usine Spectrum qui s’est effondrée le 11 avril 2005 au Bangladesh, entraînant de lourdes pertes humaines. Depuis, les victimes et les syndicats se mobilisent pour faire valoir leurs droits.
Je pense que Carrefour doit assumer pleinement sa responsabilité sociale et prendre d’urgence des initiatives concrètes concernant :
– la participation aux fonds d’assistance et d’indemnisation gérés par des organisations locales sur la base d’un recensement complet et transparent des personnes concernées ;
– le paiement par votre fournisseur des salaires et indemnités de rupture dus aux travailleurs qui se retrouvent sans emploi, et le reclassement de ces travailleurs auprès de vos autres fournisseurs ;
– votre participation à un programme concret assurant la sécurité des travailleurs et le respect des mesures de prévention dans ce secteur industriel.
Ce drame démontre à mon sens l’insuffisance de votre système de contrôle actuel et la nécessité de revoir vos pratiques d’achat, de faire preuve d’une plus grande transparence et d’associer à vos démarches les organisations représentatives des travailleurs.
Je vous prie d’agréer, Messieurs, l’expression de mes sincères salutations.
[1] Les familles ont perçu au mieux 100 000 Tk (1250 euros) des entreprises et de la justice, alors que la loi prévoie une indemnisation d’un million de Tk en cas de décès. Des négociations sont en cours.
[2] Les propriétaires de l’usine de Spectrum possèdent deux autres sites de production et beaucoup de ses clients internationaux s’approvisionnent dans d’autres usines du pays.
[3] Les principaux autres acheteurs européens concernés par cette campagne sont : Cotton Group (Belgique), Zara-Inditex (Espagne), KarstadtQuelle (Allemagne), et Klaus Steilmann (Allemagne).