Le coronavirus a contaminé plus d’une centaine de personnes et provoqué la mort d’une dizaine de patients aux Etats-Unis. Des cas de contamination « spontanée » ont été recensés dans plusieurs Etats : les modalités de transmission du virus sont encore méconnues. Ces incertitudes ont conduit les autorités des Etats de Washington et de Rhode Island à déclarer l’état d’urgence.
Le Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) suit de près la situation, mais de premiers dysfonctionnements, imputés à sa gestion précipitée de l’épidémie, lui ont valu de nombreuses critiques de la part de l’administration Trump. Le test de dépistage initialement mis au point par le CDC s’est révélé inexploitable [1]. Seuls trois des cent CDC locaux ont pu l’utiliser à des fins de dépistage. Ces failles ont considérablement retardé la prise en charge de cas suspects ces deux dernières semaines. Elles sont d’autant plus préoccupantes que le CDC américain inspire largement les protocoles d’action de ses homologues étrangers.
En matière de santé publique, les Etats-Unis disposent pourtant d’un arsenal d’institutions, d’acteurs et d’instruments entièrement consacré à la protection de la santé des populations.
Présents dans tous les Etats, les CDC comptent près de 15 000 employés, mobilisables à tout moment. Des réseaux de surveillance des risques épidémiologiques assurent un maillage de l’ensemble du territoire. Les signaux suspects sont rapidement communiqués aux autorités fédérales. La force de frappe des CDC est telle que la gestion opérationnelle de la crise leur sera principalement dévolue.
En première ligne face au virus, les acteurs de santé publique et les professionnels de santé peuvent-ils, à eux seuls, assumer la gestion d’une crise inédite, dans un pays où les droits des patients et des travailleurs sont lacunaires ?
Peu d’arrêts maladie
Les congés maladie n’existent pas dans le droit fédéral américain. Les travailleurs du tertiaire et les individus occupant des emplois peu qualifiés ou précaires sont peu susceptibles de bénéficier de congés payés en cas de maladie. Seuls 63 % des personnes travaillant dans l’industrie des services disposent de congés maladie, contre 90 % pour des individus occupant des fonctions managériales, d’après le Bureau of Labor Statistics [2], l’agence statistique du département du travail.
Les consignes de confinement pourraient donc être peu suivies par celles et ceux dont l’absence (même de courte durée) n’est pas rémunérée et peut constituer un motif de renvoi immédiat. La généralisation des arrêts maladie payés (sick leaves) serait l’un des outils de lutte les plus efficaces contre le virus, d’après une étude récente relayée par le CDC [3].
D’autres études de santé publique ont montré que les personnes en situation irrégulière fréquentaient peu les services de santé, de peur d’y être dénoncées et arrêtées par les autorités fédérales. Depuis sa prise de fonction, le président Trump a entrepris de durcir la politique migratoire américaine. En janvier, la Cour Suprême des Etats-Unis a autorisé le gouvernement fédéral à refuser l’octroi de cartes de séjour et les demandes de naturalisation aux demandeurs dépendant des aides sociales ou susceptibles de devenir des « charges publiques » [4].
Dans ce contexte, ces derniers, de même que les détenteurs de carte verte et les citoyens récemment naturalisés, bien que présents légalement sur le territoire américain, peuvent limiter leur recours aux services de santé de peur de compromettre leur statut migratoire. Ces comportements d’évitement pourraient catalyser la propagation du virus sur l’ensemble du territoire.
Un virus politisé
Plusieurs événements récents indiquent que la gestion de la crise n’est en rien solidaire. Les Américains rapatriés de Wuhan (Chine), mis à l’isolement sur ordre du gouvernement fédéral, doivent assumer seuls le coût de leur hospitalisation. Il en va de même pour les individus qui se sont rendus spontanément à l’hôpital parce qu’ils présentaient des symptômes suspects.
Le gouvernement fédéral et leur assurance privée ont refusé de rembourser le coût de leur prise en charge médicale, qui s’élève parfois à 3 000 dollars (2 700 euros) [5]. Le non-remboursement des mesures de confinement en milieu médical imposées par les autorités, et les risques perçus ou réels que les travailleurs associent à l’absentéisme professionnel (perte d’emploi, non-rémunération), sont donc susceptibles d’en dissuader plus d’un de recourir au système de santé en cas de contagion.
Le coronavirus va mettre à l’épreuve les systèmes de soins, mais également les systèmes de protection sociale. Les Etats-Unis disposent d’institutions et d’une culture de santé publique solides, mais qui peuvent s’avérer insuffisantes face aux lacunes de son système de protection sociale. S’il est encore trop tôt pour évaluer la réponse, encore balbutiante, apportée à la crise du coronavirus, celle-ci pourrait conduire les Etats-Unis à revoir leur législation en matière de droit du travail et de droit de la santé.
Le coronavirus, encore peu invoqué par les candidats à l’investiture démocrate, ne manquera pas d’être politisé et conduira, peut-être, à une refonte des systèmes de santé, de protection sociale et du droit du travail américains. Mais à quel prix ? Difficile, pour l’heure, de le dire.
Sarah D. Rozenblum