Plomb à Notre-Dame : le ministère de la culture a enterré le plan de décontamination
À la suite de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 15 avril, le ministère de la culture a sollicité un bureau d’études spécialisé dans la dépollution qui préconisait un confinement de la cathédrale et la décontamination du plomb. Le projet a été enterré, au risque d’une grave crise sanitaire. Son auteur témoigne.
« N’importe quel chantier de Paris aurait été arrêté par les autorités si de telles conditions d’insécurité et de pollution au plomb avaient été constatées », déplore Jean* qui a accepté de témoigner auprès de Mediapart, sous le couvert de l’anonymat par crainte de représailles professionnelles.
Le 25 avril, dix jours après l’incendie de Notre-Dame, ce spécialiste de la prévention des risques et de la sécurité des chantiers est sollicité par le ministère de la culture, maître d’ouvrage, car il fait figure de référence dans le domaine : il a supervisé parmi les plus gros chantiers parisiens de ces dix dernières années.
Depuis le 17 avril, la cathédrale fait l’objet d’un arrêté de péril de la part de la préfecture de police. L’urgence impérieuse permet de recourir à un marché public, en se dispensant de publicité et de mise en concurrence préalable.
La cathédrale Notre-Dame de Paris le 7 mai 2019, trois semaines après l’incendie. © Document Mediapart
Avant d’entrer sur le site, Jean s’équipe d’un masque et d’une combinaison pour se protéger du plomb. « Ce sont près de 400 tonnes de plomb de la toiture qui se sont dispersées en poussières lors de l’incendie. C’est tout à fait naturel que je me protège, d’autant que je suis spécialisé sur les risques liés aux agents cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction comme l’est le plomb », précise-t-il.
Or, en arrivant sur les lieux, les représentants de l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers (Oppic) du ministère de la culture « m’ont demandé d’enlever ma combinaison et mon masque en me disant “vous allez faire peur à tout le monde” », raconte Jean, encore abasourdi.
Il découvre alors un chantier où « il était nécessaire d’intervenir très rapidement pour mettre en œuvre des protections collectives, pour protéger non seulement les ouvriers, qui ne portaient pas les équipements de protection individuels d’usage contre les risques d’intoxication au plomb, mais également les riverains puisque le chantier n’était absolument pas confiné ».
Intérieur de la cathédrale Notre-Dame de Paris, après l’incendie, 7 mai 2019. © Document Mediapart
La liste des constats dressée dans le rapport réalisé par le bureau d’études de Jean et que Mediapart a pu consulter est accablante :
« – Risque d’effondrement du bâti, pollution environnementale liée au plomb avérée.
– Présence de poussières de plomb en quantités importantes et épaisses sur différentes zones extérieures et intérieures. En sont recouverts : les éléments structurels et du bâti, les sols, le parvis, la voie publique, les trottoirs et des pollutions sont apparentes sur les bâtiments voisins.
– Les intervenants ne portent pas les EPIs [équipements de protection individuels] contre le risque plomb.
– Cantonnements qui ne répondent pas au code du travail, occupés par des travailleurs avec beaucoup de poussières aux sols, mobiliers.
– Présence de bidons avec des produits non étiquetés.
– Présence de déchets du BTP vraisemblablement contaminés. »
« Aucune installation ne remplissait les mesures de sécurité, résume Jean. Il était urgent de réaliser un périmètre de sécurité dans le chantier mais aussi au pourtour de l’avoisinant public pour limiter la pollution au plomb. »
La proposition du bureau d’études de Jean est donc de sécuriser l’édifice contre le risque d’effondrement, de chutes d’éléments, et d’installer ensuite des bâches et de confiner le chantier, afin de permettre aux ouvriers d’intervenir pour procéder à sa dépollution, zone par zone.
Modèle de confinement proposé au ministère de la culture par le bureau d’études de Jean, extrait du Livre blanc du Grand Paris. © Document Mediapart
« Tout cela nécessite du temps, bien sûr. Il faut faire un état des lieux exhaustif pour identifier les dommages avec des études de spécialistes pour les sols, notamment. Il faut vérifier les fondations, les structures et les solidités de l’ouvrage avant de définir les modes opératoires et les interventions de dépollution. Pour sécuriser et confiner, il faut compter deux à trois mois. Et ensuite, le déplombage par phases, de l’ensemble du chantier, aurait pu se terminer d’ici la fin de l’année. Ce sont des dispositifs qui se font régulièrement lorsqu’on décontamine des édifices. Ça a été le cas pour le bâtiment de la Monnaie de Paris », explique Jean.
Comme le mentionne le compte-rendu de son bureau d’études, « l’objectif est la protection des travailleurs comme des riverains pour lutter contre la dispersion des poussières dans le voisinage ».
« Nous avons naturellement proposé de prendre en compte les rues et les immeubles avoisinants, exposés aux pollutions au plomb. L’idée était temporairement de mettre sous confinement étanche et résistant, sous cloche le chantier, à la fois à l’extérieur et à l’intérieur », précise Jean.
Mais le ministère de la culture n’a pas retenu la proposition du bureau d’études.
« Peut-être était-elle trop ambitieuse, estime Jean. J’ai senti que le ministère cherchait davantage un spécialiste de la sécurité qui valide des plans sans être regardant sur la sécurité afin de ne pas ralentir le chantier et ne pas s’encombrer du problème du plomb. Mais il était hors de question pour moi de déroger aux règles de sécurité. »
Contactés par Mediapart, des contrôleurs chargés du chantier ont jugé ce projet non seulement faisable mais souhaitable et regrettent qu’il n’ait pas été choisi. « C’est ce qui a été fait pour le Théâtre de la Ville à Paris. Pour Notre-Dame, cela aurait permis d’éviter une pollution continuelle sur le chantier et à l’extérieur, précise l’un d’entre eux. Et cela aurait garanti de meilleures conditions de travail. Mais tout a été fait au mépris de la santé des ouvriers et des riverains. »
Ayant décidé de ne pas dépolluer l’intérieur de la cathédrale, le ministère de la culture a installé des sas de décontamination dans l’édifice qui, comme nous l’avions révélé (à lire ici), ont dysfonctionné durant plusieurs mois.
Le témoignage de Jean conforte les multiples relances que l’inspection du travail a dû faire concernant les manquements aux règles de sécurité.
Dès le 6 mai, l’inspection du travail a alerté la Direction régionale des affaires culturelles, la Drac, en charge des travaux sur le chantier, sur la nécessité de prévoir des mesures de protection contre les risques d’intoxication au plomb pour les salariés. Constat renouvelé les 14 et 22 mai et le 19 juin. En vain. Ce n’est que trois mois plus tard, après nos premières révélations du 3 juillet [voir article ci-dessous.] et une énième alerte de l’inspection que, le 23 juillet, le préfet de Région Michel Cadot ordonne la fermeture du chantier.
Interrogé sur le sujet, l’architecte et lauréat du Grand Prix de l’urbanisme 2019, Patrick Bouchain, qui défend une approche sociale de la construction, regrette que ce chantier ait perdu tout sens de l’humain pour des impératifs politiques et financiers. « Demander que la restauration soit terminée dans 5 ans, pour les Jeux olympiques, c’est idiot et cela met des pressions énormes qui rendent plus complexe le travail des différents intervenants sur le site », explique-t-il.
Le 7 mai, Patrick Bouchain a été consulté, pour son expertise, par le « représentant spécial » de l’Élysée, le général Jean-Louis Georgelin, chargé de veiller à l’avancement des travaux. « Je ne me suis pas privé de lui dire le fond de ma pensée, assure l’architecte. Lors de cette réunion, il a fallu reprendre les fondamentaux et expliquer ce qu’était une maîtrise d’ouvrage. Le général ne pensait pas que c’était d’une ampleur aussi grande. On peut être spécialiste des armées mais la rénovation d’une cathédrale, c’est autre chose. »
« Lorsqu’on apprend qu’une dépollution du site était possible et que ça a été refusé par le ministère, c’est un déni inacceptable du risque que représente le plomb », estime Annie Thébaud-Mony, spécialiste des questions de santé publique et directrice de recherche honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
« Je suis extrêmement surprise que le ministère de la culture n’ait pas donné suite à ce plan de dépollution qui comporte deux avantages majeurs, poursuit-elle. Le premier est de limiter la pollution dans l’environnement de la cathédrale, en protégeant ainsi les riverains et les ouvriers et le deuxième est de garantir une meilleure organisation du travail sur le chantier, préservant la santé des salariés. »
Depuis l’incendie, Annie Thébaud-Mony met son expertise au service des riverains et des personnes travaillant autour de Notre-Dame et a contribué à créer un collectif de syndicats et d’associations. Ce 30 septembre, « nous organisons une réunion publique. Parmi nos principales revendications, précise Annie Thébaud-Mony, il y a le confinement du chantier dans sa globalité, comme le prévoit le code du travail. Nous exigeons du ministère et de l’agence régionale de santé de la transparence et que les informations soient rendues publiques ».
Contacté par Mediapart, le ministère de la culture n’a pas donné suite à nos demandes, refusant ainsi d’expliquer pourquoi il a enterré ce plan de dépollution du chantier.
Pascale Pascariello
• MEDIAPART. 30 SEPTEMBRE 2019 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/300919/plomb-notre-dame-le-ministere-de-la-culture-enterre-le-plan-de-decontamination
Plomb à Notre-Dame de Paris : l’Agence de santé rappelée à l’ordre
L’Agence régionale de santé a attendu plus de deux mois avant de rendre publiques les données sur la pollution au plomb à Notre-Dame de Paris, enfreignant la loi qui l’oblige à communiquer sans délai toute information relative à l’environnement. Fait exceptionnel : le président de la Commission d’accès aux documents administratifs a rappelé à l’ordre l’ARS, qui dément toute « stratégie de dissimulation ».
Alors que depuis le 6 mai, l’Agence régionale de santé (ARS) avait connaissance des résultats des taux de concentration en plomb sur le chantier de Notre-Dame et ses alentours, elle a étonnamment attendu le 18 juillet pour les publier, exposant de la sorte, et pendant plus de deux mois, riverains et ouvriers.
En refusant d’informer et en minimisant l’étendue de la pollution, l’ARS, qui se se défend de toute « stratégie de dissimulation », n’a pas déclenché de politique de prévention des risques cohérente et suffisante. Le dépistage des enfants a été officiellement lancé dans un communiqué de presse le 4 juin. Après l’incendie, aucune école n’a été frappée d’une mesure de fermeture, et c’est seulement à la fin de l’été qu’elles ont été nettoyées. Quant au chantier, il n’a été interrompu qu’après trois mois d’alertes répétées de l’Inspection du travail, largement enterrées par l’ARS et le ministère de la culture.
Interpellé par ce manque de transparence, le président de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a, démarche exceptionnelle, rappelé au président de l’ARS qu’il devait respecter la loi et rendre publics et sans délai les résultats des taux de concentration en plomb. Courrier daté du 16 juillet, que Mediapart publie ici.
[Courrier du Président de la Commission d’accès aux documents administratifs adressé au président de l’Agence régionale de santé Ile-de-France, 16 juillet 2019. © CADA - No reproduit ici.]
À la suite de l’incendie de Notre-Dame, Mediapart avait, dès le 4 juillet (à lire ici), révélé qu’une forte pollution au plomb dans et aux alentours de l’édifice avait été relevée. Le plomb, substance classée cancérigène, mutagène et reprotoxique (CMR), peut provoquer de graves lésions, notamment des problèmes de stérilité ou des lésions neurologiques irréversibles. Comme nous l’explique un chercheur de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), 50 μg/l (microgrammes de plomb par litre de sang) représentent un seuil d’intervention mais « des concentrations bien plus faibles peuvent être délétères chez les enfants. L’effet le plus préoccupant d’une intoxication au plomb est la diminution des performances cognitives et sensorimotrices. Une plombémie de 12μg/l est associée à la perte d’un point de QI ».
Aujourd’hui, selon le dernier communiqué de l’ARS du 6 août [1] (et dont une mise à jour doit être faite dans la semaine du 9 septembre), sur les 175 enfants dépistés après l’incendie, 2 ont un taux de plomb supérieur à 50 μg/l, seuil d’intervention déclenchant une déclaration de saturnisme, et 16 ont un taux supérieur au seuil de vigilance de 25μg/l.
Nous avions publié la carte des résultats des taux de concentration en plomb [voir ci-dessous]. Réalisé à partir d’une synthèse des résultats d’analyses datée du 3 mai et transmis lors d’une réunion du 6 mai, ce document du laboratoire de la préfecture de police était également détenu par l’ARS et la mairie, qui se sont bien gardés, alors, de le rendre public. Les prélèvements faisaient apparaître des taux de concentration en plomb alarmants. Sur le parvis, ils étaient 500 fois au-dessus du seuil réglementaire et, à l’extérieur de la zone du chantier, dans certaines rues ou squares, ils pouvaient être 800 fois supérieurs au seuil.
Il a fallu attendre plus de deux mois pour que l’ARS organise, le 18 juillet, une conférence de presse et rende, enfin, ces résultats publics.
En dissimulant des données primordiales pour la santé et l’environnement, l’ARS a enfreint les règles les plus élémentaires de sa mission, qui consiste à améliorer la santé et à prévenir les crises sanitaires.
Comme nous le rapportions (à lire ici), lors d’une réunion organisée le 6 mai dans ses locaux en présence des différents acteurs du dossier, dont la préfecture de police et la mairie de Paris, les représentants de l’ARS ont annoncé ne pas vouloir rendre publics les résultats des prélèvements. Sans le moindre scrupule, ils ont déclaré ne pas répondre aux sollicitations des associations de défense de l’environnement, qui n’auraient qu’à se tourner vers la CADA. Cette autorité indépendante peut être saisie par des personnes (physiques ou morales) pour avoir accès à des documents dont l’accès a été refusé par l’administration concernée, à juste titre ou pas.
« Renvoyer vers la CADA, c’est jouer la montre. C’est sidérant pour une institution censée protéger la population des dangers liés à des pollutions environnementales », déplorait alors une personne présente à cette réunion.
Contactée par Mediapart, l’ARS, qui n’avait pas démenti ces propos rapportés par plusieurs témoins, avait néanmoins refusé de les commenter.
Et les faits se sont avérés. Dès le 2 mai, l’Association des familles victimes du saturnisme (AFVS) demande par courrier à l’ARS « une information officielle et complète sur les risques encourus et les résultats des analyses des sols, de l’air et de l’eau ». Sa présidente, Mathé Toullier, s’inquiète par ailleurs de « l’insuffisance » des conseils donnés aux riverains, en particulier concernant le nettoyage des lieux pollués, qui doivent aller « au-delà d’un passage de lingette », et demande à ce qu’un « pôle d’information soit mis en place » afin d’orienter et de prendre en charge les personnes susceptibles d’être intoxiquées.
L’AFVS ne recevra aucune réponse de l’ARS.
Le 4 juillet, c’est au tour de l’association de défense de l’environnement Robin des bois d’envoyer par recommandé à l’agence sanitaire la lettre suivante : « Merci de nous communiquer d’une part les teneurs en plomb des prélèvements réalisés par le Laboratoire central de la préfecture de police de Paris dans l’air (par m3), sur les sols (par m2) et dans les sols (par kg) dans l’île de la Cité, sur la voirie, dans les jardins publics entre le 16 avril et le 4 juillet 2019 et de nous communiquer d’autre part les teneurs en plomb des prélèvements analogues éventuellement réalisés dans les Ier, IVe, Ve et VIe arrondissements de Paris entre les mêmes dates. »
Si l’association a bien reçu l’avis de réception, elle n’a en revanche obtenu aucune réponse de l’ARS concernant les résultats des prélèvements.
À la suite de notre article, le 4 juillet, Raymond Avrillier[1], écologiste et ancien maire adjoint de Grenoble, a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs, lui faisant part de « la rétention volontaire et grave d’informations relatives à la sécurité sanitaire » pratiquée par l’ARS qui, de la sorte, « fait perdre du temps au regard de l’action de sécurité sanitaire ».
Cette posture de l’ARS, pour le moins aberrante, n’a pas manqué d’irriter le président de la CADA, Marc Dandelot. Dans un premier temps et en réponse à Raymond Avrillier, il déplore que l’ARS tende ainsi à « instrumentaliser la commission en vue de retarder artificiellement la communication de documents administratifs et d’informations environnementales […] immédiatement communicables. C’est difficilement acceptable ». Et Marc Dandelot va le faire savoir directement à l’ARS.
L’ARS est accusée de « manœuvre dilatoire » et d’« attitude contraire à la volonté du législateur »
Démarche inaccoutumée, dans un courrier du 16 juillet adressé à Aurélien Rousseau, président de l’ARS d’Île-de-France, le président de la Commission d’accès aux documents administratifs qualifie de « manœuvre dilatoire » ce refus de communication de l’ARS et dénonce une « attitude [qui] est clairement contraire à la volonté du législateur en matière d’ouverture des données publiques ».
En lui précisant qu’en application du code de l’environnement [2] et du code des relations entre le public et l’administration [3], l’agence sanitaire est tenue de « rendre publiques les données recueillies par les autorités publiques […] ayant ou susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement », Marc Dandelot offre une leçon de droit et de transparence au président de l’ARS.
Enfin et pour que le message soit bien compris, il tient à préciser que « les résultats des prélèvements réalisés par le laboratoire central de la préfecture de police sur le site de Notre-Dame entrent dans ces prescriptions et qu’il […] appartient [à l’ARS] de les communiquer et de les rendre publics et ce sans attendre une éventuelle saisine de la CADA ».
Deux jours après ce courrier, l’agence rend finalement publics les résultats.
Pour Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement, ce courrier du président de la CADA est absolument inhabituel. « Ce qui est frappant, c’est qu’un conseiller d’État, qui a la culture de la discrétion, s’adresse dans ces termes à l’ARS en lui disant : “Vous saviez que ces documents étaient communicables mais vous avez décidé de m’instrumentaliser.” C’est une accusation violente et rare mais vraie et appréciable », commente-t-il.
« D’autant que, selon la CADA, l’ARS a, dans ce cas, non seulement fait de la rétention de documents importants pour la santé et l’environnement, mais elle a tenté d’instrumentaliser le gendarme des informations administratives, la CADA, en se servant de lui pour faire cette rétention », conclut Arnaud Gossement.
Contactée par Mediapart, l’ARS a expliqué que les résultats étaient fluctuants et qu’il avait été nécessaire d’attendre juillet pour avoir une vue d’ensemble. « Les premières mesures recueillies n’étaient pas communicables en l’état, car trop partielles, trop hétérogènes, pour guider efficacement l’action des pouvoirs publics », indique l’agence, samedi 7 septembre [voir l’intégralité de sa réponse dans l’onglet Prolonger de cet article].
« Les données stabilisées publiées dans le dossier documentaire du 18 juillet [4] ne sont pas celles dont nous disposions déjà le 6 mai [...] Le fait de ne pas publier des données non stabilisées, et de ne les communiquer qu’au moment où les mesures de gestion ont été validées par les experts, sous forme d’un avis sanitaire, est une décision assumée par les pouvoirs publics. Elle ne relève en aucun cas d’une stratégie de dissimulation, mais bien de la volonté d’apporter une réponse adaptée sur la base d’un diagnostic vérifié », indique-t-elle encore.
Or, les résultats des prélèvements qui sont donnés le 18 juillet sont, en réalité, les mêmes que ceux transmis le 6 mai. Ce que l’ARS appelle des données « stabilisées » correspond dans les faits à un élargissement de la zone de prélèvements. Quoi qu’il en soit, selon le Code l’environnement, ces données (« stabilisées » ou non) doivent être communiquées sans délai à qui les réclame.
Concernant les remarques faites par le président de la CADA, l’agence indique : « L’ARS a toujours assuré la transparence des résultats de santé publique, notamment en faisant des points réguliers sur les résultats des plombémies réalisées et en publiant, sur son site internet et par voie de presse, tous les cas supérieurs au seuil de déclaration obligatoire, qu’ils soient ou non en lien avec l’incendie de Notre-Dame, dès qu’elle en avait connaissance ».
L’ARS se targue d’avoir communiqué très tôt. Elle l’a fait mais a minima. Elle se contente, le 27 avril, conjointement avec les préfectures de police et de région, de prodiguer des conseils d’hygiène aux riverains, les invitant à « procéder au ménage de leur habitation ou local et de leurs meubles et objets, à l’aide de lingettes humides pour éliminer tout empoussièrement ».
Plus grave, elle assure, toujours avec la préfecture, qu’en « présence de retombées de plomb » dans les environs, les zones concernées « sont d’ores et déjà interdites au public et que leur accès ne sera réouvert que lorsque ces teneurs en plomb seront redevenues normales ». Pourtant, plusieurs lieux pollués, comme la fontaine Saint-Michel, sont restés accessibles au public. Leur dépollution sera annoncée plus d’un mois après, le 4 juin.
Les communiqués se suivent ainsi et se contredisent souvent. Le 9 mai [5], l’ARS explique qu’en dehors des zones à « proximité immédiate » de la cathédrale, aucun des prélèvements réalisés sur l’île de la Cité ne révèle la présence de taux supérieurs aux valeurs repères. La carte du laboratoire de la préfecture de police témoigne du contraire.
Le refus de l’ARS d’apporter une information complète sur l’état de la pollution, minimisant souvent les risques tout en annonçant les prendre en considération, n’a fait que retarder des mesures pourtant simples et surtout essentielles, comme la dépollution des établissements scolaires. On le constate encore aujourd’hui : le 5 septembre, cinq écoles privées ont réouvert leurs portes, ayant dû être dépolluées tardivement, tandis qu’un autre établissement est resté fermé. Une désorganisation à la hauteur du déni de l’ARS.
Pascale Pascariello
[1] Militant pour la transparence, Raymond Avrillier a notamment à son actif la révélation du scandale de la privatisation de la régie municipale de l’eau de Grenoble par Alain Carignon en 1989 et celle de l’affaire des sondages de l’Élysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
Nous avons sollicité également la préfecture de police de Paris afin de connaître précisément les nettoyages entrepris concernant les zones polluées et afin de comprendre pourquoi la préfecture n’a pas également transmis les résultats dès le mois de mai. La préfecture nous a renvoyés vers l’ARS.
Au moment de la publication, nous n’avons pas plus d’informations de la part de l’ARS. L’agence n’a pas précisé si une réponse a été faite au président de la CADA et n’a pas donné plus d’explications concernant l’absence de transmission des résultats des prélèvements.
* * *
ACTUALISATION.- Cet article a été actualisé, samedi 7 septembre, à 20h30, après réception d’une réponse écrite de l’ARS, disponible en intégralité sous l’onglet Prolonger :
https://www.mediapart.fr/journal/france/070919/plomb-notre-dame-de-paris-l-agence-de-sante-rappelee-l-ordre/prolonger
Pascale Pascariello
• MEDIAPART. 7 SEPTEMBRE 2019 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/300919/plomb-notre-dame-le-ministere-de-la-culture-enterre-le-plan-de-decontamination
Notre-Dame : en réponse à l’ARS
L’Agence régionale de santé (ARS) a diffusé, le 6 août, un communiqué en réaction à un article de Mediapart sur des taux de plomb chez les enfants supérieurs au seuil de vigilance. Dans ce communiqué, l’agence (que nous avions sollicitée) avance des arguments inexacts.
L’Agence régionale de santé (ARS) a diffusé, le 6 août, un communiqué [6] en réaction à un article publié la veille par Mediapart sur les plombémies effectuées sur des enfants habitant près de la cathédrale Notre-Dame de Paris [voir ci-dessous]. Nous y relations les résultats communiqués par l’ARS lors d’une conférence de presse donnée le 18 juillet dernier.
Avant de publier cet article, nous avions évidemment soumis un certain nombre de questions à l’ARS. Ses réponses, transmises le 5 août avant publication, figurent d’ailleurs dans l’article du même jour.
Pourtant, dans son communiqué, l’ARS accuse Mediapart d’avoir donné des informations « partielles », voire mensongères.
Ces allégations justifient une mise au point de notre part.
• Selon l’ARS, nous aurions omis « sciemment des éléments portés à [notre] connaissance, comme le dispositif de suivi spécifique par le centre antipoison », mis en place pour les enfants dont les résultats de plombémie étaient supérieurs au seuil de vigilance, qui est de 25 µg/l (microgramme de plomb par litre de sang).
Pourtant, nous avions précisé dans l’article : « L’ARS affirme que “les enfants diagnostiqués entre 25 et 50 µg/l de sang font l’objet d’une analyse individuelle par des médecins spécialistes du Centre antipoison et de toxicovigilance.” »
• Dans son communiqué, l’ARS soutient que nous aurions présenté « comme des révélations des données qui ont fait l’objet d’une communication dédiée de l’agence le 18 juillet dernier. L’ARS avait en effet à cette date présenté l’intégralité des résultats dont elle disposait ».
Loin d’avoir voulu cacher cette information, nous l’avons au contraire revendiquée d’emblée. Dès le chapeau, nous avions pris soin d’écrire : « Sur 82 enfants contrôlés après l’incendie de Notre-Dame, dix ont des taux de plomb dans le sang supérieurs au seuil de vigilance, selon les chiffres communiqués en juillet par l’agence régionale de santé. »
La première phrase de l’article commençait ainsi : « L’information figurait dans le dossier de presse publié par l’agence régionale de santé (ARS) le 18 juillet. Mais elle n’a pas retenu l’attention jusqu’à présent. Sur les 82 enfants dépistés après l’incendie de Notre-Dame de Paris le 15 avril, dix présentent des taux de plomb dans le sang supérieurs au seuil de vigilance. »
L’ARS, que nous avions interrogée, n’avait pas pris la peine de nous indiquer des résultats actualisés. Nous avons donc mentionné les chiffres donnés le 18 juillet, qui concernaient les enfants dépistés avant le 30 juin. Or, dès le lendemain de notre publication, le 6 août, l’agence régionale de santé réactualisait ces données, signalant une augmentation du nombre d’enfants touchés. Ce ne sont plus dix mais seize enfants qui présentent des taux de plomb dans le sang supérieurs au seuil de vigilance (à lire ici).
• Se défendant d’avoir sous-estimé la situation, l’ARS précise : « En ce qui concerne la famille dont la situation est évoquée par Mediapart, des échanges directs et des recommandations lui ont été adressées par l’ARS et le centre antipoison pour l’accompagner dans la gestion de la situation. »
« La famille » : Jeanne et Mathieu, couple qui a témoigné auprès de Mediapart, a un enfant de 18 mois dont le taux de plomb dans le sang est de 48,8 μg/l (à la limite du saturnisme, fixé à 50 μg/l, et bien au-dessus du seuil de vigilance de 25μg/l).
Contrairement à ce que soutient l’ARS, notre article mentionne bien les échanges qui ont eu lieu entre l’agence et ce couple.
Voici les propos de Mathieu dans notre article : « “L’agence n’a eu de cesse de tenter de minimiser les faits, sans répondre vraiment à nos questions”, précise Mathieu, encore atterré par la situation. Avec son épouse, il regrette que ni la mairie, ni l’ARS, ni la préfecture n’aient pris la peine d’alerter immédiatement les riverains. “On a alors commencé un long combat pour connaître la vérité. C’est kafkaïen, déplore Mathieu. L’ARS ou la mairie, soit ne nous répondent pas soit nous disent que tout va bien, et refusent de nous communiquer les résultats des prélèvements faits autour de la cathédrale [finalement publiés le 18 juillet – ndlr].” »
• Enfin, l’ARS, se sentant peut-être mise en cause, affirme que « contrairement à ce qui est avancé par Mediapart, ce n’est pas par “erreur ou fraude” que le laboratoire mandaté fait référence au seuil de 1000 microgrammes par m2 mais parce qu’il s’agit du seuil prévu par le code de la santé publique ».
Une fois de plus, l’ARS travestit la réalité. Selon les règles, le seuil d’intervention de 1000 μg/m2 de plomb vaut pour les logements venant de faire l’objet de travaux. Pour tous les autres, la référence retenue est de 70 μg/m2 . C’est ce taux qui s’applique pour l’appartement de Jeanne et Mathieu.
Le 24 mai, le laboratoire agréé Eurofins, auquel ils ont fait appel, relève des taux bien au-dessus du seuil d’intervention de 70 μg/m2, dans leur cuisine et sur leur balcon. En revanche, le laboratoire Expertam mandaté par l’Agence régionale de santé retrouve des taux également supérieurs mais prend comme seuil d’intervention 1000 μg/m2. Or, ce n’est pas la bonne référence, sauf à changer les règles en cours de route.
Ce seuil de 70 μg/m2 est confirmé par l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), comme nous l’expliquions déjà dans un article publié le 18 juillet (à lire ici). Selon une instruction de 2016 de la Direction générale de la santé, visant à lutter contre le saturnisme infantile, si des poussières sont retrouvées dans les logements ou établissements scolaires, « au-dessus du seuil de 70 μg/m2, cela signifie qu’il y a un risque d’intoxication au plomb pour les enfants exposés ». Une concentration de 25 μg/m2 de plomb nécessite une vigilance et lorsque le seuil de 70 μg/m2 est atteint, les lieux doivent être immédiatement nettoyés en profondeur, voire, en fonction de la nature des surfaces, décontaminés.
Dans notre article, nous relevions déjà les différences d’interprétation entre les deux laboratoires, et nous avions interpellé l’ARS à ce sujet :
« Le 24 mai, ils font venir un laboratoire agréé, Eurofins, pour mesurer les concentrations en plomb de leur appartement. Les résultats sont sans appel : des taux bien au-dessus du seuil d’intervention sont retrouvés dans leur cuisine et sur leur balcon. […] Chez Jeanne et Mathieu, les taux de concentration en plomb sont près de sept fois supérieurs dans la cuisine, atteignant 521,5 μg/m2, tandis que sur le balcon ils s’élèvent à 689 μg/m2 et à 70 μg/m2 dans la chambre de leur enfant. […] L’agence régionale de santé mandate finalement le laboratoire Expertam pour refaire des mesures dans le logement du couple, le 25 mai. Les résultats sont également au-dessus du seuil d’intervention de 70 μg/m2, notamment dans le séjour (307 μg/m2). Mais le laboratoire conclut à l’absence de risque parce qu’il fixe, par erreur ou par fraude, le seuil d’intervention non plus à 70, mais à 1000 μg/m2. Contactée par Mediapart, l’ARS assure que lorsque le seuil d’intervention de 70 μg/l était atteint dans les logements, elle préconisait aux familles des nettoyages importants. Mais elle s’est refusée à tout commentaire sur les conclusions erronées du laboratoire qu’elle avait mandaté. »
Pascale Pascariello
• MEDIAPART. 14 AOÛT 2019 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/140819/notre-dame-en-reponse-l-ars
Notre-Dame de Paris : les alertes enterrées par le ministère de la culture
Malgré plusieurs rapports d’inspection alertant, depuis mai, sur les défaillances des installations de décontamination au plomb et les risques encourus par les salariés sur le chantier et aux alentours, le ministère de la culture n’a pas jugé bon d’intervenir. Contre son avis, le préfet de région Michel Cadot a imposé, le 25 juillet, la suspension du chantier, qui devrait reprendre vers le 16 août.
La mairie de Paris a, pendant plus de deux mois, laissé élèves et personnel scolaire exposés à des pollutions au plomb, avant de décider tardivement de nettoyer les écoles concernées. Le ministère de la culture, chargé du chantier de la cathédrale Notre-Dame, a fait de même en laissant pendant trois mois les salariés exposés au plomb.
Mediapart a pu consulter de nombreux rapports d’inspection et de contrôle, dont la plupart alertent ainsi le ministère de la culture :
Extrait du rapport de l’inspection du travail sur le chantier de Notre-Dame de Paris, 15 mai 2019.
Depuis le 9 mai, au moins neuf alertes (rapports et courriels) ont été adressées au ministère de la culture. L’inspection du travail et les contrôleurs de la caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France (Cramif), qui s’occupe également de la sécurité du chantier, n’ont eu de cesse de demander au ministère de mettre fin à cette situation dangereuse qui non seulement expose les salariés à des risques d’intoxication mais génère en plus de la pollution aux alentours.
Malgré ces demandes répétées, le général Jean-Louis Georgelin, missionné par l’Élysée pour suivre l’avancement des travaux, et le ministère de la culture, qui en a la charge, sont restés sourds aux alertes. Il aura fallu que le sujet devienne public (relire notre enquête du 4 juillet ici) pour que cesse cette inertie.
Face aux dangers, le 25 juillet, trois semaines après nos révélations, Michel Cadot, préfet de région, a finalement pris la décision d’interrompre le chantier pour contraindre la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) à remettre aux normes les installations afin de « protéger tous les corps de métiers intervenant sur le chantier de Notre-Dame de Paris et continuer de garantir que ces travaux ne génèrent pas de pollution à l’extérieur de celui-ci ».
Cette décision du préfet met ainsi fin à la prévalence d’intérêts économiques et politiques sur la santé publique. Le chantier de Notre-Dame a une portée éminemment politique depuis que le président a décidé d’en prendre la main, nommant comme émissaire le général Jean-Louis Georgelin et faisant voter une loi d’exception, adoptée par les députés le 17 juillet.
Cette loi prévoit notamment la création d’un établissement public, qui sera probablement présidé par le général Georgelin et dont la mission sera de coordonner les travaux, en respectant le délai très court des cinq ans, imposé, comme un fait du prince, par le président. Par ailleurs, ce texte autorise le gouvernement à prendre par ordonnance des mesures dérogatoires aux règles de voirie, d’environnement et d’urbanisme. Sans attendre l’adoption du texte de loi, le ministère de la culture a adopté l’état d’esprit de ces dispositions qui s’écartent totalement du droit commun.
À la suite du rapport de l’inspection du travail du 22 juillet, qui conclut, concernant le plomb, que « les installations de décontamination sont sous-dimensionnées et que les règles sont insuffisamment respectées sur le chantier », le préfet Michel Cadot a décidé, le 25 juillet, de suspendre les travaux. Il intervient contre la position du ministère de la culture, davantage préoccupé de finir en cinq ans la cathédrale, très chère au président Emmanuel Macron.
Rapport du 22 juillet 2019 de l’inspection du travail sur le chantier Notre-Dame de Paris.
Dans leur compte-rendu, les inspecteurs du travail relèvent notamment que « les travailleurs ne prennent pas de douche d’hygiène », laquelle permet une décontamination, que « l’espace réservé à la douche est particulièrement exigu », qu’« [u]n sac comprenant des déchets pollués est suspendu dans l’espace douche », que des personnes peuvent « rentrer et sortir sans appareil de protection respiratoire et sans passage par un sas de décontamination ».
Les agents de sécurité n’ont pas de formation portant sur le risque plomb et, plus grave, ils nettoient leurs vêtements de travail pollués à leur domicile, et, « par conséquent, ils exportent la pollution au plomb à leur domicile et peuvent exposer leur famille ».
Durant près de trois mois, le ministère de la culture s’est ainsi permis d’enfreindre le code du travail et de mettre en danger les salariés, malgré les rapports de l’inspection du travail dont nous publions des extraits. Tous sont accablants par leur constat et par leur répétition.
Le ministère de la culture, maître d’ouvrage sur le chantier, relève du droit public et, de fait, l’inspection du travail ne peut ni le verbaliser ni le mettre en demeure. Seules les entreprises de droit privé peuvent l’être. Les inspecteurs menacent donc le ministère d’interrompre le chantier en faisant cesser l’activité des entreprises qui y interviennent.
Contactée par Mediapart, la direction régionale du travail, qui ne communique pas « sur les dossiers en cours », a néanmoins accepté de préciser ses compétences et pouvoirs.
Le ministère de la culture comme les maîtres d’ouvrage publics « sont assujettis aux mêmes obligations que les maîtres d’ouvrage privés en matière de prévention de la santé et de la sécurité des travailleurs sur les chantiers ». Ils font donc l’objet de contrôle et d’observations auxquels ils doivent répondre.
En revanche, « l’inspection du travail n’est pas compétente pour dresser des procès-verbaux à l’encontre de l’État ainsi qu’aux établissements publics administratifs ». Ce qui permet au ministère de la culture de passer outre.
Le 9 mai, les inspecteurs alertent, une première fois, le ministère de la culture sur la nécessité de prévoir des mesures de protection contre les risques d’intoxication au plomb pour les salariés.
D’autant que les résultats des prélèvements effectués sur le chantier signalent des taux de concentration en plomb parfois jusqu’à 788 fois supérieurs au seuil réglementaire.
Extrait du rapport du 15 mai de l’inspection du travail concernant les taux de concentration en plomb sur le chantier Notre-Dame de Paris.
Le 15 mai, à la suite d’un nouveau contrôle du site, ils adressent un deuxième rapport au ministère. Leur constat est consternant : « La douche de l’unité de décontamination ne fonctionne pas » ; « les trois unités de décontamination, installées sur le parvis, au milieu de la zone polluée, ne permettent pas une décontamination effective des salariés » ; « les salariés peuvent sortir de la zone sans être décontaminés ».
Extrait du rapport du 15 mai 2019 de l’inspection du travail sur le chantier de Notre-Dame de Paris.
Ils concluent que « les travailleurs occupés aux travaux d’urgence sont exposés à un agent chimique dangereux, cancérigène, mutagène, toxique pour la reproduction, en l’espèce des poussières contenant du plomb », et exigent du ministère de « mettre en œuvre, sans attendre, des mesures pour protéger les salariés des risques d’intoxication au plomb ».
« Cette situation dangereuse pour les travailleurs » constitue une infraction au code du travail relatif au risque d’exposition des salariés à des agents chimiques classés cancérogènes, mutagènes ou toxique pour la reproduction (CMR).
« Les salariés sont toujours exposés à des risques d’intoxication par le plomb »
Cela fait déjà « quatre semaines » que la situation dure, déplorent-ils. Ils ignorent qu’elle va encore durer jusqu’au 25 juillet, date d’interruption du chantier.
Pourtant, leurs visites et leurs comptes-rendus écrits, ne cessent de se multiplier, le 19, le 22 mai, puis les 4, 7, 12, 19 et 27 juin, avec toujours les mêmes conclusions. « Les installations dédiées à la décontamination des salariés [ne sont pas] conformes à la réglementation. »
Le 4 juin, dans un nouveau courrier adressé à la Direction régionale des affaires culturelles, l’inspection du travail constate que des salariés ne sont pas « dotés de masques respiratoires visant à les protéger des risques d’inhalation de poussières de plomb ». Plus grave : certains n’ont « pas été informés qu’ils interviennent sur un sol pollué par les poussières de plomb ».
Rapport du 4 juin de l’inspection du travail sur le chantier de Notre-Dame de Paris.
Là encore, il est demandé au ministère de la culture « à nouveau, de mettre en œuvre, sans attendre, des mesures pour protéger les salariés des risques d’intoxication par le plomb ».
Le 19 juin, le constat des ingénieurs de sécurité de la caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France (la Cramif), également chargée de contrôler le chantier, est consternant. Certains salariés n’ont toujours pas reçu de formation sur le risque plomb. D’autres ne portent aucune protection alors qu’ils évacuent des gravats contaminés, entreposés à l’extérieur, comme tous les autres déchets. L’alimentation en eau des douches de sas de décontamination ne fonctionne pas.
Dans leur rapport, les contrôleurs de la Cramif déplorent avoir « à de nombreuses reprises » alerté sur la nécessité de décontaminer les engins circulant sur le chantier, ainsi que les gravats entreposés à l’extérieur de la cathédrale. Mais « aucune procédure n’a été mise en place jusqu’à présent ».
« Les taux de concentration en plomb dans les poussières sont élevés et largement au-dessus du seuil réglementaire. Les salariés sont donc toujours exposés à des risques d’intoxication par le plomb […]. [L]es installations dédiées à la décontamination des salariés ne répondent pas aux dispositions du code du travail. »
Et s’adressant au ministère de la culture, les contrôleurs pointent « une coordination et un pilotage défaillants dont [il a] la responsabilité en tant que maître d’ouvrage ».
Cette conduite aussi déficiente et dangereuse du chantier expose non seulement les salariés mais également le public. Des « expositions publiques peuvent être d’origine professionnelle ». En effet, les personnes intervenant sur le chantier peuvent transporter par leurs vêtements et chaussures des poussières dans des lieux publics et à leur domicile, poussières qui risquent d’« intoxiquer gravement des enfants. »
Les manquements du ministère de la culture ont donc non seulement de graves conséquences pour les ouvriers sur le chantier mais peuvent également « exposer le public à des risques d’intoxication ».
Par conséquent, ils demandent « à nouveau, de prendre d’urgence, des mesures de prévention pérennes et efficaces », rappelant au ministère qu’en cas « d’intoxication d’un salarié ou d’une personne extérieure au chantier, le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre devront justifier des choix retenus pour traiter les risques connus sur ce type de chantier dont [il ne pouvait] ignorer la gravité ». Cette mise en danger de la vie d’autrui est passible de poursuites pénales.
Malgré une réunion entre le ministère de la culture et la direction du travail le 27 juin, rien ne change.
Contacté par Mediapart, le ministère de la culture a apporté deux réponses contradictoires. Dans un premier temps, il affirme avoir « mis en place dans les semaines suivant l’incendie […] des dispositifs de protection des personnes travaillant sur le chantier », notamment un sas de décontamination et des équipements obligatoires de protection.
Contredit par les différents rapports de l’inspection du travail, le ministère tente une deuxième réponse, tout aussi mensongère : « Les installations de décontamination n’étaient pas défectueuses. Il s’agissait d’installations transitoires utiles dans le temps qui précède l’installation définitive. Ce sujet avait été vu en amont et sur place en lien avec l’inspection du travail, qui avait conscience des délais nécessaires pour l’installation définitive. »
Aucun rapport ne mentionne des installations « transitoires ». Tous signalent que « les installations dédiées à la décontamination des salariés [ne sont pas] conformes à la réglementation ».
La préfecture, qui devait nous répondre sur l’intervention du préfet de région Michel Cadot contre la position du ministère de la culture, n’a finalement pas souhaité apporter de commentaire. Tout comme l’Élysée.
Pascale Pascariello
• MEDIAPART. 12 AOÛT 2019 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/040719/notre-dame-de-paris-apres-l-incendie-un-scandale-sanitaire?onglet=full
Notre-Dame : d’autres enfants présentent des taux de plomb supérieurs au seuil de vigilance
L’agence régionale de santé a communiqué, mardi 6 août, de nouveaux résultats signalant une augmentation du nombre d’enfants touchés, après l’incendie de la cathédrale. Seize présentent des taux de plomb supérieurs au seuil de vigilance et un nouveau cas de saturnisme a été déclaré.
Ce ne sont plus dix, mais seize enfants qui présentent des taux de plomb dans le sang supérieurs au seuil de vigilance. Au lendemain de la publication de notre article, l’agence régionale de santé (ARS) a communiqué, le 6 août, les résultats de nouveaux dépistages.
Un autre cas de saturnisme a été enregistré parmi les 175 dépistages réalisés depuis l’incendie de la cathédrale. Cet enfant fréquentait une école où des taux de plomb supérieurs au seuil d’intervention avaient été relevés. Cet établissement scolaire a depuis été fermé par la mairie de Paris.
Aucune campagne de dépistage obligatoire n’a été lancée à ce jour par l’ARS, qui conclut néanmoins que « ces résultats globaux confirment, d’une part, la nécessité de poursuivre les actions de nettoyage pour limiter tout risque d’exposition aux poussières de plomb des enfants et, d’autre part, l’importance d’amplifier les opérations de prélèvements et de dépistages ».
Nous republions l’article que nous avions consacré à ce sujet.
* * *
Sur 82 enfants contrôlés après l’incendie de Notre-Dame, dix ont des taux de plomb dans le sang supérieurs au seuil de vigilance, selon les chiffres communiqués en juillet par l’agence régionale de santé. Certains frôlent même le seuil déclenchant une déclaration de saturnisme. Les familles touchées sont laissées sans réponse.
L’information figurait dans le dossier de presse publié par l’agence régionale de santé (ARS) le 18 juillet. Mais elle n’a pas retenu l’attention jusqu’à présent. Sur les 82 enfants dépistés après l’incendie de Notre-Dame de Paris le 15 avril, dix présentent des taux de plomb dans le sang supérieurs au seuil de vigilance. Au-delà de ce seuil, la prise en charge des enfants doit « respecter les modalités de suivi fixées par le Haut Conseil de la santé publique [HCSP] », précise le rapport de l’ARS.
Aucun suivi médical n’a pourtant été mis en place par l’agence. C’est ce que demandaient notamment ce lundi 5 août, réunis sur le parvis de la cathédrale pour une conférence de presse, des membres de l’Association des familles victimes du saturnisme (AFVS) et des représentants syndicaux CGT du bâtiment, du nettoyage et de la préfecture de police de Paris, aux côtés de la scientifique spécialiste des questions de santé publique Annie Thébaud-Mony.
Durant l’incendie, près de 400 tonnes de plomb se sont répandues en poussière dans les environs.
Mediapart a pu recueillir le témoignage d’un couple dont l’enfant de 18 mois présente un taux de 48,8 μg/l (microgramme de plomb par litre de sang), à la limite du saturnisme, fixé à 50 μg/l, et bien au-dessus du seuil de vigilance de 25μg/l.
Contacté par Mediapart, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) explique que 50 μg/l représente un seuil d’intervention. « Des concentrations bien plus faibles peuvent être délétères chez les enfants. L’effet le plus préoccupant d’une intoxication au plomb est la diminution des performances cognitives et sensorimotrices. Une plombémie de 12μg/L est associée à la perte d’un point de QI », assure un professeur de l’Inserm. L’intoxication au plomb peut provoquer des lésions neurologiques irréversibles et d’autres troubles de la santé (atteintes digestives, cardiovasculaires, cancéreuses, troubles de la reproduction).
Depuis le 3 mai, l’agence régionale de santé, la préfecture de police de Paris, le ministère de la culture et la mairie de Paris ont connaissance des résultats des prélèvements de plomb dans et autour de la cathédrale Notre-Dame. Elles ont attendu plus de deux mois, le 18 juillet, pour les communiquer.
Malgré les déclarations de l’agence sanitaire comme de la mairie, qui se voulaient rassurantes, le préfet de région Michel Cadot a annoncé le 25 juillet la suspension du chantier jusqu’au 12 août, pour remettre aux normes les installations défectueuses censées protéger les ouvriers exposés au plomb.
Le même jour, la mairie de Paris ordonnait la fermeture de deux écoles qui reçoivent environ 180 enfants, dans le cadre des centres de loisirs pour les vacances d’été. La mairie assurait pourtant auparavant que les résultats des prélèvements dans les établissements scolaires ne justifiaient « aucune alerte ».
Malgré ces dangers, l’ARS n’a pas cru bon de lancer une campagne officielle de dépistage auprès des riverains les plus exposés et des salariés pour vérifier leur taux de plombémie.
Certes, elle a communiqué ; mais sans jamais, notamment, rendre obligatoire un dépistage pour les enfants. Les termes sont éloquents, il s’agit d’une « incitation au dépistage » préconisée par l’agence. Il faut attendre le 7 juin, lorsqu’un taux élevé de plomb est détecté dans le sang d’un enfant, pour qu’elle « invite » les familles à consulter leur médecin traitant ou à prendre rendez-vous au centre de diagnostic de l’Hôtel-Dieu.
Document produit par le Laboratoire central de la préfecture de police de Paris (LCPP) à la suite des résultats des prélèvements, datés du 3 mai 2019.
Document produit par le Laboratoire central de la préfecture de police de Paris (LCPP) à la suite des résultats des prélèvements, datés du 3 mai 2019.
Lors de sa conférence de presse du 18 juillet, l’ARS ne mentionne qu’un cas de saturnisme, chez un enfant de deux ans. Mais enterre rapidement le sujet, en signalant que l’origine provient non pas de l’incendie mais de la peinture au plomb retrouvée sur le balcon de la famille.
Le suivi des familles par l’agence sanitaire est, à l’image de sa communication, quasi anémique. L’histoire de Jeanne et Mathieu (les prénoms ont été modifiés, lire la Boîte noire), parents d’un enfant de 18 mois, que Mediapart a pu recueillir, l’atteste.
« L’agence n’a eu de cesse de tenter de minimiser les faits, sans répondre vraiment à nos questions », précise Mathieu, encore atterré par la situation. Ce couple de trentenaires habite depuis deux ans à côté de la cathédrale. Lors de leur emménagement, le diagnostic réglementaire le précise, aucune trace de plomb n’a été détectée dans leur logement qui a par ailleurs été refait à neuf.
Le soir de l’incendie, ils préfèrent quitter les lieux, leurs fenêtres donnant directement sur l’édifice. « Je rentrais du square avec mon fils, se souvient Jeanne, lorsque l’incendie venait de se déclarer. Je suis rentrée chez moi. Et nous sommes partis quelques heures, ayant peur d’être atteints par l’incendie. D’ailleurs, certains logements ont été évacués par les policiers. »
Ils reviennent trois jours plus tard, le 18 avril, en prenant soin de nettoyer leur logement du fait des éventuels dépôts de suie dus à l’incendie. Ils y demeurent alors six jours, entre le 18 avril et le 2 mai, « allant parfois dormir chez un ami ou chez [leurs] parents ».
« Vous ne pouvez pas mettre un mouchoir sur les victimes »
Ils sont alertés des dangers potentiels du plomb, non pas par les autorités mais par les associations qui commencent, à partir du 19 avril, à soulever la question. « L’un de nos amis ingénieurs nous a appelés pour nous mettre en garde sur les dangers que pouvaient représenter les 400 tonnes de plomb de la toiture de la cathédrale parties en fumée », explique Mathieu.
Avec son épouse, il regrette que ni la mairie, ni l’ARS, ni la préfecture n’aient pris la peine d’alerter immédiatement les riverains. Dans un communiqué diffusé le 27 avril, la préfecture a simplement conseillé aux riverains de procéder au « ménage de leur habitation […] à l’aide de lingettes humides pour éliminer tout empoussièrement ».
La scientifique Annie Thébaud-Mony lors de la conférence de presse donnée sur le parvis de Notre-Dame, le 5 août 2019.
« On a alors commencé un long combat pour connaître la vérité. C’est kafkaïen, déplore Mathieu. L’ARS ou la mairie, soit ne nous répondent pas soit nous disent que tout va bien, et refusent de nous communiquer les résultats des prélèvements faits autour de la cathédrale [finalement publiés le 18 juillet – ndlr]. »
Dès le 2 mai, lors d’un conseil de quartier, le couple interroge le maire du IVe arrondissement sur les risques d’exposition au plomb depuis l’incendie. Le maire rappelle qu’il faut nettoyer les logements et qu’il demandera à l’ARS d’aider les riverains… « Chacun se renvoie la balle », estime Mathieu, qui regrette qu’aucune réponse concrète ne lui ait été donnée. Contacté par Mediapart, le maire n’avait pas donné suite, lundi 5 août au soir, à nos demandes.
Face à cette absence de soutien, le couple décide de faire dépister le jour même son enfant. « Nous n’avions aucune information venant de la mairie ou de l’ARS sur des dépistages ou des mesures à faire. L’ARS dit avoir communiqué, mais c’est resté confidentiel. Seul notre ami ingénieur et les associations soulevaient clairement le problème », précise Mathieu.
Les résultats de plombémie du fils de Jeanne et Mathieu tombent le 8 mai. « Ça a été un choc terrible d’apprendre que notre enfant avait un taux de plomb de 48,8 μg/l, si proche du saturnisme et qui nécessite à ce stade une surveillance accrue », explique Mathieu, encore accablé par cette nouvelle. Le chantier n’ayant pas été confiné – il continue de générer des poussières de plomb –, le couple décide alors, début mai, de déménager temporairement afin de préserver leur fils.
« Nous avons accusé le coup. Dans un premier temps et dans l’urgence, nous avons dû nous organiser pour protéger notre enfant et quitter notre logement. Nous en avons parlé avec le maire de l’arrondissement mais vu son inaction, nous avons commencé à adresser des courriers à l’ARS et à la préfecture », explique Jeanne.
Tweet de la CGT concernant le chantier de Notre-Dame.
Le 20 mai, ils interpellent l’ARS, la préfecture et la mairie. Pas de réponse.
Le 24 mai, ils font venir un laboratoire agréé, Eurofins, pour mesurer les concentrations en plomb de leur appartement. Les résultats sont sans appel : des taux bien au-dessus du seuil d’intervention sont retrouvés dans leur cuisine et sur leur balcon.
Selon une instruction de 2016 de la Direction générale de la santé [7], visant à lutter contre le saturnisme infantile, si des poussières sont retrouvées dans les logements ou établissements scolaires « au-dessus du seuil de 70 μg/m2, cela signifie qu’il y a un risque d’intoxication au plomb pour les enfants exposés ».
Chez Jeanne et Mathieu, les taux de concentration en plomb sont près de sept fois supérieurs dans la cuisine, atteignant 521,5 μg/m2, tandis que sur le balcon ils s’élèvent à 689 μg/m2 et à 70 μg/m2 dans la chambre de leur enfant. « Nous avons de nouveau envoyé des courriels, les 24 et 27 mai, à l’agence régionale de santé pour demander quels étaient les niveaux de plomb relevés dans les environs et notamment dans les squares ainsi que les mesures prises », explique Jeanne.
Dans leur courriel, que Mediapart a lu, Jeanne et Mathieu alertent ainsi les autorités : « Laisser penser aux habitants que les particules restent cantonnées derrière les barrières non hermétiques du chantier est criminel. Il y a déjà des petites victimes, vous ne pouvez de fait pas mettre un mouchoir dessus. » L’ARS leur répond finalement le 28 mai par une formule concise et polie : « Nous accusons réception de votre courriel. »
Mais le parcours « kafkaïen » du couple ne s’arrête pas là. L’agence régionale de santé mandate finalement le laboratoire Expertam pour refaire des mesures dans le logement du couple, le 25 mai. Les résultats sont également au-dessus du seuil d’intervention de 70 μg/m2, notamment dans le séjour (307 μg/m2). Mais le laboratoire conclut à l’absence de risque parce qu’il fixe, par erreur ou par fraude, le seuil d’intervention non plus à 70, mais à 1 000 μg/m2.
N’étant pas retourné à leur domicile ni dans le quartier depuis le 2 mai, le dernier dépistage de leur enfant, fait début août, relève un taux de plomb dans le sang de 36 μg/l.
« C’est sur la bonne voie. Cette situation est compliquée financièrement pour nous parce que nous avons un crédit à payer pour notre appartement. Mais la santé de notre enfant est prioritaire et nous avons déjà de la chance de pouvoir l’éloigner », précise Mathieu.
Contactée par Mediapart, l’ARS assure que lorsque le seuil d’intervention de 70 μg/m2 était atteint dans les logements, elle préconisait aux familles des nettoyages importants. Mais elle s’est refusée à tout commentaire sur les conclusions erronées du laboratoire qu’elle avait mandaté.
Quant aux dépistages, l’ARS affirme que « les enfants diagnostiqués entre 25 et 50 µg/l de sang font l’objet d’une analyse individuelle par des médecins spécialistes du Centre antipoison et de toxicovigilance », mais n’apporte aucune réponse concernant une campagne officielle de dépistage qu’elle n’a toujours pas estimé nécessaire de lancer.
Pascale Pascariello
L’Inserm a mis en ligne un dossier consacré au saturnisme [8]. Jeanne et Mathieu, interrogés dans cet article, ont accepté de témoigner sous couvert d’anonymat, craignant d’être pris pour cibles par les autorités ou des commerçants du quartier.
A la suite de la publication de notre article, le maire du 4e arrondissement de Paris a tenu à préciser qu’il avait demandé, lors d’une réunion publique, le 13 mai, que des plombémies soient faites.
• MEDIAPART. 5 et 7 AOÛT 2019 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/070819/notre-dame-d-autres-enfants-presentent-des-taux-de-plomb-superieurs-au-seuil-de-vigilance
Plomb autour de Notre-Dame : le chantier suspendu, deux écoles fermées
Le préfet de Paris Michel Cadot vient d’ordonner la suspension du chantier de reconstruction de Notre-Dame afin que les ouvriers soient enfin protégés de l’exposition aux taux très élevés de plomb relevés à l’intérieur et aux alentours de l’édifice. Deux écoles accueillant un centre de loisirs ferment aussi leurs portes. Ces décisions font suite aux révélations de Mediapart sur l’inaction des autorités face au risque sanitaire.
Trois semaines après les révélations de Mediapart sur le scandale sanitaire consécutif à l’incendie de Notre-Dame, le préfet de Paris Michel Cadot a annoncé, ce jeudi 25 juillet, la suspension du chantier de reconstruction de l’édifice, que le président Emmanuel Macron souhaite rebâtir en « cinq ans » [9].
Cette suspension à effet immédiat vise à mettre en conformité « l’ensemble des règles de sécurité du chantier afin de protéger le personnel qui œuvre à restaurer la cathédrale ». Elle se prolongera jusqu’à « l’installation pérenne de mesures de décontamination au plomb pour les salariés », précise la préfecture. Michel Cadot espère que les travaux pourront reprendre en fin de semaine prochaine.
Le 4 juillet, Mediapart avait informé que des taux de plomb 400 à 700 fois supérieurs au seuil autorisé avaient été relevés à l’intérieur et aux alentours de Notre-Dame, par plusieurs laboratoires dont celui de la préfecture de police de Paris, après l’incendie de la cathédrale. Des niveaux tout à fait exceptionnels, selon plusieurs spécialistes, qui n’avaient pourtant pas alarmé les autorités en charge du chantier.
Ni l’agence régionale de santé (ARS) ni la préfecture de police de Paris n’avaient, depuis l’incendie du 15 avril 2019, communiqué les résultats des études aux riverains, minimisant même les dangers encourus. Et ce alors même qu’une trop forte exposition au plomb peut entraîner des troubles digestifs, des lésions du système nerveux ou encore des problèmes de stérilité.
De plus, les contrôles de sécurité effectués sur le chantier par l’inspection du travail ont révélé que des ouvriers sur place n’avaient reçu aucune formation à cet effet. À plusieurs reprises, l’inspection a relevé le non-respect des procédures réglementaires mais aussi de graves dysfonctionnements des sas de décontamination, dispositifs indispensables pour protéger les salariés du risque d’intoxication et éviter toute propagation de poussières à l’extérieur.
La mairie de Paris n’a pas non plus, dans un premier temps, souhaité effectuer de nettoyage en profondeur de plusieurs écoles proches de l’édifice, malgré des taux de concentration au plomb, parfois dix fois supérieurs au seuil d’alerte. Elle a même passé sous silence cette situation, ainsi que nous l’avons révélé le 18 juillet. Quelques heures plus tard, le sous-directeur à la santé de la mairie de Paris Arnaud Gauthier a annoncé qu’un « nettoyage à haute pression des cours de récréation » serait effectué d’ici le 26 juillet.
Ce jeudi 25 juillet, la municipalité a informé dans un communiqué de presse que deux établissements situés à proximité de la cathédrale ont été fermés « par mesure de précaution ». Les deux écoles accueillent des enfants dans le cadre d’un centre de loisirs.
Retrouvez ci-dessous notre enquête publiée le 18 juillet 2019 sur les concentrations de plomb dans les écoles aux abords de Notre-Dame.
Pascale Pascariello
• MEDIAPART. 25 JUILLET 2019 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/070819/notre-dame-d-autres-enfants-presentent-des-taux-de-plomb-superieurs-au-seuil-de-vigilance
Plomb autour de Notre-Dame : la mairie de Paris forcée à réagir
Suite à notre article révélant des taux de concentration au plomb parfois dix fois supérieurs au seuil d’alerte dans des écoles proches de Notre-Dame, la mairie de Paris a annoncé jeudi 18 juillet qu’un « nettoyage approfondi » sera effectué durant l’été. La préfecture de police a également confirmé que des taux élevés de concentration au plomb avaient été relevés dans les rues et les squares autour de l’édifice.
À la suite à notre enquête publiée jeudi 18 juillet au matin, révélant des taux de concentration au plomb supérieurs au seuil réglementaire dans dix établissements autour de Notre-Dame, le sous-directeur à la santé de la mairie de Paris Arnaud Gauthier a annoncé ce jeudi 18 juillet qu’un « nettoyage à haute pression des cours de récréation » sera effectué d’ici le 26 juillet.
Tout en expliquant que des « nettoyages de routine » étaient suffisants, il a tenu à préciser que des « nettoyages approfondis » dans les écoles à la fin du mois d’août seront également réalisés ainsi que de nouveaux prélèvements. Mais aucun suivi médical des enfants n’est prévu.
Coorganisée par l’agence régionale de santé, la mairie, la préfecture et la direction régionale des affaires culturelles, cette conférence de presse vient tardivement répondre aux nombreuses questions sanitaires soulevées depuis l’incendie de Notre-Dame le 15 avril. La préfecture de police a confirmé avoir relevé des taux élevés de concentration au plomb dans les rues et squares autour de Notre-Dame, mais aussi, plus loin, sur la place Saint-Michel.
Étonnamment, alors qu’il est d’usage de se référer pour l’environnement extérieur, à un seuil de 1 000 μg/m2 (au-delà duquel des mesures doivent être prises), l’agence régionale de santé a annoncé se référer désormais à 5 000 μg/m2 pour la ville de Paris prétextant que les taux de concentration au plomb sont plus élevés dans la capitale. Une hausse qui permet de faire passer la pollution au plomb causée par l’incendie sans y remédier.
* * *
Le 15 avril, la cathédrale de Paris brûlait et près de 400 tonnes de plomb présent dans l’édifice se répandaient en poussière dans les environs. Depuis, l’agence régionale de santé (ARS), la préfecture et la mairie ont effectué plusieurs mesures de concentration en plomb. Alors que ces taux sont supérieurs au seuil réglementaire, les autorités ne les communiquent pas, mettant en danger les riverains et les ouvriers du chantier.
Après les dissimulations de l’ARS et de la préfecture (à lire ici), c’est la mairie de Paris qui a sciemment menti sur les taux de concentration au plomb relevés dans les crèches, les maternelles et les écoles, exposant ainsi les enfants et le personnel au risque de saturnisme. L’instruction de la Direction générale de la santé (DGS) relative au dispositif de lutte contre le saturnisme infantile et de réduction des expositions au plomb n’a en effet pas été respectée.
Spécialiste des questions de santé publique et directrice de recherche honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Annie Thébaud-Mony juge ce mensonge « criminel ».
C’est seulement le 13 mai, soit près d’un mois après l’incendie de Notre-Dame que la mairie de Paris réalise une série de prélèvements dans les établissements scolaires (trois crèches, deux maternelles, trois écoles élémentaires, un collège et une école privée) situés à moins de 500 mètres de la cathédrale. Les poussières de plomb sont particulièrement dangereuses pour les enfants qui peuvent, en cas d’ingestion, être atteints de saturnisme. Cette intoxication peut provoquer des lésions neurologiques irréversibles et d’autres troubles de santé (atteintes digestives, cardiovasculaires, cancéreuses, troubles de la reproduction).
Les résultats des prélèvements dans ces établissements scolaires sont accablants. Sur dix sites, neuf ont des taux de concentration au plomb nécessitant une intervention rapide de décontamination. Selon une instruction de 2016 de la DGS [10], visant à lutter contre le saturnisme infantile, si des poussières sont retrouvées « au-dessus du seuil de 70 μg/m2, cela signifie qu’il y a un risque d’intoxication au plomb pour les enfants exposés ».
Une concentration de 25 μg/m2 de plomb nécessite une vigilance et lorsque le seuil de 70 μg/m2 est atteint, les lieux doivent être immédiatement nettoyés en profondeur, voire, en fonction de la nature des surfaces, décontaminés.
Taux de concentration en plomb relevé dans une école élémentaire à moins de 500 mètres de Notre-Dame. Rapport du 29 mai, SPSE (Service parisien de santé environnementale), mairie de Paris. Le seuil d’alerte nécessitant une intervention est de 70 μg/m2. Là, le taux de concentration en plomb est de 698 μg/m2.
Or, sur 196 prélèvements, 31 montrent des taux égaux, voire supérieurs au seuil d’intervention (70 μg/m2), parfois près de dix fois supérieurs. Les poussières de plomb recouvrent certains sols de classes, de cours ou de réfectoires où les enfants peuvent l’ingérer en mettant leur main dans la bouche.
Taux de concentration au plomb relevé dans une crèche à moins de 500 mètres de Notre-Dame. Rapport du 15 mai, SPSE (Service parisien de santé environnementale), mairie de Paris. Le taux d’alerte nécessitant une intervention immédiate est de 70 μg/m2. Il atteint dans cette biberonnerie 95 μg/m2.
Dans l’école privée Sainte-Catherine (maternelle et élémentaire), le taux de concentration au plomb atteint 698 μg/m2, soit près de dix fois le seuil d’alerte de 70 μg/m2. Dans la crèche collective de la rue Lobau, sur le sol du jardin de jeux, « devant une petite maison en plastique », le taux est de 130 μg/m2, soit près de deux fois le seuil d’alerte. « Les enfants sont à quatre pattes pour s’amuser dans cette maison, et ils ont dû ingurgiter des poussières de plomb dispersées devant. C’est catastrophique d’avoir laissé une telle situation perdurer, précise une institutrice travaillant dans l’arrondissement. Sans être alarmiste, il est évident qu’il faut lancer des analyses de sang pour l’ensemble des enfants. Ne serait-ce que par prévention. »
Dans la maternelle de la rue Sommerard, six classes sont contaminées, affichant des taux de concentration au plomb de 85 à 130 μg/m2. On retrouve également des poussières de plomb dans deux dortoirs et la bibliothèque. Dans une autre maternelle, sur le sol en linoléum de la salle découverte, le taux s’élève à 113 μg/m2, bien au-dessus du seuil des 70 μg/m2, déclenchant une mise à l’écart des enfants et une dépollution des lieux.
Dans l’école élémentaire de la rue Saint-Jacques, les agents chargés des prélèvements précisent que dans des soupiraux situés à environ 20 cm du niveau du trottoir et débouchant au niveau des fenêtres des réfectoires du sous-sol, quotidiennement ouvertes, les taux sont de 4 773 μg/m2. D’ailleurs la concentration de plomb relevée dans le réfectoire est de 78 μg/m2, dépassant le seuil d’intervention rapide.
Le 15 mai, un mois donc après la contamination causée par l’incendie, les premiers résultats connus ne déclenchent pas, étonnamment, de fermeture d’établissement ni de communication de la part de la mairie sur les mesures d’hygiène à adopter. La préfecture de police de Paris décide pourtant de fermer temporairement sa crèche, ayant relevé des taux de concentration de plomb de 40 μg/m2 dans la biberonnerie et dans une classe. Elle procède à un nettoyage approfondi. La mairie, quant à elle, laisse ouverte la crèche de la rue Lobau où le taux de concentration en plomb dans la biberonnerie s’élève à 95 μg/m2.
Aucune intervention spécifique de nettoyage n’est déclenchée. Pire, les résultats ont été remis aux chefs d’établissement en leur signalant qu’il n’y avait aucun problème. Sur les dix chefs d’établissement, nous avons pu avoir des précisions de deux d’entre eux.
Le premier qui a accepté de nous répondre, sous le couvert de l’anonymat, assure n’avoir rien fait de particulier que le nettoyage prévu habituellement. « La mairie nous a dit que les prélèvements n’avaient pas montré de concentration en plomb anormale. D’ailleurs elle a communiqué dans ce sens », assure-t-il.
Les chefs d’établissement ont effectivement reçu, le 20 mai, un courriel des affaires scolaires et de la petite enfance de la ville de Paris, leur expliquant : « Vous avez été destinataires du rapport du service parisien de santé environnementale de la DASES [Direction de l’action sociale, de l’enfance et de la santé – ndlr] suite aux poussières de plomb produites au cours de l’incendie de Notre-Dame. Les rapports signalent une absence de pollution au plomb dans chacun de vos établissements. Vous pouvez donc rassurer les parents en cas de question sur le sujet. »
En colère, le même directeur explique avoir fait confiance à la mairie. « Je ne suis pas un expert du plomb. Je n’ai pas pu avoir une lecture plus précise du rapport des prélèvements. Et aujourd’hui, j’apprends que la mairie a laissé des enfants, le corps enseignant et les agents exposés au plomb. »
« Comment ont-ils pu à ce point nous mentir ? »
Un autre chef d’établissement précise pour sa part que la mairie lui a demandé de nettoyer la cour de récréation régulièrement au jet d’eau. En revanche, il n’y a pas eu d’instruction particulière pour l’un des réfectoires, affichant un taux de concentration au plomb supérieur au taux d’alerte.
Rapport de prélèvements sur les taux de concentration au plomb dans les écoles à moins de 500 mètres de Notre-Dame, 16 mai 2019. © Service parisien de santé environnementale, Mairie de Paris.
Contactée, une enseignante d’une des écoles élémentaires reste perplexe à l’annonce des résultats que nous lui communiquons. « C’est terrible. Comment ont-ils pu à ce point nous mentir », déplore-t-elle. Pourtant, « avec des parents d’élèves, nous avons demandé des précisions lors d’un conseil d’école, mais nous sommes restés sans réponse ». « C’était le flou, poursuit l’institutrice. Nous étions même étonnés que l’école ne soit pas fermée au lendemain de l’incendie. »
Un mois après le feu, lorsque des agents du service de santé environnementale de la ville procèdent aux prélèvements, n’étant pas avertis de leur venue, les enseignants s’interrogent de nouveau. « Lorsque nous avons demandé les résultats, le chef d’établissement nous a dit que la mairie lui avait expliqué qu’il n’y avait pas de plomb. D’ailleurs, aucun nettoyage particulier n’a eu lieu au sein de l’établissement », déplore l’institutrice, attestant n’avoir reçu aucune consigne particulière ni pour les enseignants ni pour les élèves.
Pourtant, dès lors que les taux de concentration de plomb atteignent les 70 μg/m2, les enfants doivent être écartés du lieu pollué afin de procéder à son nettoyage, qui doit être fait avec des pièces humides et jetables.
Or la mairie n’a pas procédé ainsi, se contentant de poster sur son site le message suivant : « Toutes les concentrations surfaciques en plomb dans les prélèvements de poussières réalisés sur des surfaces accessibles aux enfants et/ou aux personnels sont très inférieures à 1 000 μg/m2. »
Première étrange erreur de la part de la mairie : le seuil de 1 000 μg/m2 concerne les bâtiments où des travaux ont été exécutés et où une vérification en fin de chantier s’impose pour s’assurer que le risque d’exposition au plomb a bien été éliminé.
En aucun cas ce seuil ne peut s’appliquer aux dix établissements scolaires, puisque aucun d’eux n’a fait l’objet de travaux récemment. Donc seul fait référence le seuil de 70 μg/m2, qui concerne la contamination des lieux de vie et qui nécessite une intervention immédiate de nettoyage en profondeur.
Mais là encore, la mairie bidouille les chiffres et déclare, toujours sur son site, que « la moyenne arithmétique des niveaux constatés dans des pièces accueillants les enfants est inférieure à 70 μg/m2 ». En faisant une moyenne « arithmétique », la mairie dissimule les taux d’exposition au plomb les plus élevés, dérogeant aux règles de prévention sanitaire.
Contacté par Mediapart, Bruno Courtois, expert en prévention du risque chimique et chargé du dossier « plomb » à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), explique que « c’est une question de bon sens. Faire une moyenne pour des concentrations surfaciques ou atmosphériques, c’est communiquer une information très, même trop partielle, puisqu’elle ne permet pas de tenir compte des fluctuations des concentrations en plomb d’un endroit à un autre. Et surtout, cela ne permet pas de mesurer le risque puisque ne sont pas communiqués les taux de concentration en plomb les plus élevés ».
Au cours de notre enquête, certains parents ont émis l’hypothèse que cette pollution puisse venir des peintures dégradées et porteuses de plomb. Or cette hypothèse est écartée par les ingénieurs chargés des prélèvements. Dans leur rapport, ils ont pris soin de préciser pour chaque établissement si des peintures dégradées au plomb existaient.
Sur dix, seuls deux établissements ont des peintures dégradées contenant du plomb. Et les taux de concentration au plomb supérieurs au seuil autorisé relevés dans ces écoles le sont également dans des espaces dépourvus de peintures polluées. C’est donc bien l’incendie de Notre-Dame qui a provoqué cette pollution.
Interrogée par Mediapart, la mairie de Paris a, dans un premier temps, assuré que les taux de concentration au plomb étaient bien en deçà des seuils d’alerte et donc qu’aucune intervention n’avait été jugée nécessaire dans les établissements. À l’appui de la transparence dont elle se targue, la mairie nous a elle-même adressé les rapports.
Une fois lectures et vérifications faites, nous avons été surpris d’un tel mensonge. Lors d’un deuxième échange téléphonique, le cabinet de la maire Anne Hidalgo a concédé : « Oui, il y a peut-être quelques taux au-dessus des seuils autorisés, mais n’allez pas dire que ces taux peuvent provoquer des cas de saturnisme. »
C’est pourtant la Direction générale de la santé qui l’affirme depuis 2016 : à partir d’une concentration de poussières de plomb de 70 μg/m2, « il y a un risque d’intoxication au plomb pour les enfants exposés ».
Présidente de l’association Henri-Pézerat, la scientifique Annie Thébaud-Mony, qui alerte sur la situation depuis fin avril, souligne qu’« il n’y a pas de seuil en dessous duquel le plomb serait inoffensif. Toute contamination est dangereuse, pour les enfants en particulier, mais aussi pour les adultes. Il suffit d’imaginer les enfants de 3 à 6 ans dans une classe ou une cour d’école. Leurs déplacements suscitent le ré-envol de poussières, qu’ils respirent alors, sans parler des moments où ils touchent le sol puis portent la main au visage, à la bouche ».
En 2016, en préambule de son instruction visant à lutter contre le saturnisme infantile et la réduction des expositions au plomb, la Direction générale de la santé rappelle que compte tenu des « effets nocifs du plomb sur la santé », en particulier chez l’enfant, le seuil de plombémie (taux de plomb dans le sang) déclenchant la déclaration obligatoire de saturnisme chez l’enfant a été divisé par deux, passant de 100 à 50 microgrammes par litre (μg/L), en juin 2015.
Les ravages de l’incendie ne sont pas que matériels, ils sont aussi sanitaires
Exposés à des concentrations parfois élevées de plomb, les enfants, les enseignants et les agents intervenants dans les établissements l’ont bien été depuis le 15 avril, date de l’incendie et jusqu’au 5 juillet, date des vacances scolaires, soit pendant plus de deux mois, alors même que les autorités connaissaient ce danger et auraient dû ordonner immédiatement une fermeture momentanée des écoles, un nettoyage des lieux et des mesures visant à vérifier que tout danger était écarté.
Comme nous le précise Bruno Courtois, expert chimiste et spécialiste du plomb à l’INRS, « si certains sols, les plus lisses, peuvent être facilement nettoyés, d’autres plus poreux retiennent davantage les poussières de plomb et le nettoyage peut s’avérer plus ou moins efficace ».
Prélèvements dans une école élémentaire à moins de 500 mètres de Notre-Dame, réalisés le 15 mai concernant l’exposition au plomb. Le seuil d’alerte nécessitant une intervention est de 70 μg/m2. Là, le taux de concentration en plomb est de 230 μg/m2. © Service parisien de santé environnementale, Mairie de Paris.
Prélèvements dans une crèche à moins de 500 mètres de Notre-Dame, réalisés le 17 mai concernant l’exposition au plomb. Le seuil d’alerte nécessitant une intervention est de 70 μg/m2. Là, le taux de concentration en plomb est de 85 μg/m2. © service parisien de santé environnementale, Mairie de Paris.
Avant la publication de cet article, la mairie de Paris a tenu à ce que nous parlions avec la responsable du service parisien de santé environnementale chargé des prélèvements. Elle a reconnu que l’information donnée aux chefs d’établissement n’avait pas été « suffisamment précise » et qu’« aucune campagne de grand nettoyage n’avait été décidée ». Cela malgré les taux élevés de concentration au plomb.
La responsable santé de la mairie concède que la référence au seuil de 1 000 μg/m2 n’était pas appropriée dans le cas de ces établissements. Dès lors, pourquoi la mairie continue-t-elle à faire figurer dans ses communiqués cette référence mensongère ? Sur ce point, aucun commentaire. Nous n’en obtenons pas davantage lorsque nous rappelons qu’à des taux de concentration au plomb inférieurs, la préfecture a préféré fermer et nettoyer la crèche de ses agents.
Après un long silence, la responsable santé de la mairie tient à souligner que des « nettoyages humides étaient déjà mis en place lorsque les prélèvements ont été faits ». Loin d’être rassurante, cette précision prouve bien que ces « nettoyages humides » antérieurs aux prélèvements et préconisés depuis ne suffisent pas pour enlever les poussières de plomb. D’ailleurs, la mairie va profiter des vacances pour réaliser « un nettoyage de l’ensemble des établissements » et « des mesures de contrôle avant la rentrée »…
Dès lors, pourquoi avoir laissé des enfants exposés aussi longtemps à un risque d’intoxication au plomb ? « Les enfants ne restent pas si longtemps en classe », a osé répondre dans un premier temps la responsable, avant de se retrancher derrière des « calculs de moyenne arithmétique » dissimulant ainsi les taux d’exposition les plus élevés.
La mairie renvoie à un avis de l’agence régionale de santé du 7 juin, selon lequel seules les moyennes des taux de concentration en plomb des espaces fréquentés par les enfants comptent. Contactée par Mediapart, l’ARS a confirmé cette posture, assurant respecter les instructions de la Direction générale de la santé. L’ARS a, semble-t-il, une lecture particulière de cette réglementation.
Interrogée, la Direction générale de la santé (DGS) tient à rappeler que concernant les taux de concentration au plomb, « 25 μg/m2 est le seuil de vigilance » pris en compte pour les logements mais également pour les lieux fréquentés par les enfants, comme les crèches et les écoles.
« À 25 μg/m2, il est attendu que 5 % des enfants présentent une plombémie comprise entre 25 et 49 μg/L [25 étant le seuil de vigilance pour la plombémie et 50 déclenchant une déclaration de saturnisme – ndlr]. Au seuil de 70 μg/m2, il est attendu que 5 % des enfants aient une plombémie supérieure à 50 μg/L. »
À ce seuil, il convient donc de « nettoyer souvent les sols avec une serpillière mouillée, de ne pas utiliser de balai et, si nécessaire, de mettre en œuvre des mesures de gestion complémentaires : zone de déchaussement pour limiter l’entrée de poussières, travaux de suppression de l’accessibilité au plomb ».
La DGS explique que « l’utilisation de la moyenne arithmétique revient à attribuer une durée équivalente pour chacun des lieux fréquentés par un enfant ». Or dans le cas d’un établissement scolaire, un enfant ne passe pas le même temps dans l’ensemble des salles.
Par ailleurs, si une classe A est polluée alors que la classe B ne l’est pas, faire la moyenne des taux de concentration en plomb relevés dans chacune d’entre elles serait omettre le risque encouru pour les enfants exposés au plomb dans la classe contaminée. La DGS conclut qu’« au-delà d’un rendu synthétique de résultats, l’interprétation des analyses s’effectue local par local ». Ces précisions confirment la parole des experts : la mairie n’a pas respecté les instructions en vigueur.
Quant au rectorat, interrogé sur les risques encourus par les enseignants, il nous a répondu « n’avoir rien à dire ». Élisabeth Kutas, secrétaire départementale du syndicat des enseignants des écoles, le SNUipp-FSU Paris, exige qu’un suivi médical soit effectué pour les enfants, les personnels des écoles et de la mairie travaillant dans les établissements. « Pourquoi ne pas avoir fait cette décontamination ? », s’interroge-t-elle.
Après avoir marqué un long temps d’arrêt lorsque nous l’informons des taux de concentration au plomb, elle ajoute : « Pardon, je suis très inquiète. Et les autorités sont responsables, la mairie comme l’académie, de protéger ses agents. Les enfants, les personnels des écoles et les agents de la ville ont été exposés à des risques graves pour leur santé. »
Elle déplore que « les centaines de millions mis pour la reconstruction de la cathédrale ne soient pas utilisés aussi pour préserver la santé des enfants, des ouvriers, des enseignants, des habitants et de toutes les personnes qui travaillent autour du site. Les ravages de l’incendie ne sont pas que matériels, ils sont aussi sanitaires ! Et les enjeux économiques et symboliques de ce chantier ne doivent pas masquer un éventuel scandale sanitaire ».
De nombreux interlocuteurs, spécialisés dans ces questions, nous ont tous expliqué qu’au regard des risques encourus et afin de rassurer l’ensemble des personnels et des parents, le plus logique aurait été de fermer les établissements le lendemain de l’incendie afin de procéder à leur nettoyage. « Cela aurait été simple et surtout primordial pour ne pas exposer les enfants et les adultes. Par la même occasion, cela aurait permis d’éviter qu’un climat de peur ne s’installe dans le doute », nous a confié un ingénieur responsable des questions de sécurité et de prévention.
Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait ? Est-ce que, de la même façon que la préfecture a craint un effet de panique chez les touristes si elle divulguait les données, la mairie a eu peur d’affoler les familles du quartier ? C’est pourtant en n’agissant pas qu’elle risque de susciter aujourd’hui un effet de panique.
Annie Thébaud-Mony et l’association Henri-Pézerat demandent qu’un centre de suivi médical gratuit soit créé d’urgence, « accessible à toute personne, enfant ou adulte, victime de la contamination au plomb provoquée par l’incendie de Notre-Dame ». Elle suggère même « que ce centre soit établi à l’Hôtel-Dieu, proche de la cathédrale, et donc accessible aux riverains comme aux pompiers et travailleurs concernés ».
Pascale Pascariello
• MEDIAPART. 18 JUILLET 2019 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/180719/plomb-autour-de-notre-dame-la-mairie-de-paris-forcee-reagir?onglet=full
Notre-Dame de Paris : après l’incendie, un scandale sanitaire
Des taux de concentration au plomb 400 à 700 fois supérieurs au seuil autorisé ont été relevés sur les sols à l’intérieur et aux alentours de la cathédrale Notre-Dame, selon des documents confidentiels consultés par Mediapart. Ni l’agence régionale de santé ni la préfecture de police de Paris n’ont communiqué ces résultats aux riverains, minimisant les dangers encourus.
Des taux de plomb 400 à 700 fois supérieurs au seuil autorisé ont été relevés à l’intérieur et aux alentours de Notre-Dame, par plusieurs laboratoires dont celui de la préfecture de police de Paris, après l’incendie qui a ravagé la cathédrale.
« Ce sont des taux qu’on ne voit jamais, précise Annie Thébaud-Mony, chercheuse à l’Inserm et spécialiste de la santé publique. Sur des chantiers pollués comme une usine de recyclage de batteries, par exemple, les taux sont douze fois supérieurs. Là, avec des taux 400 fois supérieurs, les conséquences pour la santé peuvent être dramatiques. Il faut absolument qu’il y ait un suivi médical, y compris pour les pompiers qui sont intervenus. Ce suivi est d’autant plus important que les effets sur la santé peuvent être différés dans le temps. »
Les autorités concernées, le ministère de la culture, l’agence régionale de santé (ARS), la préfecture de police, passent cette pollution sous silence et, ce faisant, n’appliquent pas les mesures prévues par la loi pour protéger les salariés et les riverains.
L’incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019, qualifié de « terrible drame » par le président Emmanuel Macron, avait provoqué un immense élan de générosité, avec plus de 400 millions d’euros récoltés en quelques jours pour la reconstruction de l’édifice.
L’Élysée désigne alors son « représentant spécial », le général Jean-Louis Georgelin, pour veiller à l’avancement des travaux. Ils iront vite, assure le président de la République, « sans jamais transiger sur la qualité des matériaux et la qualité des procédés ». En revanche, ils se font au détriment de la santé des intervenants et des populations alentour.
En effet, avec l’incendie, près de 400 tonnes de plomb, substance classée cancérigène, mutagène et reprotoxique (CMR), contenues dans la toiture et la flèche de la cathédrale, sont parties en fumée, polluant l’édifice et ses environs. Comme le signale l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) [11], « une exposition régulière au plomb peut entraîner des conséquences graves pour la santé ». Le saturnisme, l’intoxication au plomb par inhalation ou ingestion, peut, selon la gravité, entraîner des troubles digestifs, des lésions du système nerveux ou encore des problèmes de stérilité.
Les autorités connaissent très bien ces risques. Mais il faudra attendre deux semaines après l’incendie, soit le 27 avril, pour que la préfecture de police de Paris et l’ARS diffusent, en toute discrétion, un communiqué invitant les riverains à nettoyer leurs locaux à l’« aide de lingettes humides » et à consulter leur médecin si nécessaire [12].
À l’intérieur de la cathédrale, selon des documents datés du 3 mai que Mediapart a pu consulter, les prélèvements sont de 10 à 740 fois supérieurs aux seuils autorisés. À l’extérieur, la situation n’est guère plus brillante. Sur le parvis, les taux de concentration en plomb prélevés sur le sol sont 500 fois au-dessus du seuil réglementaire. À l’extérieur de la zone du chantier, sur certains ponts, dans des squares ou certaines rues, ces taux sont de 2 à 800 fois supérieurs au seuil.
Selon des inspecteurs contactés par Mediapart, « ce sont des taux tout à fait exceptionnels. Généralement, sur des chantiers dits pollués, les taux peuvent être de 20 à 100 fois supérieurs au seuil. Mais rarement au-delà. Et déjà, à ce stade, des protections très strictes doivent être prises pour protéger les ouvriers. Un suivi médical peut également être exigé ».
Le secret est bien gardé, comme le montre une réunion du 6 mai dont le contenu a été rapporté par plusieurs sources à Mediapart.
Ce jour-là, dans les bureaux de l’agence régionale de santé, se retrouvent autour de la table des responsables du laboratoire central de la préfecture de police, de la mairie de Paris, du centre antipoison, de la caisse régionale d’assurance maladie et de la direction du travail. La question rapidement débattue est : faut-il ou pas communiquer les résultats des prélèvements ?
Carte des pollutions au plomb autour de Notre-Dame, résultats des prélèvements du laboratoire central de la préfecture de police de Paris, 6 mai 2019.
La préfecture fait part de son embarras, certains de ses locaux étant touchés par cette pollution au plomb. Avec des taux deux fois supérieurs au seuil de vigilance, la biberonnerie et la salle « mille-pattes » de la crèche de la préfecture doivent être fermées pour une décontamination en urgence. Ce qui sera fait dans les jours qui suivent.
Mais dans certains appartements de fonction, les taux peuvent aussi être jusqu’à cinq fois supérieurs au seuil de vigilance. Mediapart ne sait pas si des travaux y ont été depuis lors réalisés. De nouveaux prélèvements ont été faits par la préfecture pour vérifier l’état de ses locaux après décontamination. Ils n’ont pas, à ce jour, été communiqués aux agents.
Toujours est-il qu’afin de ne pas alarmer ses propres agents, la préfecture explique lors de la réunion qu’elle ne souhaite pas publier les résultats de ces prélèvements. Réserve partagée par l’ARS qui affirme, quant à elle, ne pas vouloir répondre aux sollicitations des associations de riverains ou de défense de l’environnement. Elles n’auront qu’à se tourner vers la commission d’accès aux documents administratifs (Cada), expliquent posément les représentants de l’ARS, qui semblent avoir oublié leur mission première, celle de prévenir les risques sanitaires.
Selon une personne présente à cette réunion, « l’ARS joue la montre. En ne communiquant pas sur les résultats, elle oblige les associations à s’adresser à la Cada et donc à s’engager dans un long parcours. Mais une fois qu’elles auront obtenu ces prélèvements, l’ARS pourra dire que ces résultats sont anciens et qu’ils ont depuis baissé. C’est d’un cynisme à toute épreuve ».
Conclusion de cette réunion : le 9 mai, la préfecture et l’ARS signent un communiqué très laconique, qui minimise les risques, alors même que certains prélèvements sur les sols sont de 20 à 400 fois supérieurs au seuil réglementaire sur des sites très fréquentés, comme le pont et la fontaine Saint-Michel, lieux non fermés au public, ou certains squares, temporairement interdits mais rouverts depuis.
En taisant les dangers de la sorte, les autorités veulent éviter un effet de panique et s’épargner une polémique.
Contactée par Mediapart, la préfecture de police déclare « que le laboratoire central a fait des prélèvements en urgence qui ont été transmis en toute transparence à l’ARS, afin qu’elle prenne les dispositions nécessaires ».
De son côté, jointe par Mediapart, l’ARS n’a pas contesté, dans un premier temps, les propos tenus lors de la réunion du 3 mai. Elle a expliqué « ne pas percevoir le problème qu’ils soulèvent ». Mais avant la publication de cet article, l’ARS nous a rappelés et expliqué qu’en fait, elle ne souhaitait ni infirmer ni confirmer les propos tenus lors de la réunion.
L’agence explique avoir pris les précautions d’usage et avoir fait, à la demande de particuliers, des prélèvements qui ont, à ce jour, permis de découvrir un cas de saturnisme, sans que cela ne soit alarmant, selon l’agence.
Selon nos informations, les derniers prélèvements effectués le 13 juin sur le chantier ont cependant donné des résultats d’un même ordre de grandeur que les précédents tests.
Mais les associations, dont celle des familles victimes de saturnisme, ignorent tout de ces résultats. Leur demande auprès de l’ARS étant restée lettre morte, elles s’apprêtent, comme l’avaient imaginé les autorités, à saisir la Cada…
L’une des riveraines, mobilisée sur cette question, explique « avoir plusieurs fois demandé des précisions. Mais l’ARS ou la préfecture entretiennent un flou qui n’est pas rassurant pour les familles. S’il n’y a pas de danger, comme ils l’affirment, il suffit de transmettre l’ensemble des prélèvements. Or, nous les attendons encore ».
Sur le chantier, la direction régionale des affaires culturelles (Drac), maître d’ouvrage, opte elle aussi pour la politique de l’autruche. Et surtout, ne décrète aucune mesure pérenne pour protéger les salariés.
Le ministère de la culture s’affranchit des règles du code du travail
Les contrôles de sécurité effectués sur le chantier ont révélé que des ouvriers sur place n’avaient reçu aucune formation à cet effet. Alors qu’ils manipulent des gravats contaminés, certains agissent sans masque ni gants.
Les constats de l’inspection du travail ne s’arrêtent pas là. À plusieurs reprises, elle a relevé le non-respect des procédures réglementaires mais aussi de graves dysfonctionnements des sas de décontamination, dispositifs indispensables pour protéger les salariés du risque d’intoxication et éviter toute propagation de poussières à l’extérieur. Certaines douches de décontamination ne fonctionnent pas. Pire : certains sas de décontamination ont été installés au milieu d’une zone contaminée.
Au bout du compte, les salariés peuvent aller et venir dans la cathédrale sans passer par ces sas. À l’extérieur, sur le parvis pollué, où les taux de plomb peuvent être 500 fois supérieurs au seuil autorisé, certains ouvriers travaillent sans aucune protection.
Contacté par Mediapart, Bruno Courtois, expert en prévention du risque chimique et chargé du dossier « plomb » à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), explique que « ces taux sont particulièrement élevés et s’agissant de poussières de plomb consécutives à un incendie, on peut supposer qu’il s’agit de particules très fines qui passent donc facilement dans le sang. Les mesures de prévention et de protection doivent donc être renforcées pour confiner le plomb. Les sas de décontamination permettent dans ces cas primordiaux d’éviter que les ouvriers ne rentrent chez eux avec les poussières de plomb ». Pourtant, rien de tel n’a été mis en œuvre sur le site de la cathédrale.
Selon des sources proches du chantier, le ministère de la culture n’est pas mécontent que des ouvriers se promènent sans protection à l’extérieur de la cathédrale, n’éveillant ainsi aucune crainte parmi « les touristes ou les riverains ».
En fait, la mairie de Paris avait proposé de décontaminer le parvis de la cathédrale – un chantier de deux semaines estimé à 450 000 euros. Pour cette phase spécifique de décontamination, les ouvriers devaient porter des scaphandres. Sous le couvert de l’anonymat, un proche du dossier confirme : « Des hommes en scaphandre sur le parvis de la cathédrale auraient effrayé les passants. L’existence d’un danger aurait été évidente. »
Le ministère de la culture a donc préféré reprendre la main et a choisi de faire décontaminer la zone en quelques jours seulement, par des salariés peu protégés, et n’ayant pas revêtu les tenues d’usage. Cette précipitation a pour résultat que le parvis est aujourd’hui encore contaminé.
Sourd aux différentes relances des contrôleurs, le ministère de la culture s’affranchit allègrement des règles du code du travail.
Dès le 9 mai, l’inspection du travail a pourtant alerté la Drac, chargée des travaux sur le chantier, sur la nécessité de prévoir des mesures de protection contre les risques d’intoxication au plomb pour les salariés. Plus d’un mois plus tard, le 19 juin, le constat des ingénieurs de sécurité de la caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France (la Cramif), également chargée de contrôler le chantier, demeure accablant : « Les taux de concentration en plomb dans les poussières sont élevés et largement au-dessus du seuil réglementaire. Les salariés sont donc toujours exposés à des risques d’intoxication par le plomb […], les installations dédiées à la décontamination des salariés ne répondent pas aux dispositions du code du travail. »
Le cabinet du ministre de la culture Franck Riester assure auprès de Mediapart que « des mesures ont été prises », sans pouvoir préciser lesquelles et explique qu’une réunion avec la direction du travail s’est tenue le 27 juin pour que « tout se passe au mieux ». Mais cela n’a rien arrangé. Les procédures de décontamination demeurent très en deçà des exigences réglementaires.
Le ministère de la culture profite d’une situation qui lui est favorable. Le maître d’ouvrage relevant du droit public, l’inspection du travail ne peut ni le verbaliser ni le mettre en demeure.
Contactées par Mediapart, ni la Cramif ni la direction de l’inspection du travail n’ont accepté de répondre à nos questions.
La mairie de Paris affirme avoir fait une série de prélèvements dans les établissements scolaires situés dans les alentours de la cathédrale, dont les résultats, rendus publics, seraient conformes aux seuils autorisés. Quant aux mesures de l’espace public, « elles relèvent de la préfecture et de l’ARS. La mairie de Paris plaide pour une transparence mais, précise-t-elle, nous ne pouvons nous substituer à l’État ».
Les pressions exercées sur le chantier sont fortes. Comme nous l’explique l’un des intervenants, « à chaque fois que les risques d’intoxication au plomb sont abordés, on nous rappelle “l’urgence impérieuse de consolider l’édifice”. C’est comme cela qu’on écarte le danger du plomb ».
Une des personnes chargées du suivi des prélèvements déplore que « les instances de l’État se comportent comme lors de la catastrophe de Tchernobyl en 1986. C’est aussi absurde que le nuage qui n’a pas traversé les frontières. Le plomb est resté au-dessus de la cathédrale ».
Un salarié du ministère de la culture regrette que « toute communication sur le chantier [soit] contrôlée. On n’a pas accès à beaucoup d’information et ceux qui s’en occupent, le service des monuments historiques, sont connus pour être des taiseux contrairement aux archéologues qui se font entendre s’il y a un problème. Donc c’est la loi du silence ».
Une « loi du silence » qui convient parfaitement au gouvernement et aux autorités sanitaires. Pourtant, les langues se délient et certaines entreprises contactées par Mediapart font part de leurs inquiétudes, ne souhaitant pas devenir des « boucs émissaires » en cas de scandale. « On tente déjà de nous faire porter la responsabilité de l’incendie. Il y a une pression énorme qui est mise sur tous les intervenants et le ministère de la culture n’assume même pas ses responsabilités en tant que maître d’ouvrage. Rien n’est fait pour préserver la sécurité et la santé des ouvriers. On nous demande de faire le travail que doit faire normalement le maître d’ouvrage », déplore l’un des chefs d’entreprise.
Le projet de loi pour Notre-Dame de Paris, en cours d’adoption, prévoit notamment la création d’un établissement public et des dérogations aux règles d’urbanisme et de protection de l’environnement. Sur le chantier, cette perspective inquiète de nombreux intervenants selon lesquels les dangers pour la santé et l’environnement risquent de s’accroître en toute opacité.
Pascale Pascariello
• MEDIAPART. 4 JUILLET 2019 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/040719/notre-dame-de-paris-apres-l-incendie-un-scandale-sanitaire?onglet=full