C’est Pierre Rousset, ornithologue et grand observateur du parc des Beaumonts, qui a fait cette extraordinaire découverte. Muni de son appareil photo, de jumelles et d’un carnet de notes, il repère dans une zone [légèrement] boisée [1] un organisme qu’il n’avait jamais croisé jusqu’à présent. D’abord étonné, il photographie ce nouveau sujet. D’un aspect visqueux, le blob du parc des Beaumont est alors composé de grappes. Son apparence est semblable à celle d’une mousse de forêt, à l’exception de sa couleur, crème. Pierre Rousset croit être tombé sur une nouvelle sorte de champignon. Mais, surpris par cette découverte, il décide de mener l’enquête.
Le blob du parc des Beaumonts photographié par l’ornithologue Pierre Rousset.
Il s’adresse alors à son ami André Lantz, mycologue, et lui montre ses photos. Pour ce dernier, il ne s’agit pas d’un champignon, mais plutôt d’un myxomycète répondant au doux nom de fuligo jaune. Traduisez : un organisme composé d’une seule cellule qui n’est ni un végétal, ni un animal. À titre de comparaison, le corps humain comporte plus de 30 000 milliards de cellules. Le blob est apparu sur terre bien avant les dinosaures ! Il vit de façon archaïque et a su s’adapter. Plus de mille espèces ont été répertoriées mais la recherche ne s’y intéresse que depuis une dizaine d’années. Peu de travaux ont été réalisés à son sujet.
« Quand j’ai voulu écrire un article pour mon site ESSF*, j’ai enquêté sur les myxomycètes et je me suis rendu compte que les termes m’étaient inconnus », explique Pierre Rousset. Le blob a été popularisé en France par une scientifique du CNRS de Toulouse, Audrey Dussutour. Capable de comportements complexes, il développe sa propre intelligence. Comment s’est-il retrouvé au parc des Beaumonts ? « On ne sait pas », dit Pierre Rousset. Et d’ajouter : « Il est sans doute arrivé comme beaucoup d’autres organismes, par le vent ou les pattes d’un oiseau. C’est toujours remarquable. »
Pierre Rousset, qui continue d’arpenter le parc, a revu le fuligo jaune « mais la dernière fois, il était [partiellement] noir. C’est-à-dire qu’il a produit des spores. » En effet, quand ces organismes ont fait le tour d’un lieu et n’ont plus rien à manger, ils se transforment en spores et se disséminent à nouveau. Pour mieux réapparaître ailleurs ?
Catherine Salès
À SAVOIR
lire, ce passionnant article sur le site Europe solidaire sans frontière : europe-solidaire.org : ESSF (article 50881), Un myxomycète aux Beaumonts : Mucilage en croûte, à quel règne appartiens-tu ?
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article50881
Faits divers. Petites histoires de blobs
• Anecdotes mais surtout résultats d’expériences très rigoureuses, ces histoires sont pour la plupart extraites du passionnant livre de la chercheuse Audrey Dussutour, Tout ce que vous avez voulu savoir sur le blob sans jamais oser le demander (Éditions des Équateurs, 2017).
• En 1973, un cousin du fuligo jaune, le Fuligo septica, s’invita dans le jardin d’une Texane, aux États-Unis. Elle voulut éliminer cette chose en la taillant en pièces. Mais le lendemain, elle constata que la créature avait doublé de surface. Cette femme et son mari employèrent les grands moyens, déversant des herbicides. Mais le surlendemain, l’ intrus avait encore doublé. Appelés à la rescousse, les pompiers lui jetèrent de l’eau à haute pression. Mauvaise idée ! Ce geste le ragaillardit à nouveau. Puis, un jour, il disparut complètement. À l’époque, on alla jusqu’à évoquer un extraterrestre !
• Toshiyaki Nakagaki, un chercheur japonais, mit un Physarum polycephalum, espèce de blob, sur une maquette représentant la ville de Tokyo, recouverte d’ un gel humide. Il dissémina des flocons d’avoine (que le blob adore) sur chacune des villes de banlieue. En quelques jours, le blob avait « étiré » ses filaments vers chacune des villes, en dessinant un réseau plus optimal que le réseau ferré ! L’expérience fut par la suite
reproduite avec la carte de France. Résultat : le blob « va » de Paris à Toulouse... sans passer par Bordeaux !
• Audrey Dussutour ne cesse de découvrir dans son laboratoire de Toulouse des capacités cognitives du blob. Ainsi, en se déplaçant, le blob secrète un mucus qui lui évite de passer deux fois au même endroit. Ceux qui viennent d’ Australie, du Japon et des États-Unis ont des « comportements » différents (l’Américain est plus agressif...). Si l’on propose à des blobs un parcours d’obstacles de sel pour atteindre la nourriture, on constate qu’ils mettent de moins en moins de temps à les franchir. Mieux ! Ils peuvent « transmettre » des informations sur le bon parcours à d’ autres blobs, dits « naïfs ». Et tout ça sans cerveau !
LE BLOB EN CHIFFRES
726
C’est le nombre de sexes que peut avoir le blob (alors que la plupart des espèces n’en ont que 2)
1
Le blob a une seule cellule, mais de multiples noyaux, 40 paires de chromosomes (il y en a 23 chez l’humain) et 34 000 gènes (l’homme en a 20 000)
1 000
C’est le nombre d’espèces différentes de blobs
500
millions à un milliard d’années : datation approximative de son apparition sur terre (250 millions pour les dinosaures)
Interview de Luca Morino, éthologue et primatologue
« LE BLOB FAIT DES CHOSES QUE NOUS RELIONS À L’INTELLIGENCE, MAIS SANS CERVEAU »
Luca Morino est éthologue, primatologue et curateur (conservateur) des primates au parc zoologique de Paris. C’est également lui qui est
en charge du blob s’y trouvant depuis octobre 2019.
Une première mondiale dans un zoo, où sa présence est accompagnée de vidéos interactives permettant de mieux comprendre cet organisme.
Catherine Salès : Pourquoi le blob fascine-t-il autant ?
Luca Morino : Il remet en question la définition même d’intelligence. Les humains ont l’habitude de se considérer comme étant au sommet de l’évolution. Nous avons déjà beaucoup appris des primates, des oiseaux. Là, nous avons un organisme qui n’a qu’une seule cellule, pas de cerveau ni de neurones. Il est pourtant capable d’apprendre, de transmettre des informations à ses semblables. Le blob fait des choses que nous relions à l’intelligence, mais sans cerveau.
Il nous oblige aussi à réévaluer la question de l’individu. Si un blob est coupé en deux, il survit. Mais nous ne savons pas s’il est divisé en deux entités différentes. Quand deux blobs se fusionnent, la même question se pose. Obtient-on le même sujet ou un sujet différent ? Quant au sexe de cet organisme, c’ est encore plus compliqué !
Nous ne savons pas encore ce qui les différencie ou les rapproche. De plus, 95 % des recherches sur le blob ont lieu en laboratoire. Nous ne savons que très peu de chose sur le comportement du blob dans son milieu naturel.
Pourquoi montrer un blob au zoo de Vincennes si ce n’est pas un animal ?
L. M. : C’est un organisme intéressant tant pour les chercheurs que pour le public. L’idée est de faire réfléchir et de stimuler la curiosité des visiteurs autour de cet organisme que l’on ne regarde pas, qui ressemble à une moisissure
À SAVOIR :
Une blobzone au zoo ! Depuis octobre 2019, en partenariat avec le CNRS, le parc zoologique de Paris présente, dans le vivarium de la zone Europe, un blob dans son terrarium. Un mur multimédia interactif permet de mieux le connaître. Pendant les vacances de février, des animations auront lieu les lundis, mardis, jeudis et vendredis à15h.
Parc zoologique de Paris, 75012 Paris.
Entrée au croisement de l’avenue Daumesnil et de la route de Ceinture du lac Daumesnil.
IDENTITÉ
Il n’appartient ni au règne animal, ni au règne végétal, ni à celui
des champignons. C’est un myxomycète, une sous-classe des amoebozoaires (organismes unicellulaires). Il vit naturellement dans les sous-bois humides,
à l’ombre des vieux troncs, mais aime aussi les jardins en permaculture. Il est inoffensif et se nourrit de bactéries et de champignons. Mais aussi de flocons d’avoine !
C’est Audrey Dussutour, chercheuse du CNRS basée à Toulouse et spécialiste des fourmis, qui, lors d’une de ses études, a surnommé cet organisme « blob », en référence à un film d’horreur de série B des années 1950 : The Blob, mettant en scène un extraterrestre gluant, géant et terrifiant...