Différents accords sont conclus également avec la Libye, pays qui mène à ce qu’on appelle la route de la Méditerranée centrale, empruntée essentiellement par des migrant-e-s en provenance de l’Afrique subsaharienne et du Nord.
D’autres accords, notamment avec le Niger, l’Égypte, la Mauritanie, le Soudan, le Mali (voir l’analyse du TNI “Expanding the fortress”) et le Maroc, font également partie de cette politique d’externalisation des frontières de l’UE. L’objectif principal de cette politique et de ces accords est de transformer des pays tiers en gardes-frontières pour empêcher les migrant-e-s d’atteindre les frontières extérieures de l’UE, sans avoir à se préoccuper de leur sort ou d’un élémentaire respect de la dignité humaine. En effet, les pactes conclus le sont avec des pays dirigés par des autocrates peu concernés par le respect des droits humains, sans que cela ne semble poser problème.
Avant d’entrer dans le détail de ces accords, notons que si cette politique vise à limiter les migrations, elle rate complètement son objectif puisque d’après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, basé à Genève, jamais autant d’êtres humains - 60 millions en 2019 - n’ont quitté leur lieu d’origine qu’aujourd’hui [1] .
L’accord avec la Turquie
Connu sous le nom de Dispositif européen pour les réfugiés en Turquie (en anglais, EU Facility for Refugees in Turkey (FRiT)), cet accord, qui est entré en vigueur le 20 mars 2016 [2], prévoit que la Turquie, qui à l’époque abritait près de 2,5 millions de réfugié-e-s syrien-ne-s, mette en place une politique plus stricte pour empêcher l’entrée des réfugiés en Europe. Avec cet accord, la Turquie accepte le retour de tout futur demandeur d’asile qui se rendrait sur les côtes européennes. En retour, l’UE promet [3] :
- d’accueillir un-e réfugié-e syrien-ne sélectionné selon des critères ‘humanitaires’ pour chaque réfugié-e refoulé-e en Turquie ;
- de relancer les négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne et de délivrer des visas aux citoyen-ne-s turcs-ques désirant voyager ou s’installer en Europe (à condition d’une réforme de la justice, du respect de droits humains et du changement de la loi sur le terrorisme dans l’État turc) ;
- de renforcer les capacités de patrouille et de surveillance des garde-côtes turcs et des autres autorités turques compétentes ;
- deux tranches de 3 milliards d’euros (la première échue en mars 2018) doivent être versées par l’UE pour des opérations telles que la fourniture de nourriture et vêtements pour les migrant-e-s, mais aussi pour que la Turquie mette en place des solutions à plus long terme (comme la construction d’hôpitaux, d’écoles et l’implémentation de programmes d’emploi pour les migrant-e-s).
Plusieurs aspects de cet accord s’avèrent très problématiques, sinon odieux.
« L’UE a fourni à la Turquie 83 millions d’euros en véhicules militaires blindés et en équipements de surveillance qui patrouillent les frontières »
Dans un premier temps en effet l’accord « a bien fonctionné » pour les deux parties. Du côté turc, 911 kilomètres de mur (de 2,5 mètres d’épaisseur et surmonté de fil de rasoir) ont été érigés tout le long de la frontière entre la Turquie et la Syrie. L’UE a fourni à la Turquie 83 millions d’euros en véhicules militaires blindés et en équipements de surveillance qui patrouillent les frontières : selon Rami Abdurrahman, le directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, 42 civils ont été tués en essayant de passer en Turquie depuis la Syrie [4]. Ce mur (allongé en 2018) et ces matériels ont engendré une diminution du nombre des réfugié-e-s aux portes de la Turquie en enfermant de malheureux-ses syrien-ne-s dans un pays de guerre et d’effroi. Suite à l’accord, concernant les réfugié-e-s ayant déjà quitté la Syrie, seulement 1.546 personnes ont été transférées d’Europe vers la Turquie, tandis que les réfugié-e-s syrien-ne-s qui ont été installé-e-s en Europe (depuis la Turquie) sont au nombre de 12.489 [5].
Malgré la baisse d’entrées sur territoire, la population syrienne en Turquie continue de grossir (aujourd’hui on compte plus de 3,5 millions de réfugié-e-s dans le pays) du fait d’un taux de natalité élevé et couplé aux arrivées en cours et aux retours venus d’Europe. Les conditions de détention de ces migrant-e-s séjournant en Turquie sont effrayantes. Les récits d’actes de violences se sont multipliés : réfugié-e-s horriblement tué-e-s par des gardes-frontières, ou frappée-e-s ou abusé-e-s, maintenu-e-s en détention et obligé-e-s de travailler illégalement dans des conditions d’exploitation, leur droit de demande d’asile nié [6]. Une enquête conduite par les média indépendants Politiken et Danwatch, ainsi que par l’hebdomadaire italien L’espresso et le consortium d’investigation EIC, a montré les infractions aux droits humains dans le traitement réservé aux ONG en charge des aides humanitaires : retrait des permis d’exercer dans le pays, ralentissement du processus d’enregistrement, harcèlement, choix de n’accorder des permis que pour de courtes périodes de quelques mois et obstruction totale à la délivrance de permis de travail pour le personnel des ONG [7].
De ce fait, certaines déportations de Grèce en Turquie ont été bloquées par la Cour d’appel, en raison de la dangerosité de la situation en Turquie. Beaucoup de migrant-e-s ont demandé à être rapatrié-e-s dans leur pays d’origine (7000 entre 2016 et 2017), ce qui en dit long sur le traitement offert par les garde-côtes et la police turcs vis-à-vis des migrant-e-s [8].
Pourtant, peu de personnes semblent être concernées par les conditions de vie de ces réfugié-e-s : Erdoğan a à plusieurs reprises déclaré vouloir renvoyer “leurs frères et sœurs syriens” dans leur pays au plus tôt possible. Plusieurs représentant-e-s de l’UE ont déclaré de même.
Ces camps où vivent des millions de personnes dans des conditions de vie ignobles permettent pourtant à la Turquie d’exercer une pression toujours plus forte vis à vis de l’UE (en vue de nouveaux financements) sous menace d’ouvrir les frontières avec la Grèce et la Bulgarie. En effet, Ankara n’est plus satisfaite du résultat obtenu et veut renégocier l’accord.
A l’heure actuelle, sans considérations pour les réfugié-e-s, l’Europe ne semble pas changer de position. L’absence d’accord sur la répartition des arrivées à cause des gouvernements d’extrême droite en Hongrie et en Italie et l’hypocrisie des autres pays est notamment en cause [9].
« 41 500 personnes vivent dans les camps des cinq îles grecques alors que la limite était fixée à 6 200 »
Entre temps, les camps de réfugié-e-s en Grèce explosent. Selon l’UNHCR 41 500 personnes vivent dans les camps des cinq îles grecques (Samos, Chios, Leros, Lesbos, Kos) alors que la limite était fixée à 6 200 [10]. En attente d’être identifiées, ces personnes vivent dans des conditions inhumaines : barbelés, nourriture avariée, absence d’eau chaude, habitations et toilettes insalubres, conditions d’hygiène affreuses (poubelles, rats et serpents partout) ; elles sont dans une situation d’urgence sanitaire et psychologique (suicides, automutilations) et les listes d’attente pour examiner leur dossier peuvent aller jusqu’à de deux ans. Sans compter les milliers d’autres dans le reste de la Grèce. De « véritables camps de concentration » créés au niveau européen affirme Jean Ziegler dans l’interview mentionnée plus haut.
« Ce choix en dit beaucoup sur la volonté de confiner ces populations loin des centres, de les exclure, pour que leurs problèmes soient plus facilement oubliés »
Le choix des petites îles pour installer ces camps n’est pas un hasard (comme à Lampedusa). Ce choix en dit beaucoup sur la volonté de confiner ces populations loin des centres (politiques, urbains etc.), de les mettre au ban, les exclure, pour que leurs problèmes soient plus facilement oubliés.
Notons enfin, le manque total de transparence sur la gestion financière et le manque d’implémentation des projets à long terme caractérisent cet accord (aucun hôpital, aucun programme d’insertion n’a vu le jour). Pour toutes ces raisons, la légalité de cet accord a également été mise en cause à plusieurs reprises par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, sans succès. D’ailleurs, l’UE a contourné le contrôle démocratique par le Parlement européen pour pouvoir conclure cet accord.
Les relations odieuses avec la Libye
Au vu de la dangerosité de la route orientale, dès 2015, la route migratoire de la Méditerranée centrale, qui amène à l’Europe via la Libye puis l’Italie, devient la plus empruntée. Malheureusement, celle-ci révélera encore plus dangereuse que la première.
Comme pour la Turquie, l’UE et les États membres injectent des millions d’euros dans des projets bénéficiant à la Libye et visant à prévenir la migration vers le territoire européen. Ces projets, coordonnés par la Commission européenne, mais aussi par des accords bilatéraux avec un certain nombre d’États membres, tels que l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne, incluent des formations des forces de police et des garde-frontières ou le développement de systèmes de contrôle complexes (équipement de contrôle biométriques, hélicoptères, bateaux et véhicules) [11].
Le premier projet de l’UE date de 2013 (EUBAM Libya) et a pour but de former une expertise militaire libyenne sur les côtes (formation donnée par l’armée italienne, allemande et française) tandis qu’en 2015, l’opération Sophia est la première opération militaire contre les réfugié-e-s au niveau européen dont l’objectif est d’intercepter et de détruire les vaisseaux utilisés pour la traite de migrant-e-s. Toutes ces opérations, et celles qui suivront, démontrent que les intérêts de l’Europe (et de ses pays membres) sont dirigés vers la protection de ses frontières et ne portent pas sur droits de migrant-e-s.
De ce point de vue, la coopération avec la Libye remplit ses objectifs. Entre 2017 et 2018, on enregistre une chute drastique des passages dans le canal de Sicile : 21 000 passages en 2017 contre environ 100 000 l’année précédente [12]. Voyons de plus près les raisons de cette chute.
Les accords entre Italie et Libye
Si on analyse le cas de la Libye, il est fondamental de prendre en considération les relations entre ce pays et l’Italie, dont les histoires restent connectées, le deuxième ayant colonisé le premier. En 2004, l’Italie convainc l’UE de lever l’embargo international en matière économique et d’installation militaire sur la Libye dans l’objectif de vendre l’équipement high-tech nécessaire pour le contrôle de frontières. Cela fonctionne et à partir de ce moment, l’Italie soutient les politiques anti-migration de la Libye notamment en finançant les déportations par avion de la Libye vers les pays d’origine des migrant-e-s, la construction de centres de détention pour migrant-e-s et fournissant à la Libye des équipements militaires ainsi des formations pour le contrôle des frontières.
En 2008, sous Berlusconi, autre tournant décisif, est signé l’accord de Benghazi par lequel l’Italie promet une réduction de la dette libyenne pour un montant de 5 milliards de $ en dédommagement de l’occupation coloniale entre 1911 et 1943. Ce traité se révèle en réalité une occasion de profit pour les entreprises italiennes, puisque les 5 milliards de réparation de dommages dus à la colonisation sont en réalité utilisés pour la construction d’infrastructures sur le territoire libyen. Cette fausse réparation vient en échange d’une collaboration étroite entre les deux pays dans la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, l’immigration « clandestine » dans lesquels la Libye devait s’engager : c’est par ce biais notamment que l’Italie intensifie le contrôle de ses frontières et arrête l’immigration en provenance du continent africain [13].
S’en suivent des années de memoranda et accords pour la rénovation de centres de détention, de collaboration avec les militaires libyens pour intercepter et renvoyer les réfugié-e-s en route pour l’Italie.
Notons qu’en février 2012, la pratique consistant à renvoyer en Libye les réfugié-e-s sauvé-e-s en haute mer par des bateaux italiens a été condamnée par un arrêt historique de la Cour européenne des droits de l’homme (Hirsi et al. contre Italie), car les personnes déplacées de force étaient « exposées au risque de mauvais traitements en Libye et de rapatriement en Somalie ou en Érythrée » [14]. Pourtant, ces pratiques ne se sont pas arrêtées après la sentence.
Les récentes politiques italiennes en matière d’immigration
Il est également intéressant de jeter un œil aux accords plus récents au vu des derniers changements politiques et notamment de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite en Italie.
En avril 2017, le ministre italien de l’Intérieur Minniti (gouvernement de centre-gauche ayant précédé l’extrême-droite au pouvoir) sous le faux prétexte de créer des couloirs humanitaires et de protéger les migrant-e-s prévoyait la construction de 20 nouveaux centres de rapatriement en Libye, la suppression de la deuxième instance de jugement pour les demandeurs d’asile qui ont fait recours (pas de droit de s’adresser à la Cour d’appel si leur demandé est niée), l’abolition de l’audience devant le juge (ce qui signifie pas de droit pour le/a migrant-e à un juste procès) et l’introduction du travail volontaire pour les migrant-e-s.
A cela s’ajoutent les accords secrets signés entre le gouvernement italien de l’époque et Bjia Abdul Rhaman Milad, chef de gardes côtes libyens de Zawya (zone Ouest de la Libye). Bjia, avec qui le gouvernement italien a entretenu des relations, a été sanctionné par le Conseil de sécurité de l’ONU : il est accusé de gérer le trafic d’êtres humains pour le compte de la Libye et secrètement de l’Italie [15].
Par ailleurs, ils existent des preuves que le même gouvernement a aussi financé les milices de Dabbashi à Sabratha pour arrêter des embarcations de migrant-e-s : on parle d’un pot de vin de 5 millions de dollars payé par l’intelligence italienne (qui serait également et en partie responsable d’une guerre intra-clan pour l’accaparement de la gestion des migrant-e-s) [16].
Toujours en 2017, un autre acte de criminalisation des ONG opérant en Méditerranée avait été implémenté : le code de conduite qui interdit les embarcations des ONG de rentrer dans les eaux libyennes (même si les migrant-e-s sont abandonné-e-s par les gardes côtes libyens ou d’autres embarcations) et prévoit – entre autres – la présence de la police italienne à bord des embarcations pour des opérations de surveillance. Plusieurs ONG (Jegend Rettet, Sea watch, Sea eye, l’Association européenne de sauvetage en mer, Sos méditerranée) ont eu le courage de dire « Non » à ce décret qui criminalise leurs activités de sauvetage. Le lynchage public par les votant-e-s de droite ne s’est pas fait attendre.
De nos jours, le leader parti politique de la Ligue, Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur sous le gouvernement Conte I (mai 2018-août 2019), est connu pour sa politique très dure face à la migration.
Son décret sécurité-bis assimile tou-te-s les migrant-e-s à des malfaiteurs-euses, des criminel-le-s quand ce n’est pas des terroristes. Le décret prévoit entre autres- les mesures suivantes [17] :
- un fonds pour le rapatriement de migrant-e-s « irrégulier-e-s » de 2 millions d’euros ;
- la fermeture des ports aux bateaux ne sera plus de la compétence du ministère des infrastructures mais du ministre de l’Intérieur (Salvini lui-même !) qui peut limiter ou interdire le transit en mer italienne pour raisons de sécurité ;
- des amendes entre 3.500 et 5.500 euros par migrant-e (d’un minimum de 150.000 euros à un maximum 1 million d’euros) pour les bateaux qui débarquent dans un port malgré l’ordre du ministre ;
- la confiscation du navire et l’arrestation du/de la capitain-e pour violation de la même interdiction ;
- 3 millions d’euros pour la lutte contre l’aide et la complicité à l’immigration clandestine et pour les opérations policières d’infiltration.
Cela fait suite à un premier décret sécurité (10/2018) qui a prévu une baisse du financement pour l’accueil des migrant-e-s de 35 euros à 21 euros (par personne), l’abolition de la protection humanitaire (en limitant fortement les possibilités d’obtention du statut de réfugié) et rend plus difficile l’acquisition de la citoyenneté (qui passe de 24 à 48 mois), avec comme seul résultat l’augmentation des sans-papiers.
« Derrière ces politiques migratoires se cachent des politiques meurtrières, néocoloniales et l’horreur des violations des droits humains »
Il nous semble qu’il nous faut tirer deux conclusions. En premier lieu, le succès politique de Salvini est le résultat escompté et prévisible, de l’utilisation de migrant-e-s comme des objets sur lesquels les politiques essayent de nous faire décharger nos peurs (dans certains cas avec succès). Ces peurs trouvent leur origine dans l’application du néolibéralisme le plus féroce et dans des mesures d’austérité introduites dans les années post-crise financière et économique. On souligne également que la réduction considérable des arrivées (de 181.436 personnes en 2016 à 23.371 en 2018) est due principalement en 2016 aux politiques migratoires de Minniti, en fonction jusqu’à fin mai 2018 [18].
En deuxième lieu, derrière ces politiques migratoires se cachent des politiques meurtrières, néocoloniales [19] et l’horreur des violations des droits humains qui viennent du fait de ne pas considérer une partie de la population mondiale comme des êtres humains à part entière. Nos gouvernements du Nord sont complices des violations des droits humains dont se rendent coupables les gardes côtes et les milices libyennes ainsi que les soldats turcs.
Dépenses militaires et APD
« Le revers de la médaille de cette politique est d’une part l’augmentation du nombre de morts parmi les personnes déplacées ; de l’autre la recherche de nouvelles routes toujours plus dangereuses »
Les dépenses de l’UE dans son ensemble en matière de sécurité des frontières dans les pays tiers ont considérablement augmenté depuis le début de ces accords. En effet, l’UE, multiplie ces dernières années multiplie les projets liés aux migrations, dont les principales priorités sont la « sécurité » et la lutte contre « les migrations irrégulières ». Comme déjà expliqué dans l’article de Jérôme Duval, ces fonds proviennent aussi de l’aide au développement. Par exemple, nous dit un rapport d’Oxfam, plus de 80 % du budget de Fonds Fiduciaire d’Urgence de l’UE pour l’Afrique (FFU), dont l’objectif est de répondre à des situations de crise sur le continent africain, vient du Fonds européen de développement et d’autres fonds d’aide au développement et d’aide humanitaire [20]. Hors, le rapport d’Oxfam montre que 22 % de ce fonds est alloué à la gestion de migrations, 13,5 % à la sécurité, 63 % à la coopération au développement et 1,5 % à la recherche. Si c’est vrai, d’une part le Fonds européen de développement pour l’Afrique censé créer des opportunités de développement économique et apporter un soutien aux personnes déplacées est en fait de manière significative utilisé à mettre fin à l’immigration vers l’Europe.
Plusieurs rapports démontrent que les acteurs qui bénéficient les plus de ces politiques de militarisations de frontières sont les compagnies d’armement, de technologie et de sécurité, pas directement via l’Union européenne, qui ne peut pas financer d’équipement militaire (létal) vendu à des États tiers avec ses propres fonds, mais via les États membres (en premier lieu l’Italie et l’Allemagne).
Le revers de la médaille de cette politique est d’une part l’augmentation du nombre de morts parmi les personnes déplacées ; de l’autre la recherche de nouvelles routes toujours plus dangereuses au fut et au mesure que les premières sont bloquées par l’UE et ses États membres [21].
Conclusions
L’Union européenne considère la migration comme un problème de sécurité à traiter en urgence et par le déploiement d’un nombre toujours plus grand de technologies, outils et ressources militarisés. Ces politiques ne répondent pas à une vision rationnelle, ne visent pas une solution qui pourrait se retrouver par exemple dans la régularisation de ces migrant-e-s mais sont souvent animées par le court-terme électoraliste.
L’Europe et ses États membres font le choix d’investir des millions d’euros dans la sécurisation, l’externalisation des frontières et dans la coopération avec les pays tiers conditionnée au contrôle de l’immigration. La mise à l’arrêt de « l’Opération Mare Nostrum » en Italie par l’UE (visant à secourir en mer les immigré-e-s) et son remplacement en novembre 2014 par l’Opération Triton (pour le contrôle de frontières) sous l’égide de Frontex ainsi que les accords avec la Libye, la Turquie et d’autres pays tiers en sont un exemple. Même l’aide publique au développement (censée financer des projets de développement dans le Sud) est détournée à ces fins. Cela se fait à cause du manque de volonté des États européens de trouver des solutions aux migrations à l’échelle européenne (comme le système de quota auquel plusieurs États s’opposent), et sans prêter grande attention au régime en place dans les pays tiers (alors qu’il s’agit de collaborer avec des régimes qui violent ouvertement les droits humains, comme la Turquie, la Libye et d’autres).
C’est donc un choix politique de ne pas investir l’argent des politiques migratoires autrement (par exemple pour des initiatives d’accueil et d’insertion) et de ne pas prendre en compte les avertissements des organisations des droits humains et les documents internes à l’UE qui témoignent de la grave violation de droits humains (mauvais traitements, viols, centres de détention contrôlés par les milices) perpétrée en Libye et en Turquie. Cela vaut particulièrement pour l’Italie (tant pour les gouvernements de droite comme de centre gauche) comme nous l’avons vu, mais pas seulement.
C’est aussi un choix de criminaliser toute forme de solidarité comme celles des ONG qui opèrent dans la Méditerranée pour sauver des vies humaines. Le seul but des accords de la honte que nous avons décrits est d’arrêter la migration, un phénomène en soi impossible à arrêter.
Rappelons ici que le droit de déposer une demande d’asile est garanti par la Déclaration universelle des droits humains, qui énonce, en son article 14 : « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays » et par la Convention de Genève de 1951.
Ajoutons enfin que l’argent des contribuables européen-ne-s est utilisé - entre autres - pour construire les camps de concentration en Turquie et en Libye, pour des accords secrets et ces politiques meurtrières. Si le nombre de passages a chuté que cela soit à travers la Turquie ou la Libye, la part de mort-e-s sur l’ensemble des passages a en revanche drastiquement augmenté. Nous en sommes à plus de 30 000 morts sur les vingt dernières années en Méditerranée. C’est inacceptable.
L’autrice remercie Adrien Peroches, Christine Pagnoulle et Mats Lucia Bayer pour leurs relectures
Chiara Filoni
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