Un deuxième souffle pour faire céder Macron
Espérant être tiré d’affaire, le gouvernement veut aller vite pour l’adoption de sa contre-réforme de destruction. Le 24 janvier, le projet est présenté en Conseil des ministres, le 3 février il passe devant une commission « ad hoc » du Parlement, expressément choisie par l’exécutif, alors que l’usage aurait voulu que cela soit la commission des Affaires sociales. Enfin, la loi sera débattue et votée selon une procédure accélérée avec une seule lecture par chambre (Assemblée puis Sénat) pour boucler la question avant le mois de juin. Enfin, de nombreux points de la loi seront laissés en blanc, charge au gouvernement de les écrire et de les décréter par ordonnances (donc sans débat et vote parlementaire). Même avec une large majorité à l’Assemblée, le gouvernement veut éviter une cristallisation des débats au Sénat, où le parti présidentiel est largement minoritaire, et de longs débats d’amendements.
Parallèlement, au pas de charge, devra se tenir une « conférence sur le financement » voulue par la CFDT. Ce simulacre de concertation sera encadrée par l’obligation de trouver une solution alternative au report à 64 ans de l’âge de départ, alternative qui permette de trouver 12 milliards de 2022 à 2027… en ne pouvant pas proposer d’augmentation des cotisations, ni mettre à contribution le Fonds de réserve des retraites créé en 2001, pour amortir les déséquilibres démographiques, d’un montant de 32 milliards d’euros, ni la Caisse d’amortissement de la « dette sociale », fonds arnaqueur et possédant 17,6 milliards de fonds. Il ne resterait donc que deux solutions pour choisir la longueur de la chaîne des salariéEs : l’allongement du nombre d’années travaillées (43 ans aujourd’hui) ou le report de l’âge de départ à 64 ans, comme le souhaitent le Medef et le gouvernement. Dans tous les cas, il faut s’attendre à une grande victoire du dialogue social !
Nécessité de durer et d’étendre
Le mouvement ne manque donc pas d’arguments pour justifier son action. Mais le problème reste toujours celui del’entrée dans la grève d’autres secteurs.
La semaine du 13 au 18 a marqué un tournant. Il n’y a aucune lassitude parmi les grévistes ni les participantEs aux manifestations. Mais il faut gérer plus d’un mois de grève et, autour d’un noyau dur, les grévistes commencent par endroits à se concentrer sur les journées des temps forts, pour économiser les forces. Et le pourcentage total de grévistes est moindre que les semaines précédentes. Il en est de même des manifestations du 16 janvier, tout aussi combatives, mais moins nombreuses que celles du 9 janvier. Beaucoup évoquent la nécessité de durer, tout en intégrant l’absence de relais d’un secteur important.
Pourtant des extensions existent. Les travailleurEs des ports et docks organisent des blocages des ports, ceux des raffineries continuent des actions de blocage de production, comme les électriciens gaziers. Dans beaucoup d’universités et de lycées les mobilisations se développent, en lien avec les actions des enseignantEs-chercheurEs et des enseignantEs mobilisés contre les épreuves de contrôle continu du baccalauréat. Des salariéEs d’entreprises du privé, comme Cargill à Lille, en lutte contre les licenciements, rejoignent les manifestations sur les retraites. Les avocats continuent les grèves des audiences et mènent des actions spectaculaires.
Conscience de lutte globale
De nombreuses interpros se sont tournées la semaine dernière vers des enchaînements d’actions spectaculaires d’occupations et de blocage. C’est une façon d’occuper l’espace politique, de maintenir la mobilisation, mais cela reflète aussi les limites de l’extension.
Le mouvement est donc en train de changer de rythme. La détermination et la conviction puissante de la nécessité de faire reculer Macron est toujours aussi forte. Le sentiment de bénéficier d’un large soutien populaire aussi. De même, la certitude que la question de la contre-réforme des retraites est un des piliers à abattre dans une offensive de destruction sociale que subissent notamment les enseignantEs et les travailleurEs hospitaliers qui, depuis un an, dénoncent la misère des hôpitaux. De plus, les femmes, les chômeurEs, les jeunes, les précaires, apparaissent comme les grands perdants de cette réforme.
C’est donc bien une conscience de lutte globale contre le système qui bouillonne dans le creuset de cette mobilisation.
Mais pour gagner, il va falloir trouver un second souffle, avec l’entrée de nouvelles forces, de nouveaux secteurs dans la grève.
Car, quand bien même une victoire de Macron pour faire passer son projet serait sans doute une victoire à la Pyrrhus, elle n’en serait pas moins une nouvelle dégradation de nos conditions de vie, et encore plus pour les générations à venir.
Léon Crémieux
Une version longue de cet article est disponible sur ESSF (article 51833), 46e jour du combat pour nos retraites : vers un deuxième souffle pour faire céder Macron
Les organisations syndicales face à une nouvelle étape
Si l’envahissement des locaux de la CFDT par des grévistes de la coordination SNCF-RATP sature l’espace médiatique en même temps que l’exfiltration de Macron du théâtre des Bouffes du Nord, ce n’est pas seulement parce qu’il fournit un prétexte pour dénoncer des « violences » des grévistes, c’est aussi parce qu’il se produit à l’entrée d’un tournant dans la mobilisation.
Un an après avoir semblé définitivement marginalisées par le mouvement des Gilets jaunes, les principales organisations syndicales se sont retrouvées en première ligne dans une mobilisation d’ores et déjà qualifiée d’historique contre la « contre-réforme » des retraites.
Désaffiliations
La perte de visibilité et de crédibilité des organisations syndicales est la conséquence d’évolutions largement interpénétrées. D’abord, celle de l’organisation de l’appareil économique, productif : externalisations, délocalisations, diminution de la taille des établissements assortis du bouleversement des processus de production et de précarisation de l’emploi. De l’autre, un vaste processus de privatisations dans des secteurs qui constituaient souvent des bases essentielles des organisations syndicales et où l’introduction des méthodes managériales calquées sur celles du privé a largement contribué à déstructurer des collectifs de travail et briser les résistances sociales, y compris au travers de la répression.
Un ensemble d’évolutions qui ont déstabilisé et affaibli les organisations syndicales dès la fin des années 1970 dans un contexte de montée du chômage et de « disparition » du « socialisme réellement existant ». Un mouvement syndical que son fonctionnement bureaucratique, plombé par une institutionnalisation centrée sur le dialogue social, a rendu incapable de s’adapter aux changements des conditions d’exploitation du prolétariat.
Ensuite, se placent les positionnements de la bourgeoisie et des partis politiques au pouvoir face aux corps intermédiaires en général et aux organisations syndicales en particulier. Après l’accompagnement des reculs sociaux des gouvernements de « gauche », sous Sarkozy les reculs sociaux s’accompagneront des nouvelles modalités de calcul de la représentativité. Amorcée sous Hollande avec le significatif refus d’accorder la traditionnelle amnistie pour les militantEs syndicaux, la cassure du dialogue social (hors CFDT et « amies »), avec notamment le boycott des conférences sociales, va s’amplifier avec Macron et sa volonté de faire l’impasse sur les corps intermédiaires et autres partenaires sociaux.
Une stratégie qui semblait payante au regard des échecs des mouvements, mais qui a brutalement été mise en question par les Gilets jaunes, bousculant les rites habituels des mobilisations.
Faire face à un affrontement délibéré
C’est dans cette situation que le gouvernement Macron-Philippe a décidé d’engager la réforme du système de retraites, dans l’espoir que les organisations syndicales seraient incapables de s’y opposer. À tel point qu’il s’est permis de faire l’unanimité contre lui en matière de concertation et de dialogue social.
Son principal atout résidait dans l’acceptation par certaines organisations (CFDT, CFTC et UNSA) du cadre global de la réforme, à l’opposé de FO, la CGT, Solidaires, FSU et la CFE-CGC. Contrairement à 1995, la mobilisation n’a pas été préparée en profondeur par les structures confédérales ou fédérales. Le départ de la grève le 5 décembre a été initié par l’intersyndicale de la RATP, suite à l’impressionnante grève du secteur en septembre. Dans la foulée, toute une série de structures syndicales, notamment CGT et Solidaires, se sont associées à cet appel.
Les directions de la CFDT et de l’UNSA ont joué les mouches du coche autour de la question de l’âge pivot même si le gouvernement n’a pas valorisé leur attitude en faisant une concession qui paraît largement comme une entourloupe. Mais ceci semble avoir suffi à la plus grande partie des structures et adhérentEs, notamment dans une confédération CFDT où le centralisme bureaucratique est particulièrement efficace. Seules des structures de la SNCF et de la RATP, sous la pression des grévistes, ont forcé les consignes confédérales.
FO, affaibli par les crises internes, n’a pas été en capacité de structurer en profondeur et dans le long terme sa participation au mouvement, et laisse son secrétaire général en porte-voix soutenu par peu de troupes. La FSU tente de se reconstruire une légitimité après des années passées à avaler les couleuvres des gouvernements successifs. De ce fait, alors que les personnels de l’éducation sont parmi les plus touchés par la réforme, c’est lentement que la mobilisation des enseignantEs s’est construite sous le double refus des pseudo compensations financières et le rejet des réformes, notamment celle du bac.
Du côté de la CGT, de Solidaires et de… la CFE-CGC
Si surprise il y a dans cette mobilisation, c’est bien le positionnement de la CFE-CGC. Une confédération généralement au côté de la CFDT, dans une modération respectueuse du dialogue social et d’un libéralisme éclairé. Les bouleversements dans l’appareil productif et l’organisation de l’économie ont particulièrement impacté ceux qu’on désigne sous les vocables d’employéEs ingénieurEs, cadres et technicienEs. Croissance des effectifs, écartèlement du fait des politiques des directions d’entreprise qui vont d’une taylorisation croissante à une volonté d’intégration aux politiques ultra-libérales, en passant par l’accroissement du rôle de garde-chiourmes. Dans ce maelström, la CFE-CGC a conquis des positions électorales importantes, qui ne correspondent certes pas à une grande combativité mais à une exigence de représentation des intérêts de ces couches dont la retraite fait partie. Ce qui se traduit par un corporatisme radical.
En ce qui concerne la CGT, moins que toute autre confédération, difficile de se contenter des certitudes globales. Au niveau confédéral, l’existence d’une intersyndicale rend parfois difficile la lecture des positions de chaque syndicat. Sur le strict déroulé de la mobilisation, on doit pointer la lenteur à rejoindre l’appel « RATP », l’acceptation du trou dans les propositions d’actions entre le 19 décembre et le 9 janvier. Mais, au total, ce qui reste visible, ce sont une dénonciation claire du projet Macron et l’exigence de l’extension à d’autres secteurs.
Quant au soutien à l’auto-organisation, cela est (très) loin de l’ADN cégétiste, y compris (surtout ?) dans certains secteurs parmi les plus radicaux (dockers, raffineries, mines-énergie, certaines UD...). Mais ce qui domine c’est la grande difficulté à mobiliser largement dans toute une série de secteurs hors RATP et SNCF. En ce qui concerne le privé, globalement, les causes « objectives » sont identifiées (cf. l’article d’Elsa Collonges dans ce dossier). Mais, tout de même, l’absence ou la faible présence de secteurs comme le bâtiment, l’agro-alimentaire, la chimie, le commerce interroge car ces fédérations sont généralement perçues comme « radicales ». Comme dans d’autres secteurs (territoriale, banques, finances publiques... ) pertes de repères, désaffection de militantEs semblent avoir limité les possibilité de mobilisation notamment par la grève.
Pour Solidaires, calée sur un rejet clair du projet Macron-Delevoye, la taille des structures dans beaucoup de secteurs, l’ostracisme du pouvoir, de certains syndicats et des médias, limite la visibilité. Cependant, tant dans les manifestations qu’au travers d’initiative de blocages et autres, les militantEs apportent souvent des savoir-faire et un dynamisme pas toujours partagé.
Comme le pointait Annick Coupé, « nous n’avons pas entretenu collectivement l’idée que la grève générale pouvait être un outil notamment pour bloquer l’économie et établir un rapport de forces pour faire avancer les choses. »1
La façon dont les directions syndicales accompagneront, assumeront le passage d’une guerre de position, la grève reconductible, à une guerre de mouvement avec notamment des actions « coup de poing », ciblant davantage les responsabilités politiques (ou syndicales !) et la visibilité médiatique, pourrait impacter les bilans qui ne manqueront pas d’être tirés à l’issue du mouvement.
Robert Pelletier
1. Interview dans le n° 500 de l’Anticapitaliste (4 décembre 2019). Disponible sur ESSF (article 51420), Regard rétrospectif avant le 5 décembre (2019) : « Novembre-décembre 1995 n’était pas seulement un mouvement de défense de régimes spéciaux et de la Sécu ».]]
Dans le privé : renouer avec la grève
Pour la première fois depuis longtemps, la question de l’extension d’une grève interprofessionnelle aux entreprises du privé se pose réellement. Mais la grève générale ne se décrète pas, elle se construit et c’est difficile…
Des obstacles insurmontables en quelques semaines
L’évolution du salariat et de l’organisation du travail sont des éléments centraux du problème : destruction des grosses concentrations au profit de la multiplication des sous-traitants et des filiales, recours massif aux contrats précaires, chômage de masse, destruction des collectifs de travail, individualisation des évaluations… Certains secteurs, comme les services d’aide à la personne, concentrent toutes les difficultés : comment faire grève quand on a une tournée de patientEs à visiter, qu’on est en contrat précaire à temps partiel, que les salaires sont faibles, que l’on est, parfois, une femme seule avec des enfants à charge ?
En contrepoint de l’affaiblissement de la solidarité ouvrière et des structures syndicales, la répression patronale ne se fait pas attendre, d’autant plus qu’elle est légitimée par la répression de l’État dans la rue. Licenciements des grévistes, placardisation, non-renouvellement de contrat… viennent s’ajouter à la discrimination syndicale permanente.
Pour finir ce tableau peu réjouissant, les défaites accumulées ces dernières années ne viennent certes pas encourager un secteur qui n’avait connu aucune mobilisation contre l’allongement à 40 annuités pour une retraite pleine et entière dans le privé en 1993. À de très rares exceptions près, les luttes récentes dans le privé avec grève massive n’ont eu lieu que lors de fermetures d’usines ou de plans de licenciements. Finalement, le privé n’a pas connu de mouvement interprofessionnel significatif depuis… mai 1968 !
Pourtant un vent souffle sur le privé
On peut commencer par citer les raffineries déjà mobilisées contre la loi travail, ou les ports et docks avec des taux de syndicalisation qu’on ne connait nulle part ailleurs… Mais en dehors de ça, la grève reste ultra minoritaire : rien souvent, 2 %, 4 % parfois, 20 % exceptionnellement… Pourtant les appels à la grève des syndicats et des structures locales n’ont pas été aussi nombreux depuis bien longtemps. Les sollicitations des salariéEs ont explosé et les questions basiques qu’ils/elles posent sont significatives du recul dramatique de la pratique de la grève dans le privé : peut-on faire grève ? Comment ? Faut-il se déclarer ?
Alors beaucoup trouvent des « moyens » de venir quand même aux manifestations, sans être en grève : sur leur temps de repas, en posant des RTT, en prétextant les enfants à garder…
Finalement, le privé est bien plus présent que lors des mouvements précédents mais cela reste faible, trop faible. Lorsque des problématiques locales existent et que les salariéEs sont mobilisés, l’effet est parfois très positif et les revendications spécifiques viennent renforcer celle du retrait de la réforme… Mais parfois c’est l’inverse : englués dans les batailles juridiques, épuisés par la lutte locale, par peur de « disparaitre » dans la mobilisation générale… les boîtes en lutte ne sont pas toujours présentes dans le mouvement.
Construire avec patience et détermination
Il n’y a malheureusement pas de raccourci possible et les rythmes différenciés, de la SNCF aux boîtes du privé, sont une des problématiques de ce mouvement. Mais son ampleur, sa variété à la fois en termes de secteurs présents mais aussi de formes de mobilisations, sa popularité dans l’opinion… ne pourraient s’expliquer sans que l’ensemble de la population en soit partie prenante et donc aussi les travailleurEs du privé.
La question de la grève dans le privé reste un point dur : l’ampleur de la réforme de la protection sociale voulue par le patronat nécessite, pour s’y opposer, un rapport de forces extrêmement puissant. Pour l’emporter, la détermination du mouvement social dans ses formes d’action doit être à la hauteur de celle du patronat et du gouvernement. Une seule solution : le blocage des moyens de production par la grève des travailleurEs.
Elsa Collonges
Une grève interprofessionnelle, ça se construit !
L’expérience du mouvement contre le report de l’âge légal de départ et l’augmentation de la durée de cotisation, en 2010, démontre que se concentrer sur des secteurs stratégiques pour pallier l’absence de grève générale ne fonctionne pas. Les employéEs grévistes des raffineries peuvent être réquisitionnéEs, et si les dépôts pétroliers sont bloquées par des soutiens militants (grévistes d’autres secteurs notamment), l’État n’a aucun mal à concentrer ses forces de police pour les débloquer, y compris violemment.
Élargir le mouvement de grève
Si on veut bloquer le pays pour gagner sur nos revendications, il n’y a pas de raccourci possible, il faut élargir le mouvement de grève, réussir à mobiliser de nouveaux secteurs, malgré les difficultés, malgré les pressions managériales et hiérarchiques, malgré tous les obstacles. Le niveau très élevé de mobilisation, la pression de la base voire des structures intermédiaires (Unions départementales et fédérations) a imposé le mot d’ordre du retrait à l’intersyndicale. Mais pas la grève générale.
Escure (UNSA) a été largement débordé par sa base qui a refusé toute trêve à la RATP, et qui a continué à reconduire alors même que des mesures catégorielles avaient été obtenues. Berger a été désavoué par les cheminotEs CFDT qui, elles et eux aussi, ont poursuivi le mouvement. La base syndicale aurait fort bien pu déborder les directions et imposer la grève générale, comme le mot d’ordre de retrait s’est imposé malgré elles... si cette base syndicale existait en dehors des rares bastions du mouvement syndical et ouvrier qui perdurent, et des quelques secteurs combatifs qui apparaissent ces dernières années.
C’est l’obstacle majeur posé par les confédérations aujourd’hui : leur état moribond, voire leur inexistence, dans un si grand nombre d’entreprises et de lieux de travail.
Un travail (organisé) de conviction
La seule solution, c’est un travail de conviction, non par des appels de coordinations multiples, non représentatives, mais en allant rencontrer les exploitéEs et les oppriméEs, sur leurs lieux de travail ou de vie.
C’est ce qui se fait par exemple à Grenoble et à Montreuil, avec un certain succès : la mobilisation bien plus large que les noyaux militants habituels est une réalité, et les collectifs ou comités interpros locaux ont continué leur activité sans trêve. Puisque notre objectif est d’étendre le mouvement le plus possible, nous nous en donnons les moyens concrets. Les secteurs en reconductible, majoritaire ou de manière au moins significative, dégagent des forces pour aller directement sur les lieux de travail, du public comme du privé, et même sur les lieux de vie dans les quartiers populaires, ceux où on a trop peu l’habitude de militer.
C’est l’un des faits marquants de ce mouvement : un certain niveau d’auto-organisation existe, mais il se fait sur des bases territoriales.
En région parisienne, ce caractère est renforcé du fait de l’absence de transports en commun pendant plusieurs semaines. Des militantEs de la grève, notamment enseignantE, résidant à Montreuil et ne pouvant se rendre sur leur établissement d’une ville plus lointaine (Villemomble, Goussainville...), se sont organisés là où ils et elles le pouvaient, en rejoignant en assemblée générale locale les salariéEs mobilisés de leur ville de résidence.
Assemblées générales professionnelles et interprofessionnelles
De nombreuses tournées ont eu lieu, avec petit cortège, mégaphone et tracts, non seulement vers les établissements scolaires, mais vers tous les services publics (finances, hôpital, bureaux de poste, Pôle Emploi, services municipaux…), et depuis peu en direction de boîtes privées (Safran, Ubisoft, BNP…) et des quartiers populaires excentrés. Ce sont ces tournées qui ont permis de mettre en grève totale le bureau de poste principal le 17 décembre.
C’est aussi le cas en Isère, où la problématique des transports se pose moins. À Grenoble comme dans les villes de son agglomération, l’auto-organisation se fait même à une plus petite échelle, celle du quartier. Il s’agit de réapprendre des réflexes de fonctionnement intersyndical et interprofessionnel, voire mieux, d’auto-organisation en assemblées générales professionnelles et interprofessionnelles. On est encore loin de pouvoir occuper les lieux de travail, d’organiser des comités de grève représentatifs, mais sans surprise, les villes où ces processus sont les plus avancés sont celles où une confiance avait été acquise au cours de luttes communes mêlant des équipes de différentes structures militantes.
Julien Sofiane