Sur ABC, la radio publique australienne, les annonces se succèdent. Une longue litanie de lieux et localités suivie de « Si vous habitez ces localités il faut évacuer tout de suite. Si vous ne le faites pas, la situation va empirer de minute en minute. En partant emportez vos médicaments, vos animaux domestiques, votre téléphone portable et votre chargeur » Puis une nouvelle liste de lieux suivie de « Dans ces localités, il est trop tard pour évacuer, trouver un abri et protégez vous », auquel se rajoute parfois « Si vous ne trouvez pas d’abri, restez dans votre maison. Si vous restez dehors, la vague de chaleur vous tuera avant même l’arrivée des flammes. Choisissez un emplacement dans votre maison où vous pouvez voir au moins deux de ses côtés. Si la situation devient vraiment invivable, sortez du côté qui a déjà brûlé ».
Pour des raisons familiales je me rend souvent en Australie, mais jamais je n’avais vu une situation pareille. Les chiffres sont connus : près de 100 000 km2 de forêts brûlées, la taille de la Corée du Sud, 28 personnes décédées, ainsi que plus d’un milliard d’animaux. Et ces gigantesques incendies ont touché la majorité de la population australienne, qui vit sur la côte sud-est. Par la pollution liées aux fumées et aux particules fines, Canberra, la capitale, Sydney et Melbourne, les deux villes les plus importantes du pays, ont été tour à tour les villes les plus polluées au monde. Mais aussi parce que le pic des incendies a eu lieu au moment où tout le pays est en vacances, des milliers et des milliers de touristes ont ainsi du rentrer précipitamment où être, dans les cas les plus grave, évacués par la Marine australienne.
L’Australie est probablement le pays au monde qui est le mieux préparé aux incendies. L’information est diffusée en temps réel sur tous supports, radio, TV, téléphone portable. Sur toute les routes on a des panneaux qui indiquent le niveau de risque d’incendie en temps réel et dans la plupart des communes particulièrement menacées des abris sont prévus et leurs emplacements signalés un peu partout. Le service de lutte contre les incendies est confié aux pompiers, pour l’essentiel des volontaires, comme en France, très nombreux et prêts à se mobiliser sur de longues périodes, trois mois en ce moment. Cette préparation explique le faible nombre de victimes humaines, en 2009 plus de 280 personnes avaient péries en une journée dans l’état de Victoria, mais elle n’a pas empêché le désastre écologique en cours, avec la destruction massive d’écosystèmes sur des surfaces gigantesques.
Cette catastrophe sans précédent a eu immédiatement des répercutions politiques très importantes. Scott Morrison, le Premier ministre issu du parti libéral, de droite, est un chrétien « born again », climatosceptique, qui a été attaqué de toutes parts. Parce qu’il n’avait pas mobilisé les moyens nécessaires en amont des incendies, malgré les préconisations des pompiers des mois auparavant, parce qu’il est parti en vacances à Hawaï alors que le pays s’enflammait, et surtout parce qu’il refuse de prendre les mesures nécessaires face au changement climatique. L’Australie est le premier exportateur mondial de charbon, avec 400 millions de tonnes par an, au même niveau que l’Indonésie et bien au delà de la Russie et de l’Afrique du Sud. Les émissions de gaz à effet de serre internes à l’Australie rapportées aux émissions par individu dépassent celles de Etats-Unis et se situent au niveau du Qatar ou du Koweit... Le mode de vie australien est responsable de ce niveau d’émission, mais il rend également la lutte contre les incendies particulièrement difficiles. Comme en Europe ou en Amérique du Nord, le sud-est australien voit sa surface forestière augmenter après une phase de déboisement massif à la fin du 19e siècle, avec la ruée vers l’or et le boom économique qui s’en est suivi. Dans le même temps les banlieues des grandes villes connaissent un étalement qui semble sans fin, y compris dans les zones boisées.
Toutes ces questions sont au cœur des débats qui agitent la société australienne. Des milliers de manifestants sur sont réunis dans toutes les grandes villes du pays à l’appel d’Extinction Rebellion et autres groupes d’activistes. Dans le même temps, les programmes de la radio publique australienne présentaient de nombreuses interview d’écrivains et militants arborigènes qui insistaient sur l’importance de s’appuyer sur les pratiques et traditions indigènes pour créer un autre rapport à la nature. Dans un pays très marqué par le racisme et le colonialisme, ces paroles résonnent avec les revendication des manifestants et peuvent ouvrir une autre voie pour le peuple australien !
Christophe Aguiton