Français de tous âges, de toutes conditions, de toute opinion politique, que vous résidiez à Paris, dans les grandes métropoles ou dans des bourgades ou villages, ouvrez ce livre, plongez-vous dans ce récit, mais en l’abordant, ouvrez à la fois votre cœur et votre raison.
Car vous aurez besoin des deux pour affronter cette lecture qui ne laisse pas indemne. Vos yeux se dessilleront et vous serez contraints de voir la réalité en face. Vous comprendrez l’incohérence, l’irrationalité, l’illégalité et l’inhumanité des politiques menées depuis des années par nos gouvernements successifs à l’égard des migrants. Elles vont en s’aggravant car des calculs électoraux sordides conduisent tous les personnels politiques, sans condition de leur appartenance à tel ou tel parti, à craindre de dire la vérité à leurs concitoyens.
Vous serez saisis du sentiment, qui ne vous quittera plus, que le fil de la vie et les fausses raisons politiques vous ont fait oublier que les humains forment une communauté solidaire, que leur répartition en États nations s’est faite au gré de l’histoire, des guerres et des grands mouvements de population, de manière aléatoire, que nul n’a le droit ou l’obligation de résider là où il est né ou là où l’ont porté les vicissitudes de la vie, que la planète est notre maison commune, que celle-ci en se réchauffant offrira des surfaces réduites au Peuple de la terre qui devra en gérer l’occupation de manière juste et bonne.
En vous frottant avec l’auteure à la réalité de la présence des migrants dans notre pays, vous prendrez la mesure du fait qu’il n’y a pas trop d’étrangers en France, que leur proportion dans la population n’est pas en augmentation comme on veut le faire croire, que les engagements internationaux pris par notre pays veulent que nous accueillions ceux qui viennent, que de surcroît ils rendent à notre économie des services indispensables. Vous comprendrez le caractère insensé de la conception étroite de la notion de « persécuté » qui permet de soumettre le migrant à des interrogatoires malsains afin de réduire à presque rien le devoir d’accueil de notre pays. Vous aurez la confirmation des violations multiples engendrées par l’obsession du renvoi qui est le moteur de l’action des administrations dans ce domaine.
Vous verrez à l’occasion de cette lecture comment un être humain, sans préjugé politique, sans préoccupation électorale, peut vivre la fraternité dans le sens plein de ce mot. Vous serez témoins d’un exercice pratique exemplaire de ce qu’Étienne de La Boétie il y a plusieurs siècles nommait l’« entre connaissance », cette curiosité qui permet à un humain de rechercher chez un autre humain différent de lui, leur commune humanité.
Vous suivrez le récit passionnant, haletant, d’une solidarité résolue qui permet à une citoyenne française ayant fait le geste politique fort du baptême républicain, expression de ses convictions inébranlables, d’endosser le sort d’un migrant dont elle s’est dit être la « marraine », alors qu’il est en quête d’un statut de réfugié. Vous la suivrez, vivant avec lui toutes les étapes de ce périple éprouvant, vous ne pourrez pas ne pas être solidaire de ses émotions, de ses espoirs, de ses craintes, de ses indignations aussi.
Mais sous l’émotion qui vous submergera, percera la voix de la rationalité. C’est elle qui conduit Stéphanie Bossard à des remarques fulgurantes sur la liberté et la loi : « La liberté est toujours contrainte par la loi, et la loi appartient au pouvoir des forts, non à celui des hommes » (page 133). C’est elle qui lui permet ce constat irréfutable selon lequel ce sont les dirigeants de notre pays qui sont hors la loi. Non pas qu’elle oppose la loi d’Antigone à celle de Créon. Non, elle n’a pas besoin d’aller jusque-là. Elle fait le simple constat que nos administrations et même nos législateurs ne respectent ni la Constitution, ni la convention de Genève, ni les pactes sur les droits de l’homme. J’ajouterai ni la Convention sur le droit de la mer.
La non-assistance organisée aux noyés de la Méditerranée en témoigne. Le droit à la vie, le droit pour toute personne en détresse en mer d’être secourue (article 98 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer), sont violés en toute impudeur par nos gouvernants. Mais bien d’autres droits le sont au quotidien. Ainsi, la France, cette terre qui a produit en 1789, avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, un texte emblématique qui se voulait de portée universelle, est-elle entrée dans ce que le philosophe Étienne Tassin nommait « la maladie de la nation ». Tournant le dos à l’universalisme, notre pays s’est engagé, à la suite de bien des États qui ont fait de la démocratie un mot vide de sens, dans la voie périlleuse de la discrimination entre ceux supposés être d’ici (les nationaux) et les autres dont les droits seraient moindres.
Stéphanie Bossard refuse ce travestissement de notre héritage le plus noble. L’hospitalité lui est naturelle, elle nourrit sa joie, son espérance, lui donne envie d’écrire en poésie, de danser. En la vivant pleinement, elle montre le caractère hideux de l’invention du « délit d’hospitalité ». Son récit nous montre aussi en creux d’où vient cette morosité qui s’est abattue sur l’Europe. Rivalisant de petitesse, rabougris dans leurs frontières, tous les peuples qui composent cette Europe, s’y ennuient mortellement, en proie à un narcissisme collectif dont seul un regard fraternel porté sur « l’autre » pourrait les sortir.
Paris, le 21 octobre 2019
Monique Chemillier-Gendreau
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