TOKYO CORRESPONDANT
Le revirement de la politique américaine vis-à-vis de la République populaire démocratique de Corée (RPDC), en privilégiant le dialogue à la pression, a placé le Japon dans une situation inconfortable. Il est désormais le seul des cinq pays (avec la Chine, la Corée du sud, les Etats-Unis et la Russie) participant aux pourparlers avec la RPDC à maintenir une position intransigeante à son égard.
Enferré dans sa fermeté sur la question des enlèvements de Japonais, Tokyo refuse de fournir une aide à Pyongyang tant que ce contentieux n’est pas réglé. Dans les années 1970-1980, des agents nord-coréens ont enlevé une douzaine de Japonais. Après avoir permis à cinq d’entre deux de revenir en 2002, Pyongyang affirme que les autres sont morts. Mais Tokyo exige des preuves. Seule satisfaction obtenue par le Japon à Pékin : la constitution d’un groupe de travail sur cette question.
M. Cheney, qui se rend à Tokyo pour demander au gouvernement de Shinzo Abe d’accroître sa contribution aux efforts de reconstruction en Irak et en Afghanistan, s’emploiera à assurer ses interlocuteurs du soutien des Etats-Unis dans l’affaire des enlèvements. M. Abe, qui a bâti son image politique en affichant sa fermeté vis-à-vis de Pyongyang, ne peut pas « changer de cap » avec la même aisance que l’administration Bush.
Il sera difficile pour le Japon d’être le seul à ne pas participer aux compensations offertes à Pyongyang. Mais, pour l’instant, il a annoncé ne pas avoir l’intention de contribuer à la fourniture des 50 000 tonnes de fioul promis en échange de la désactivation des opérations nucléaires en RPDC.
La frustration japonaise a pour arrière-plan l’apparition de divergences de vue avec Washington sur le Moyen-Orient. Le Japon a apporté un soutien immédiat et inconditionnel à l’invasion de l’Irak. Il a déployé pour la première fois depuis la défaite de 1945 un petit contingent dans un pays en guerre. Mais Tokyo commence à s’interroger sur le bien-fondé de la politique américaine en Irak.
Fumio Kyuma, ministre de la défense, a répété à plusieurs reprises ces dernières semaines que l’invasion de l’Irak avait été « une erreur ». Son collègue aux affaires étrangères, Taro Aso, a qualifié de « très naïves » les opérations américaines. Pour le chef de l’opposition, Ichiro Ozawa, le déclenchement de la guerre en Irak a été une « absurdité ».
S’agit-il d’une simple zizanie au sein de l’équipe du premier ministre à quelques mois des élections ? Toujours est-il que les relations nippo-américaines ne sont plus au beau fixe.