Ces retenues au profit des créanciers étaient abusives et n’avaient pas de fondement légal solide. Le niveau insuffisant des salaires avait poussé les mineurs à s’endetter auprès de sociétés rapaces qui en ont profité ensuite pour s’enrichir sur leur dos allant jusqu’à faire saisir la plus grande partie du salaire des mineurs endettés. Lors de la commission d’enquête sur les circonstances du massacre les membres de la commission ont étudié la situation dans laquelle se trouvaient les 34 mineurs assassinés. Ils ont pu se procurer les feuilles de paie de 28 d’entre eux. Cela a permis d’établir que tous subissaient des retenues sur salaires. Le mois précédent le massacre, la majorité d’entre eux avait subi d’énormes retenues, certaines étant supérieures à la moitié de leur salaire normal. Pour un d’entre eux, les retenues avaient été telles qu’il n’avait pas reçu de paie, c’est ce qu’atteste clairement sa feuille de paie dont le solde était négatif- [1]
La situation des mineurs de Marikana était extrême mais il ne s’agit pas d’un cas isolé. En Afrique du Sud, beaucoup de travailleurs subissent des retenues sur salaires importantes car leur patron sont complices des créanciers rapaces. Dans le cas des patrons de la mine de Marikana, ils possédaient une société qui elle-même avait octroyé des prêts aux mineurs et qui dès lors profitaient des retenues sur salaire. Comme le dit l’adage populaire : « on n’est jamais si bien servi que par soi-même » et le comportement des patrons le confirme.
Des actions ont été entreprises pour que justice soit rendue aux mineurs de Marikana, voir notamment Dick Forslund, « The Bermuda Connection : Profit shifting, inequality and unaffordability at Lonmin 1999-2012 », AIDC,
Afrique du Sud : L’affaire des aides sociales ponctionnées par les créanciers rapaces
Le gouvernement sud-africain, en bon élève néolibéral, a contracté une société privée appelée CPS (Cash Payment Services) pour assurer la distribution des aide sociales provenant de l’Agence publique de Sécurité sociale (the South African Social Security Agency –SASSA-). 17 millions de personnes reçoivent en Afrique du Sud des aides sociales de différents types. CPS a profité de la situation pour utiliser des informations confidentielles sur les allocataires sociaux afin de les convaincre de s’endetter auprès d’elle sous forme de micro crédits. Poussant plus loin son avantage, CPS a ensuite prélevé le remboursement des micro crédits sur les aides sociales des personnes qu’elle avait abusées.
L’ONG Black Sash a saisi la justice de cette affaire de conflit d’intérêt, d’abus de position et d’enrichissement illicite (c’est moi qui fait ces affirmations). Le tribunal a fixé une limite aux prélèvements mais n’a pas condamné la CPS pour avoir proposé des crédits dont les remboursements pouvaient être déduits à la source des aides sociales.
CPS a vu renouveler son contrat pour gérer les aides sociales. L’ONG Black Sash continue son combat en défense des allocataires sociaux victimes des méthodes d’endettement illégitime.
Plainte contre la société privée Lifestyle Direct Group International
Les victimes d’une arnaque produisant des dettes illégitimes et illégales se sont regroupées pour déposer une plainte collective contre la société privée Lifestyle Direct Group International et les sites internet qui en dépendent. Ces victimes sont soutenues par la Stellenbosch University Law Clinic. La plainte collective vise à défendre les intérêts de milliers de personnes qui ont été abusées par des propositions mensongères de crédits.
Les plaignants reprochent au Lifestyle Direct Group International de les avoir convaincus de signer des contrats d’emprunt sur la base de mensonges. Pour faire bref, les sommes à rembourser étaient tellement exorbitantes que les victimes ont été incapables d’effectuer les paiements exigés. En conséquence, Lifestyle Direct Group International a utilisé une des clauses du contrat pour faire prélever automatiquement les sommes qu’elle exigeait sur les comptes bancaires des victimes.
Les plaignants exigent que le comportement de Lifestyle Direct Group International soit condamné comme illégal et que les 19 sites internet qu’elle contrôle soient fermés.
Les avocats des plaignants se basent sur les articles 40, 41 et 48 de la loi de protection des consommateurs (Consumer Protection Act –CPA-) adoptée en 2008.
L’affaire doit être traitée par la Haute Cour de Cape Town le 27 novembre 2019. Le jugement pourrait faire jurisprudence et permettre de s’attaquer aux nombreuses sociétés privées qui abusent systématiquement de la bonne foi des clients qu’elles veulent convaincre de s’endetter pour ensuite les plumer.
Pour plus d’infos sur cette affaire
Eric Toussaint docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015. Suite à sa dissolution annoncée le 12 novembre 2015 par le nouveau président du parlement grec, l’ex-Commission poursuit ses travaux et s’est dotée d’un statut légal d’association sans but lucratif.
Eric Toussaint
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